Chapitre 2

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Tout était noir, les couleurs avaient disparues. Les sons résonnaient contre des murs invisibles. Perdue, Avril cherchait un point de repère, une sortie, quelque chose. L’écho diminuait, se transformant en claquement de pas. Avril se mit à courir, ignorant où aller. Les pas la suivaient, quelle que soit la direction qu’elle prenait. Son cœur battait si fort, elle ne parvenait plus à respirer tant la peur l’étreignait fort. Un cri retenti. Une voix, un ordre. « Ne reste pas là, va-t-en ! Sauve-toi avant qu’il ne soit trop tard ! ». Au loin, une silhouette apparu, figure noire mouvante sur l’obscurité environnante. Elle courait vers Avril. Paniquant, la jeune fille leva le bras droit, pointant une arme à feu vers l’inconnu, et appuya sur la gâchette. Le coup de feu tapa contre ses tympans, suivi du bruit mat d’un corps s’écroulant au sol. Avril s’approcha doucement vers le mort. La morte. Toute de noir vêtu, seuls les cheveux roux détonaient. Elle avait son visage.

***

La pâle lumière du matin passait à travers les volets, tirant Avril de son sommeil. Elle chassa les images de son cauchemar et s’étira dans son lit avant de fixer le plafond, guettant les bruits de la maison. Elle entendait sa mère s’activer dans la salle de bain, se préparant avant de partir au travail. Les pas lourds de son beau-père sur la moquette se dirigèrent vers la porte d’entrée, suivit quelques secondes plus tard du grincement plus éloigné du portail.

Avril attendit encore quelques minutes, comme chaque matin depuis le début des vacances d’été. Elle sourit en percevant les petits sons habituels : une poignée grinça, des pas furtifs se firent entendre et la porte de sa chambre s’ouvrit tout doucement, laissant apparaître une petite silhouette. La jeune fille tourna la tête et contempla cette merveilleuse image pour laquelle elle était prête à attendre des heures : son petit frère, dans son pyjama trop grand, les yeux encore bouffis, son pouce dans la bouche et son éternel doudou coincé sous son coude. Il resta posté à côté du lit, sans bouger, jusqu’à ce qu’Avril soulève un coin de la couette. Un grand sourire se dessina sur le visage de Ronan qui grimpa se blottir contre sa sœur.

Lovés l’un contre l’autre, ils observèrent les ombres disparaître, révélant le maigre ameublement de la pièce : le lit double dans lequel ils étaient pelotonnés se trouvait face à la fenêtre, un bureau en bois était disposé dans un coin et une vieille armoire, également en bois, occupait l’autre. Les murs blancs étaient dépourvus de décoration, aucune touche de couleur ne venait apporter un semblant de gaieté à l’endroit. Avril se désintéressa de sa contemplation pour se tourner vers son frère.

— Mon petit prince, prêt pour une nouvelle journée ? demanda-t-elle.

— On fait ‘oi aujou’d’hui ? murmura le petit garçon, son pouce toujours dans la bouche.

— J’ai pensé à un pique-nique. C’est bien, non ?

— Oh oui ! s’écria Ronan en souriant, libérant son doigt. Mais avant on va à l’église, j’ai promis au père Mathieu de l’aider.

Trois coups secs retentirent avant qu’Avril ne puisse répondre. La porte de la chambre s’ouvrit, laissant apparaître leur mère.

— Les enfants, c’est l’heure de se lever. Avril, j’y vais, tu t’occupes de ton frère. À ce soir.

— À ce soir ! répondirent-ils en chœur.

Le silence s’installa dans la maison, occasionnellement rompu par le moteur d’une voiture ou les aboiements d’un chien.

— Bon, déclara Avril d’un air malicieux, je crois que c’est l’heure du petit déjeuner ! Je mangerai bien un petit prince !

Sur ce, elle sauta sur son frère et se mit à le chatouiller. La pièce s’emplit alors de cette douce mélodie qu’est le rire d’un enfant, lui apportant un semblant de vie, comme si les murs se mouvaient au rythme d’un battement de cœur.

— Le dernier arrivé a perdu, cria Ronan en s’échappant des bras de sa sœur.

Avril sourit en sortant lentement du lit et traversa le couloir dont la vieille moquette tachée se décollait, pour se rendre dans la cuisine. Elle passa devant la chambre de son frère, située face à la sienne, et celle des parents, face à la salle de bain. La pièce principale de la maison se divisait entre la cuisine, le salon, et la salle à manger. Pour ainsi dire, la moitié était occupée par de l’électroménager bas de gamme, et l’autre contenait, malgré sa petite taille, une table à manger, un canapé deux places et une petite télévision qui ne diffusait que peu de chaînes, lorsqu’elle captait. Tous les murs étaient blancs, seuls les meubles apportaient de la couleur et le peu de fenêtres ne laissait pas entrer suffisamment de lumière, ce qui donnait une impression d’étouffement.

