Chapitre 38

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Attelé à son bureau, le père Mathieu tentait d’écrire son texte pour la messe du lendemain lorsque des pas retentirent dans la nef. Il termina sa phrase avant de se lever pour sortir de la pièce, aussi petite qu’un placard à balais.

L’église était vide, uniquement occupée par les bancs et la croix du Christ. Alors qu’il s’apprêtait à faire demi-tour, le prêtre aperçut un reflet bleu du coin de l’œil. S’approchant du piano, il découvrit un petit galet bleu strié de doré posé sur une enveloppe. Il ouvrit cette dernière et déplia la feuille de papier qui s’y trouvait.

« Mon père,

Merci pour l’autre soir, Ronan aurait adoré, j’en suis sûre. J’avais peur de lui dire au revoir, mais il le fallait. Vous savez, vous êtes la seule personne en qui j’ai longtemps eu confiance. Vous m’avez ouvert votre porte, vous avez été un modèle pour Ronan. Et pour moi. Je vous dois bien plus que je ne pourrais l’admettre.

Cependant, je dois partir. Je pense que vous comprendrez. Ce village contient bien trop de souvenirs que je ne peux affronter. M’y promener, c’est un peu comme déambuler dans le passé. Je ne peux plus marcher dans ces rues sans tenir sa main, je ne peux plus me promener dans la forêt sans y voir son ombre. Et je ne peux plus venir à l’église sans entendre son rire y résonner. J’espère que vous trouverez quelqu’un pour la faire chanter à ma place.

C’est étrange, avec Ronan nous nous rendions presque quotidiennement à la maison aux lanternes, espérant pouvoir la visiter un jour. Cette bâtisse inhabitée était notre sanctuaire, j’y ai des souvenirs merveilleux. Et maintenant que je pars, je me dis qu’elle sera de nouveau vide, et que ma maison sera toujours pleine de fantômes. Chaque chose reprend sa place, le monde est simplement déréglé par l’absence d’un petit bout d’univers.

Je pars avec mes amis. Comme le dit Etienne, nous allons partager nos solitudes. Je vais vivre quelque temps chez Tim et Hippolyte, leurs parents acceptent de m’accueillir. Ils vivent dans une petite ville au bord de la mer. J’ai hâte de pouvoir enfin la voir.

J’ignore de quoi ma nouvelle vie sera faite, mais je compte bien réaliser chacun des rêves de Ronan. Ainsi, quand ce sera mon tour de partir, je pourrais peut-être me dire que cette vie valait la peine d’être vécue.

Ce ne sera pas facile, je le sais, mais je crois que c’est la bonne solution. Vous me manquerez beaucoup. Mais, ne m’en voulez pas, je ne reviendrai pas. Et je ne vous écrirai pas. Il faut que j’avance, j’ai passé bien trop temps à oublier l’avenir.

Merci de m’avoir offert un toit, un piano, et un peu d’amour.

Baptiste aurait été fier de vous.

Avril.

PS : Je vous laisse ce galet, c’était le préféré de Ronan. Vous ne l’avez pas cru lorsqu’il vous a dit qu’il contenait l’univers. Même si nous savons tous les deux que l’univers était un petit garçon, je crois qu’il avait tout de même raison. Regardez bien. »

Debout près du piano, seul dans l’église, le père Mathieu sourit malgré les larmes qui coulaient sur ses jours, serrant le galet dans sa main. Bien qu’attristé, il était soulagé de voir cette jeune fille prendre son envol. Il se dirigea vers le clocher, songeant qu’aujourd’hui était un grand jour. Pas un mariage, ni un baptême ou une communion. Non, quelque chose de plus discret, de plus profond. Une émancipation, un premier pas vers la liberté.

Glissant le galet et la lettre dans sa poche, le père Mathieu attrapa la corde à deux mains avant d’y coller son front. Il laissa le sel humidifier ses lèvres, submergé par l’émotion. Aidé par le souvenir d’une petite main posée contre la sienne sur cette même corde rêche, il tira fort. La cloche sonna, sa mélodie résonna dans l’église avant de s’envoler au-dehors, accompagnant les premiers battements d’ailes d’un oiseau qui quittait enfin son nid.

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