Le train

3 minutes de lecture
Elle s'ennuyait. Le professeur parlait fort. C'était un cours de philosophie. Le professeur, avec une diction des plus claires, appuyait chaque mot important à l'oreille des élèves, à propos du VRAI, du RÉEL, le nom de DIEU revenait souvent, ainsi que le mot MÉTAPHYSIQUE.

D'ailleurs, c'était à peu près les seuls mots qu'elle avait écrit sur sa feuille à petits carreaux. En revanche, des petites fées, des chats rayés, des petites créatures poilues aux membres trop longs pour être vrais, se baladaient un peu partout dans les marges, les coins, entre les lignes et parfois sur les mots mêmes. REFOULÉ. EXIL. Elle regardait par la fenêtre. C'était un mois de novembre gris, et très froid. Elle aimait bien le froid. Le froid mordant, celui du vent d'hiver, qui fait rosir les joues, presque le froid du mois de décembre, celui qui fait qu'on aime ensuite se réfugier chez soi avec un chocolat fumant. Elle aurait cependant aimé qu'il y ait plus du soleil. Du froid, et du soleil. EXPLICATION DU MONDE. Un champignon au chapeau bien rond se découvrit sous la pointe se son crayon de papier, et quelques brins d'herbe. Elle aurait aimé qu'il se taise un peu.  MORALE CLOSE. Elle soupira et se redressa. Encore une heure avant l'heure du repas. Ce ne serait pas bon, mais au moins, après elle pourra aller se reposer un peu. Elle avait pris l'habitude peu après le début de l'année, à la pause, de s'enfermer dans les toilettes pour lire. Juste quelques minutes. C'était le seul endroit où il n'y avait presque pas de bruit, les gens se contentant de venir et repartir rapidement. Elle profitait ainsi de leur très court temps de pause, juste une heure pour faire la queue, manger, et reprendre à ensuite à treize heure. Et lire un tout petit peu. ENERGIE SPIRITUELLE.
 
Soudain, quelque chose la fit sursauter hors de ses pensées. Un drôle de bruit. Qu'est-ce que ça pouvait bien être ? Le professeur parlait toujours aussi fort. Sa voisine de table  prenait soigneusement ses notes. APPROCHE SENSIBLE ET INTUITIVE DE LA RÉALITÉ.  On entendait distinctement le bruit des stylos crissant sur le papier, les « clic-clic » des claviers d'ordinateurs... POUR VOIR, IL FAUT AVOIR RECOURS A LA RAISON.  Mais il y avait autre chose. Comme un grondement, qui se rapprochait. CRITIQUE DE LA FACULTÉ DE JUGER. DISCERNEMENT. Ça ressemblait au puissant roulement mécanique d'un train, qui se rapprocherait de plus en plus. La gare avait beau ne pas être loin, les lignes de train ne passaient pas près du lycée, on ne les entendait jamais. Mais oui, ça y ressemblait bien! Elle n'entendait plus que ce grondement, tout près maintenant. Son cœur se mit à battre plus fort. Les murs commencèrent à trembler, de la poussière tombait du plafond. Le gobelet de café sur le bureau se renversa et le liquide fumant se répandit sur le sol. Le vacarme devenait assourdissant. Les secousses ébranlaient les tables des élèves, dont les classeurs, stylos, gommes, se jetaient au sol dans un mouvement précipité. Les feuilles s'envolaient comme autant d'oiseaux blancs. On n'entendait plus la voix du professeur, étouffée par le ronronnement féroce de la machine. Sous ses pieds, le sol vibrait violemment. C'était pourtant impossible, aucun train si petit soit-il ne pouvait passer, là comme ça, dans le couloir, et sans que personne ne le remarque ! Elle se recroquevilla, s'apprêtant à recevoir d'un moment à l'autre les gravats du plafond, qui ne manquerait pas de s'écrouler.
Petit à petit, le roulement s'éloigna, et il ne resta plus que le bruit des crayons, des claviers, et  LA CONSCIENCE D'UNE SOCIÉTÉ SANS CONSCIENCE. Au loin, un sifflement. La terre avait cessé de trembler, mais pas son cœur.  Le souffle court, elle donna un petit coup de coude à sa voisine.
 «  C'était quoi ça ?
- Pardon ?" Lui répondit distraitement sa voisine, une jeune fille brillante à la peau mate. Elle était ébahie. Comment pouvait-on ignorer qu'une machine grondante venait de passer tout près, faisant trembler les murs, se fissurer le plafond ? La fille se tourna alors vers elle, avec un regard étonné.
« Mais de quoi tu parles ? C'était certainement juste le chariot des femmes de ménage qui vient - CONTEXTE HISTORIQUE ET DIALECTIQUE -  de passer, comme d'habitude.  
- Dans ce cas comment le café s'est renversé ? » Sa voisine lui fit alors un signe de tête vers le bureau. Le gobelet fumant était toujours là, bien à sa place. Elle s'affaissa. Avait-elle rêvé ? Son amie était déjà retournée à sa prise de note et ne la regardait plus.
D'ailleurs, personne, en fait, ne semblait avoir remarqué quoi que ce soit. Choquée, elle n'ouvrit plus la bouche jusqu'à la fin du cours. Elle avait envie de se lever et crier. Elle s'était figée devant ses personnages de papier, fées et autres fantômes, qui lui renvoyaient son regard médusé. La fin de l'heure passa sans qu'elle s'en rende compte. Enfin, midi sonna. Prise dans ses pensées, elle rassembla lentement ses affaires. Près de la porte, le professeur ré-expliquait un point du cours à un élève -ALIÉNATION-.  En sortant, sa chaussure glissa sur quelque chose. Elle baissa les yeux.
C'était une grosse tache de café noir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Loupiotte ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0