3. Le Grand Ben

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Margaux qui fête ses 20 ans aujourd’hui a du mal à croire ce qu’elle est en train de vivre. Quelle est la probabilité qu’il se passe un événement comme ça alors que c’est la première fois qu’elle prend l’avion ?

C’est alors que l’interphone commence à grésiller. Une voix rauque avec un fort accent qui glace le sang de Margaux :

« Chers passagers. Respirez un bon coup tout va bien aller. Nous sommes maintenant sous la direction d’Allah. Nous allons revenir en France pour se poser et tout ira bien. Ne tentez rien et rester tranquilles sinon c’est la chute qui vous guette. Mon nom est Ben, vous ne l’oublierez plus jamais. Le monde connaîtra mon nom. Le grand Ben qui pris possession d’un grand avion de ligne. Ne vous inquiétez pas pour vos camarades, s'ils ont eu une vie vertueuse, le paradis leur ouvrira ses portes. C’était une opération nécessaire pour le bon déroulé de ma mission. Mohamed a été pilote dans une autre vie alors pas d’inquiétude à avoir, il sait piloter. C’est pour cela que j’ai dû me débarrasser des deux autres pilotes. Ce n’était que des incapables. Ah oui et... Pas d’inquiétude, nous communiquons avec la tour de contrôle... Ils savent que tout va bien dans cet avion. La direction nous est donnée par Allah. Allah est grand, il saura nous guider. Passez un bon vol, à tout à l’heure. ».

Un silence pesant s’abat sur la cabine. Personne n’ose parler ni bouger. Les parents tiennent leurs enfants dans leurs bras s’accrochant à eux comme on s’accroche à une branche en pleine dérive. Certains tentent vainement d’appeler leur famille ou de l’aide mais à plus de 11000m au-dessus du sol, aucun téléphone ne passe.

Mathéo sert son doudou un peu plus fort contre lui, tandis que Sandro commence à s’agiter. « Sérieusement ?! On ne peut rien faire ?! On se laisse trimballer comme des débiles par des malades ?! ». Martin tente de lui expliquer le mécanisme d’ouverture des portes du cockpit mais rien n’y fait. Il jure et insulte la terre entière.

En regardant par le hublot, Camille remarque rapidement que l’avion est en train de descendre. Elle donne un petit coup discret à Julio pour le lui annoncer. Son regard inquiet qui croise le sien confirme qu’il a compris. Même un peu désorientés, ils savent tout deux qu’ils ne sont pas à une distance suffisante de l’aéroport pour entamer une descente. Julio regarde la cabine et Anna qui fait son possible pour rassurer les passagers. Il essaye de rester positif mais il a de plus en plus de mal à lutter contre les idées noires. Il pense à sa mère restée en Italie et se demande pourquoi il a tout quitté pour exercer un métier où tout peut basculer en quelques secondes.

Alors qu’il se perd dans ses pensées, il entend Anna appeler à l’aide. Une passagère vient de perdre connaissance. C’est Sarah, la jeune femme qui a fui son ex-mari violent avec sa fille Nina. Anna était en train de servir un verre d’eau à sa petite fille quand la jeune maman s’est soudainement évanouie. Camille et Julio accourent pour aider Anna. Ils mettent Sarah en position latérale de sécurité et tentent de découvrir ce qui a pu se passer. C’est un passager qui s’écrit tout d’un coup : « Pendant le virage ! Un bagage lui est tombé dessus ! ».

La jeune femme se réveille, demande sa fille, essaye de se relever puis retombe lourdement sur son siège. Anna qui lui tient la tête lui demande de rester couchée. Elle commence à lui poser des questions mais Sarah ne sait plus vraiment où elle est et surtout, elle a très mal à la tête.

Aucun des trois PNC ne sait vraiment quoi faire. En cas d’urgence normalement, ils doivent en informer le commandant de bord qui fera une descente d’urgence et prendra contact avec le SAMU. Mais là impossible. Ils savent qu’ils ne peuvent rien faire en cas de traumatisme crânien. Alors Anna pose un masque à oxygène à Sarah et demande à plusieurs passagers de veiller sur elle, de lui parler et de la prévenir immédiatement si elle perd connaissance à nouveau.

Pendant ce temps, Martin a fini sa tournée d’eau. Il s’aperçoit soudainement lui aussi que l’avion descend.

Et d’un seul coup, il panique. Il s’accroche au hublot et commence à hurler « Non non non non ce n’est pas possible... Pas ça... Pas ça pas ça pas ça... ». Julio se précipite vers lui pour le calmer mais malgré ses 30 années d’expérience, le steward tourne en boucle « On va tous mourir ! On va tous mourir ! ».

