Chapitre 3

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Assise contre un frêne, Avril grignotait des framboises en observant son petit frère fouiller le sol et les buissons à la recherche de nouveaux petits trésors. Le soleil avait disparu derrière les nuages et une légère brise faisait frissonner la jeune fille. Le bruit du ruisseau leur parvenait, accompagné du chant d’un troglodyte perché quelques branches plus loin. Voyant les nuages s’amonceler dans le ciel, Avril déclara qu’il était temps de rentrer.

— J’ai pas envie, soupira Ronan.

— Je sais bien, moi non plus, mais je crois qu’il va pleuvoir.

— Est-ce qu’on peut passer à la maison aux lanternes avant ? S’il-te-plaît s’il-te-plaît s’il-te-plaît !

— Tu as trouvé des trésors ?

— Euh… Oui… bafouilla Ronan en cherchant autour de lui. Celui-là ! déclara-t-il en attrapant une branche en forme de baguette de sourcier.

Avril soupira mais ne put se résoudre à lui dire non. Ils rangèrent le pique-nique dans le sac et rejoignirent le sentier jusqu’au vélo. Ronan grimpa dans son siège et Avril poussa la bicyclette jusqu’à la route avant de pédaler en direction de la maison aux lanternes. À l’approche de la bâtisse, elle perçut quelque chose de différent dans l’atmosphère, comme si un changement s’était opéré durant la nuit. Elle arrêta le vélo à l’entrée du chemin parsemé de cailloux et aida Ronan à descendre avant de parcourir le reste de l’allée à pieds.

La maison apparut au détour d’un virage, jusqu’alors dissimulée par la végétation. Les volets en bois étaient ouverts, des cartons étaient empilés devant la porte d’entrée et un van noir était garé sur le chemin de gravier menant à la route. Ronan, qui marchait devant elle, s’arrêta, surpris.

— Mes trésors ! s’écria-t-il soudain en courant.

Un énorme chien noir surgit de derrière la maison, courant vers le petit garçon en aboyant. Paniquée, Avril lâcha le vélo et se précipita à la suite de son frère, le rattrapant en rien de temps. Elle le prit dans ses bras au moment même où l’énorme bête les rejoignait, se mettant à leur tourner autour.

— Bidouille ! Au pied !

Un jeune homme sortit de la maison, descendant précipitamment les marches du perron. Tout de noir vêtu, il semblait avoir la vingtaine. Il attrapa le collier du chien afin de le maintenir à l’écart et le fit s’asseoir.

— Ça va, vous n’avez rien ? demanda-t-il.

— Non, répondit Avril.

— Bidouille est imposant et un peu effrayant, mais il est très gentil et il adore les enfants.

Avril ne dit rien, gênée. Tout ce qu’elle souhaitait, c’était faire demi-tour et pédaler loin d’ici.

— Bonjour !

Un autre garçon les rejoignit, ses bouclettes châtain dansant au rythme de ses pas. Son teint mat et son grand sourire le rendait sympathique et moins austère que le premier.

— Moi c’est Hippolyte, vous avez déjà rencontré mon frère Tim.

— Moi c’est Ronan, intervint le petit garçon, heureux de faire les présentations. Et ma sœur, c’est Avril.

— Enchanté, répondit Hippolyte. Qu’est-ce qui vous amène ici ?

— Je veux récupérer mes trésors !

— Tes trésors ? Et ils sont où ?

— Dans la véranda, répondit Avril en baissant les yeux.

— Mais c’est qu’elle parle ! s’écria Tim. Attendez, les cailloux, les branches et tout le bric-à-brac qui traînait, c’était à vous ?

— C’est pas des briques à braques ! C’est mes trésors ! Ils sont où ?

— Ronan soit gentil, intervint Avril, intimidée. On ne va pas les embêter avec ça, on en trouvera d’autres.

— Non ! Je veux mes trésors ! s’énerva Ronan, devenant tout rouge.

