Épilogue

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Les pieds dans l’eau, Avril observait l’océan qui s’étendait à perte de vue. Les reflets du soleil dansaient sur les vagues et le vent faisait frissonner la jeune fille qui ne bougea pourtant pas de son poste d’observation. Elle aimait sentir ses pieds s’enfoncer un peu plus dans le sable chaque fois que la mer venait les caresser.

Il y a quelques heures encore, Avril était assise dans l’une des salles du tribunal, la même depuis trois jours. Les mêmes murs, les mêmes fenêtres, les mêmes bancs, les mêmes jurés. Le même accusé. La même victime.

Après de nombreux témoignages, dont le sien, difficile et douloureux, ce fut au tour de l’accusé de parler. Avril redoutait ce moment. Il allait affirmer que c’était elle qui avait tué Ronan, comme son avocate tentait de le démontrer depuis le début du procès, provoquant une vague de nausée chez la jeune femme. Le pire avait été de voir le doute s’installer dans le regard de certains jurés.

Elle avait gardé les yeux résolument fixés au sol pour ne pas Le voir, incapable de Le regarder depuis le début du procès. Même sans l’observer, elle pouvait sentir sa présence et luttait de toutes ses forces pour ne pas laisser les souvenirs l’envahir, bien que quatre années la séparent maintenant de ce cauchemar.

La voix de la juge avait empli la salle mais Avril avait été incapable de comprendre le moindre mot, saisie d’une envie soudaine de s’enfuir en courant. Elle avait pris une profonde inspiration en gardant les yeux fixés sur un point précis devant elle afin de ne pas céder à la panique. Petit à petit, la voix de la juge était devenue plus claire, la ramenant progressivement à la réalité.

Puis, Il avait pris la parole. Les mots qu’Il avait prononcés avaient surpris Avril. En levant la tête, elle avait croisé son regard. La douleur et la culpabilité qu’elle y avait vu l’avait clouée sur place.

— Avril ! Viens, tu vas attraper froid !

Tirée de ses pensées, Avril se tourna vers ses amis installés un peu plus haut sur la plage. Raphaëlle et Hippolyte étaient emmitouflés dans une couverture, serrés l’un contre l’autre. Tim donnait discrètement le jambon de son sandwich à Bidouille tandis qu’Etienne attendait Avril, une serviette à la main. La jeune femme dégagea ses pieds du sable et remonta pour les rejoindre.

— La mer est gelée, le vent est glacial et Madame ne trouve rien de mieux à faire que de patauger dans l’eau, la réprimanda Etienne, un léger sourire aux lèvres, lorsqu’elle parvint à sa hauteur.

Avril se laissa tomber aux côtés de Tim pour s’essuyer les pieds avant de piquer un bout de son sandwich.

— Arrête de donner à manger au chien ! le rouspéta-t-elle.

— Oui chef ! ricana Tim avant de l’embrasser sur les lèvres.

Ils restèrent pelotonnés l’un contre l’autre, observant les trois cerfs-volants déployés par leurs amis s’envoler sous les nuages. Bien que l’absence de Ronan lui pince le cœur, Avril aimait ces journées où des dragons de papier volaient dans le ciel tandis qu’elle se laissait bercer par le ressac. C’est grâce aux bras dans lesquels elle se trouvait qu’elle n’avait pas sombré. Parce qu’ils l’avaient serrée fort, la maintenant à la surface, elle n’avait pas coulé. Elle avait appris à nager.

— Bon, je sais pas vous mais je me les caille ! Si on rentrait se mettre au chaud ? suggéra Hippolyte en frissonnant tandis que son cerf-volant s’écrasait sur le sable derrière-lui.

— Bonne idée ! déclara Tim en se levant. On reviendra à la tombée de la nuit, ajouta-t-il en se tournant vers Avril.

— Promis ?

— Promis.

Ils rassemblèrent leurs affaires et se dirigèrent vers le van dont l’intérieur contenait les souvenirs d’un été passé. Un grand soleil avoisinait des flocons de neige. Des petits bonhommes étaient perchés sur le toit d’une maison sans porte. Des montagnes encerclaient un lac. Des oiseaux survolaient un gros chien noir. Un extra-terrestre montrait du doigt l’inscription « The Mystery Machine ». Un mélange de végétation occupait toute la surface d’une planche. Dans un coin, un oiseau prenait son envol vers l’horizon invisible.

***

La lumière des étoiles faisait briller la mer noire qui s’étendait devant eux. Le vent fort et glacial de la journée était tombé, seule une légère brise subsistait. Les gros pulls et parkas dont ils s’étaient vêtus n’empêchaient cependant pas le petit groupe de frissonner dans la nuit froide.

Silencieux, ils écoutaient le calme depuis la falaise, située non loin de la plage où ils s’étaient installés l’après-midi même. Le spectacle de l’eau mouvante les captivait. Tim finit par se pencher pour ramasser le sac en toile posé à ses pieds. Il l’ouvrit et le tint de manière à ce qu’Avril puisse attraper l’urne qui se trouvait à l’intérieur. Elle ôta le couvercle, qu’elle donna à Etienne, et se tourna ensuite vers la mer, tenant entre ses mains ce qu’il restait de son petit frère.

Elle tendit les bras au-dessus du vide et pencha légèrement l’urne, hésitante. Surgissant de ses souvenirs, elle entendit cette voix qui avait retenti dans la salle d’audience le matin même et qui avait énoncé le contraire de ce à quoi elle s’attendait. Les trois mots qu’Il avait articulés balayaient toute nécessité d’en dire plus et soulignaient Son refus de se lancer dans un témoignage long et douloureux.

— Je suis coupable.

Le doute se dissipa et un sourire et se dessina sur le visage d’Avril. Elle renversa un peu plus l’urne, laissant les cendres s’échapper de cette boîte en cuivre, les libérant enfin d’une cage qu’elle n’était pas seule à ouvrir. Dansant avec le vent, elles se mêlèrent à la nuit, s’envolant toujours plus haut, jusqu’aux étoiles.

Jusqu’à la lune.

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