Le calme qui régnait dans la cabine se transforme en panique générale. Les passagers s’effondrent en larmes. Anna réagit au quart de tour et s’empare du Public Address[1]. Dans toute la cabine résonne alors sa jolie voix douce :

« Calmez-vous ! Ça va aller ! C’est vrai, l’avion descend et c’est vrai, c’est inquiétant. Mais il ne faut pas perdre espoir ! Il y a plusieurs aéroports avant Paris où l’on peut atterrir. En plus, les autorités doivent sûrement être au courant maintenant qu’il y a un problème dans l’avion. Alors restez positifs ! Pensez à vos familles que vous allez bientôt pouvoir serrer dans vos bras. À cette histoire que vous allez pouvoir raconter à vos amis, vos enfants ou vos petits-enfants. Et vous savez le meilleur ? C’est que les écrans des sièges marchent encore alors vous pouvez regarder un vieux film bien pourri pour passer le temps ! ».

Elle est forte Anna se dit Julio. Elle a réussi à faire cesser l’effet de panique et en plus, elle se paie même le luxe de faire rire les passagers malgré la situation. Il la trouve jolie. C’est la première fois qu’il regarde vraiment l’une de ses collègues. Il change tellement souvent d’équipage qu’il a cessé de remarquer les hôtesses. Il rit intérieurement : c’est bien le moment de tomber amoureux... Alors qu’il va sûrement mourir dans quelques minutes ou quelques heures !

Mais c’est vrai qu’avec ses cheveux bruns ondulés un peu en bataille, ses yeux verts en amande qui brillent d'une lueur espiègle et ses légères tâches de rousseurs.... Et plus il y pense, moins il arrive à détacher le regard de la jeune hôtesse de l’air. Anna tourne la tête vers lui, croise son regard et lui sourit. Il remarque sa petite fossette du côté gauche. Il ne l’avait pas vu avant... Julio se dit qu’il devrait faire plus attention aux gens qu’il rencontre désormais.

Anna s’approche de lui. Elle lui sourit à nouveau et lui demande s’il va bien. Pour la première fois, Julio se surprend à bégayer... Il ne sait plus quoi répondre, il oublie même qu’il est dans cet avion détourné. Il ne voit plus qu’elle. Anna réitère sa question une lueur inquiète dans les yeux « Julio ! Tu vas bien ? ». « Oui oui ça va t’inquiète pas ! Je... Je trouve que tu as vraiment géré pour l’annonce aux passagers. C’est vraiment bien ce que t’as fait. Oli... Olivia serait fière de toi. ». Ses yeux s’embrument, il a fait mouche. Elle le remercie de sa jolie voix douce et balaye de la main une larme qui s’échappe de son œil. Il tend les bras pour la serrer contre lui quand un passager la prend par le bras en s’écriant :

« J’AI DU RÉSEAU !!! On peut appeler de l’aide !! ». Anna s’écarte brusquement et prend le téléphone que l’homme lui tend. Elle le regarde, du haut de son grand âge, l’homme a les yeux qui brille, l’espoir renaît. Elle regarde les deux petites barres de réseau. Si elle s’écoutait, là tout de suite, elle appellerait César, son petit frère de 16 ans. Elle a besoin de lui dire qu’elle l’aime, même s’il le sait. C’est la personne qu’elle aime le plus au monde ; elle donnerait sa vie pour lui. À la mort de ses parents alors qu’elle n’avait que 18 ans, elle s’est occupée de lui jour et nuit pour lui permettre d’avoir une vie aussi belle et joyeuse que possible.

Alors qu’elle est à deux doigts de composer son numéro, son regard survole la cabine avec tous les passagers qui, les yeux rivés sur elle, espèrent sortir de ce cauchemar. Elle se ravise et compose le 17.

Bip... bip... bip... bip.

Bip... bip... bip... bip.

Bip... bip... bip... bip.

Anna essaie encore et encore. Plus les « bip » s’enchaînent, plus son visage se ferme. Ils ont du réseau, oui, mais ils ne peuvent pas appeler. Les autres passagers qui essaient d’appeler leurs proches grâce à ces deux petites barres de réseau sur leurs téléphones font le même constat.

Certains balancent leur téléphone par terre, d’autres s’effondrent en larmes. Anna craque et des larmes coulent sur ses joues. Alors Julio s’approche doucement d’elle et la sert dans ses bras.

[1] Public Address : interphone pour s’adresser aux passagers.

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