Sentant la situation lui échapper, Avril décida d’en finir au plus vite.

— Je suis désolée, on pensait que cette maison était inhabitée. Il y tient vraiment beaucoup. Vous ne les avez pas jetés, si ? ajouta-elle avec une pointe d’inquiétude.

— Non, pas encore, répondit Hippolyte. Venez.

Avril le suivit, tenant toujours Ronan dans ses bras. Ils grimpèrent les quelques marches du perron et entrèrent dans la maison. Aux yeux de la jeune fille, l’intérieur était aussi beau que la façade. Le visage de Ronan s’illumina lorsqu’il réalisa où il se trouvait.

La porte d’entrée donnait sur un couloir aux murs recouverts d’une tapisserie fleurie dont les motifs étaient quelques peu défraîchis. Sur la gauche, une ouverture dévoilait un salon avec un canapé jaune, des fauteuils en cuir et une cheminée. Une vieille télévision était posée dans un coin, débranchée, à côté d’un tourne-disque sur pieds. Au bout du couloir se trouvait une cuisine spacieuse aux airs vintages. Sur la droite, une table à manger en bois occupait la fameuse véranda aux vitres cassées, maintenant remplacées par des plaques de bois. De nombreux bibelots habitaient la maison : un vieux téléphone débranché, un métronome cassé, des poupées russes, des figurines en verre, des boîtes aux motifs divers et plein d’autres babioles. De multiples cadres étaient posés sur les meubles ou accrochés aux murs et la plupart des photos en noir et blanc étalaient le bonheur d’une famille au fil des âges. Des cartons étaient dispersés dans les pièces et le couloir, obligeant Hippolyte à les pousser pour se frayer un passage.

Derrière le plan de travail de la cuisine, occupé à préparer des tartines, se trouvait un troisième garçon dont la peau pâle faisait ressortir la noirceur de ses cheveux décoiffés. Vêtu d’une marinière et d’un pantalon en toile bleu, il ne remarqua pas la présence des nouveaux venus.

— Hippo, tu veux quoi, du chocolat ou de la confiture ?

— Chocolat. On a des invités.

L’inconnu leva la tête et ses yeux bleus ciel rencontrèrent ceux d’Avril.

— Bonjour, déclara-t-il froidement.

— Bonjour, répondit Avril d’une petite voix.

Des chaussures claquèrent sur les marches de l’escalier en bois sombre qui se trouvait juste à droite de la porte d’entrée. Avril se retourna et découvrit une fille qui semblait avoir son âge, vêtue d’un short noir, de bottines délacées et d’un t-shirt à l’effigie d’E.T. tellement large qu’il dénudait l’une de ses épaules, dévoilant le haut de son soutien-gorge. La nouvelle arrivante se déplaçait d’une démarche enjouée, presque sautillante.

— Ah, il me semblait bien avoir vu du monde dehors ! Bonjour ! s’exclama-t-elle.

À la grande surprise d’Avril, la jeune fille s’approcha d’elle et lui fit la bise, ainsi qu’à Ronan, avant de faire le tour du plan de travail. À la voir à côté du troisième garçon, Avril n’eut aucun doute sur le fait qu’ils étaient frères et sœurs : mêmes cheveux noirs, même peau pâle et surtout, mêmes yeux bleus.

— Avril, Ronan, déclara Hippolyte, je vous présente Raphaëlle, ma copine, et son frère jumeau, Etienne.

— Enchantée !

Si Raphaëlle semblait sincèrement ravie, Etienne ne dit rien, gardant les yeux rivés sur ses tartines.

— Tu veux une tartine à quoi ? demanda-t-il à sa sœur.

— J’en veux pas. Qu’est-ce que vous faites ici ?

— Mes trésors ! Je veux mes trésors !

— Ronan, sois plus poli. Recommence.

— Mes trésors ! Je veux mes trésors !

