Chapitre 27

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Après être restée enfermée entre quatre murs pendant si longtemps, l’air frais réveilla la jeune fille. Elle leva la tête et accueillit les rayons du soleil sur sa peau. Tim proposa de rentrer à pieds et ils marchèrent côte à côte, en silence, le long de la route. Bidouille les accueillit à leur arrivée en aboyant depuis le perron. Avril attrapa la main de Tim avant de pénétrer dans la maison.

— Merci de m’avoir accompagnée.

— C’est normal. Tu peux être fière de toi.

Ils ôtèrent leur blouson et leurs chaussures avant de rejoindre leurs amis dans la véranda. Avril s’assit à côté de Ronan qui jouait avec ses dinosaures par terre et le serra dans ses bras pendant que Tim répondait aux questions, assurant que tout c’était bien passé.

— On vous a laissé du gratin dans le four, déclara Etienne.

Avril se tourna vers l’horloge et découvrit que l’après-midi était déjà bien avancé. Elle ne pensait pas être restée si longtemps à la gendarmerie. Ils mangèrent à même le plat en écoutant Ronan leur raconter la visite du musée. Il avait adoré la partie sur les dinosaures et montra à Avril la nouvelle figurine qu’Etienne lui avait offerte. Le jeune homme garda la tête baissée lorsqu’Avril le remercia, gêné. Ronan demanda ensuite à faire une sieste et monta se coucher avec Hippolyte.

Avril sortit s’asseoir contre le châtaignier qu’elle apercevait le matin depuis son lit. À sa grande surprise, Etienne la rejoignit quelques minutes plus tard. Ils contemplèrent les nuages qui passaient dans le ciel, laissant leur imagination y voir des formes.

— Je voulais te dire… Je te trouve courageuse.

Avril quitta son éléphant de coton des yeux pour se tourner vers Etienne. Il triturait nerveusement une peau morte de son pouce.

— Il faut que je te dise quelque chose…

— Je sais, le coupa Avril.

Etienne leva la tête, surpris.

— Je sais que c’est toi qui as prévenu mon beau-père que Ronan et moi étions ici.

— Comment ?

— Je me souviens de ton coup de téléphone. Et je t’ai entendu hier soir.

Le jeune homme baissa la tête, honteux. La culpabilité et le dégoût lui tordaient les entrailles.

— Je t’en ai voulu. Pendant quelques secondes. Je vis ici depuis mes cinq ans et je sais que des rumeurs circulent sur ma famille, sur mon beau-père. Mais personne n’a jamais rien fait. Tout ce que les gens faisaient, c’était se conforter dans l’idée que cela ne les regardaient pas, qu’il valait mieux ne rien faire. Ici, je me suis sentie écoutée. Accompagnée. Encouragée.

Etienne garda son visage entre ses mains de telle sorte qu’Avril ne pouvait voir les larmes qui coulaient sur ses joues.

— Tu as mis la vie de mon frère en danger. Et je t’en ai voulu pour ça. Pendant quelques secondes. Tu as brisé la protection que j’avais imaginée autour de cet endroit. Mais ça m’a fait réagir. Mon frère n’est en sécurité nulle part. Pas tant que je ne parle pas, pas tant qu’Il est libre. Oui, je t’en ai voulu. Puis j’ai croisé ton regard et les remords que j’y ai lus semblaient si grands que ma rancune s’est envolée. Elle ne sert à rien. Le mal est fait. Ce qui compte, c’est l’instant présent. Etienne, je ne t’en veux pas. Je ne t’en veux plus.

Avril posa sa main sur le dos du jeune homme et sentit les muscles trembler au rythme des sanglots.

— J’ai honte, murmura-t-il entre deux hoquets. Quand je t’ai vu recroquevillée par terre, quand je L’ai vu se déchaîner sur toi, c’est comme s’Il me frappait. Je me suis pris ma connerie en pleine gueule. Comment j’ai pu être aussi con.

Avril le serra dans ses bras. Il laissa couler sa honte tandis qu’elle lui transmettait son pardon dans son étreinte. Une fois calmé, il se redressa et s’essuya le visage avec sa manche.

— Tu sais, on adorait venir ici avec Raphaëlle quand on était petits. On jouait à des jeux de société, on se promenait, on regardait des films. Passer du temps avec nos grands-parents était merveilleux. Chaque fois qu’on venait, c’était comme si le temps s’arrêtait. Parfois, j’accompagnais mon grand-père dans son établi, dit-il en désignant la petite cabane en bois à la lisière de la forêt. Je l’observais bricoler, fabriquer, sculpter. Un jour, pendant qu’on réparait les lanternes, je devais avoir treize ans, il m’a demandé comment ça se passait au collège, si j’avais une petite copine. Je lui ai répondu que non, je n’en avais pas et que je n’en aurai jamais puisque je préférais les garçons.

Etienne s’interrompit, perdu dans ses souvenirs, les yeux rivés sur l’établi en bois.

— Il m’a dit de ne pas dire des choses pareilles, que je faisais honte à notre famille. Il m’a dit que c’était une maladie, que je guérirais, mais qu’en attendant il valait mieux que je ne vienne plus ici. Il a dit qu’il ne voulait pas de petites fiottes chez lui. Je ne suis jamais revenu et je n’en ai parlé à personne.

— Tu t’es occupé de tes amis tout en restant distant parce que tu ne voulais pas t’imposer, murmura Avril qui pensait tout haut. Tu leur as caché une part de toi pendant toutes ces années parce que tu avais peur qu’ils te rejettent.

Avril s’accroupit face à Etienne et l’obligea à lever la tête, attendant de le regarder dans les yeux avant de poursuivre.

— Tu t’es occupé de ta sœur et de tes amis sans te soucier de ce que tu ressentais. Mais quand quelqu’un s’incrustait, tu avais peur de voir ton équilibre voler en éclat, de te voir mis de côté. Mais pour t’imposer pleinement, pour prendre ta place, tu as besoin de leur dire ton secret, ce qui est impossible puisqu’ils te rejetteront aussi. Du moins, c’est ce que tu crois.

Les larmes coulèrent de nouveaux sur les joues du jeune homme.

— Etienne, tu es homosexuel, certes. Mais tu n’es pas que ça. Tu es passionné, loyal, attentionné. C’est une part de toi, une part difficile à assumer dans notre société. Mais ce n’est pas la plus importante, ce n’est pas celle qui te définit. Ton homosexualité ne te définit pas, tu m’entends ? Et tes amis le savent.

Elle enlaça Etienne dans ses bras et pleura avec lui, laissant le goût de sel s’installer dans sa bouche.

— T’es tellement forte, hoqueta Etienne, le visage pressé contre le pull d’Avril. T’es une leçon de vie. Chaque fois que je te vois sourire, que je t’entends rire, je me prends une claque dans la gueule. Je dois prendre exemple sur toi. Je dois leur dire.

— Je ne te forcerais pas à le faire, tu leur diras quand tu seras prêt. Mais je serais là, je ne te lâcherais pas. Tu m’entends ? Je te lâche pas.

À la lisière de la forêt, derrière une maison de pierre, l’air se teinta de pardon et d’amitié naissante. Par la fenêtre de l’établi, la honte et le dégoût s’envolèrent haut dans le ciel pour se lover dans un nuage au parfum de clémence.

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