Avril entama sa routine de tous les jours. Elle servit un bol de céréales à son frère, nettoya la vaisselle laissée par sa mère et son beau-père, mangea à son tour, habilla Ronan, et se prépara pendant qu’il jouait dans sa chambre. Au moment de quitter la maison, elle glissa dans son sac des sandwichs préparés avec le pain de la veille et récupéra la monnaie laissée sur la table pour en acheter du nouveau. Elle ferma la porte à clef et enfourcha son vélo pour emmener son frère dans des endroits plus radieux.

***

Les portes de l’église s’ouvrirent alors qu’Avril s’engageait sur la place du village. Elle accrocha son vélo à un lampadaire tandis que plusieurs personnes commençaient à descendre les marches.

— Plus vite, on est en retard ! s’écria Ronan, impatient.

La jeune fille l’aida à sortir de son siège et le suivit tandis qu’il courait à l’intérieur de l’église, se faufilant dans la foule.

— Ronan, attends-moi !

Le petit garçon rejoignit le père Mathieu, qui l’accueillit d’un large sourire.

— Ah ! Je commençais à croire que tu ne viendrais pas. Allons-y, c’est l’heure.

Avril les suivit au fond du bâtiment, sous le clocher, où une corde pendait dans le vide. Ronan l’attrapa et, aidé du prêtre, ils tirèrent fort, jusqu’à ce que la cloche retentisse dans le village, annonçant la fin de la messe. Ils restèrent ensuite immobiles, les yeux fixés sur cet instrument de métal qui se balançait dans les airs, jusqu’à ce que la dernière note s’évanouisse.

— Bon, vous m’aidez pour le potager ? demanda le père Mathieu.

— Oui ! s’écria Ronan.

— Allez-y, je vous rejoins plus tard, déclara Avril.

Main dans la main, le prêtre et le petit garçon sortirent par l’arrière de l’église qui donnait sur une petite cour où se trouvait la dépendance du curé, ainsi qu’un potager aménagé au fil des années.

Pendant ce temps, Avril retourna dans la nef et s’installa derrière le piano. Profitant du lieu désert, elle fit danser ses doigts sur le clavier de l’instrument, laissant la musique envahir chaque recoin du bâtiment. Jouer lui procurait toujours une sensation de bien-être, comme si une bulle se formait autour d’elle, la coupant de la réalité.

Avril habitait ce village depuis ses cinq ans, soit treize années, et elle ne s’y était jamais sentie bien. Le fait que tout le monde se connaisse l’étouffait et c’est en cherchant un coin d’isolement qu’elle s’était réfugiée dans les bois, loin des maisons, des gens et des regards. Le seul autre endroit où elle était aussi apaisée que dans la nature était l’église, bien qu’elle ne soit pas croyante. Une profonde sérénité imprégnait ce lieu où les bancs en bois craquaient lorsqu’on s’y asseyait, où les murs de pierre étaient recouverts de poussière et où les rayons du soleil qui passaient à travers les vitraux teintaient l’air de multiples couleurs. L’église étant trop petite pour accueillir un orgue, le piano faisait office d’accompagnement pour les chants. Et dès qu’elle en avait le temps, Avril passait y jouer un air et reposer son esprit. Le père Mathieu s’asseyait généralement sur un banc non loin et l’écoutait en silence, les yeux fermés, s’il n’était pas occupé avec Ronan.

Concentrée, elle n’entendit pas son frère revenir, accompagné du prêtre. Ronan vint s’asseoir à côté de sa sœur et la regarda jouer pendant que le père Mathieu s’installait sur un banc. Ils la laissèrent terminer son morceau, se contentant d’écouter. Quelques secondes de silence suivirent les dernières notes, laissant les bruits de l’extérieur remplir petit à petit l’enceinte de l’église.

— On va manger maintenant ? demanda la jeune fille en se tournant vers son frère.

— Oui, j’ai faim !

— Tenez, des framboises du potager, dit le père Mathieu en tendant à Avril un petit sachet en papier.

— Merci, lui souffla-t-elle en prenant les fruits.

— On se revoit demain, déclara-t-il à l’adresse de Ronan. Tu me parleras de tes nouveaux trésors.

Ils s’en allèrent après avoir salué le prêtre et Avril pédala péniblement jusqu’à la sortie du village pour s’enfoncer dans la forêt où aucun mur n’arrêtait le rire d’un enfant.

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