Perdant patience, Avril posa Ronan par terre et s’accroupit face à lui. Elle voulait rentrer chez elle et se pelotonner dans son lit pour ne plus en sortir.

— Regarde-moi. On ne dit pas « je veux », on dit « s’il-vous-plaît », et on est gentil avec les gens.

— Mais je veux mes trésors, murmura Ronan en gardant la tête baissée, au bord des larmes.

— Demande gentiment, comme je t’ai appris.

Elle se releva et poussa doucement Ronan devant elle, afin de l’encourager. Le petit garçon garda la tête baissée et réitéra sa demande, d’une seule traite.

— Estcequejepeuxavoirmestrésorss’ilvousplaît ?

— Il est trop mignon ! s’exclama Raphaëlle. Mais c’est quoi, ces trésors ?

— Viens, suis-moi bonhomme.

Ronan regarda sa sœur avant de prendre timidement la main qu’Hippolyte lui tendait. Ce dernier l’entraîna vers des cartons ouverts disposés en vrac sur la table à manger. Il attrapa Ronan pour le porter afin qu’il puisse voir l’intérieur de l’un d’entre eux. Le visage du petit garçon s’illumina d’un grand sourire.

— Avril ! Ils sont là ! Ils sont tous là !

Soulagée, Avril s’approcha et découvrit des galets aux couleurs diverses, des branches aux formes étranges, et des pommes de pin plus ou moins ouvertes au fond d’un carton.

— Ah c’est ça ! s’écria Raphaëlle en s’approchant. Quand on a trouvé tout ça dans la véranda, on n’a pas su quoi en faire. Heureusement que vous êtes passés aujourd’hui, sinon je pense qu’on les aurait balancés dehors…

— Vous pouvez prendre le carton, ce sera plus simple pour les ramener chez vous, ajouta Hippolyte, tenant toujours Ronan contre lui.

— J’ai pas le droit de les ramener à la maison, mon papa il sera pas content et il va les jeter, expliqua Ronan. Avril, tu crois que le père Mathieu, il voudra bien les garder ?

— Je ne sais pas, peut-être.

Le silence plana quelques instants, jusqu’à ce que Raphaëlle les fasse tous sursauter, même Etienne qui semblait jusqu’à présent s’être coupé du monde.

— J’ai une idée !

— Nous tuer d’une crise cardiaque ?

— Vous n’avez qu’à les laisser là ! expliqua-elle, ignorant le sarcasme de Tim. On les garde ici, et tu peux passer les voir quand tu veux, ajouta-elle à l’adresse de Ronan.

Du coin de l’œil, Avril vit Etienne relever la tête. Cette idée ne semblait pas lui plaire, même s’il ne dit rien.

— C’est une bonne idée. Qu’est-ce que t’en dis bonhomme ? demanda Hippolyte.

— Oui ! Avril, t’es d’accord ? Dis, t’es d’accord ? S’il-te-plaît, dis oui !

— Je ne sais pas, murmura la jeune fille.

— Allez, ça nous fait plaisir ! Et puis, on ne connaît personne ici, insista Hippolyte.

Bien que mal à l’aise à l’idée de revenir, Avril ne put résister au sourire de son petit frère et accepta, ce qui sembla ravir les deux amoureux.

— Bon, vous restez goûter ? proposa Tim.

— Non, merci, il faut vraiment qu’on rentre.

Une fois reposé à terre, Ronan attrapa la main de sa sœur et la suivit vers la sortie. Il fit un signe à ses nouveaux amis afin de leur dire au-revoir. Puis, poussé par Avril, il se retrouva dehors, assis sur le vélo. Avril s’éloigna le plus vite possible sans prêter attention à Raphaëlle et Hippolyte qui les observait depuis le perron. Couché dans l’herbe, Bidouille mangeait les restes du pique-nique qui traînaient par terre, tombés du panier dans la précipitation. Les premières gouttes de pluie s’écrasèrent sur le verre des lanternes suspendues aux arbres, toujours éteintes.

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