[NON MAJ] Chapitre 6 : Compromis (Partie 2/2)

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Elle ne peut pas en parler. Pas encore. Et pas tant qu'elle doutera encore de lui. Ce serait comme se confier à un inconnu. Elle doit vite changer de sujet.

— Vous avez dit que vous pouviez m'aider à retrouver mes pouvoirs. Comment ?

— En vous amenant au temple où j'effectuais ma formation, soupire Klade en comprenant qu'il n'obtiendra aucune réponse, c'est le dernier en activité aujourd'hui. Nous nous y sommes regroupés car il s'agit de celui où le Seigneur Ophiuchus a grandi et est devenu un Prétendant.

— Celui qui parmi les Prêtres est choisi pour prendre la place du Dieu du Serpentaire lorsque les temps l'exigent, se souvient-elle.

— Exact, et grâce à cet avènement, il y a une réelle empreinte mystique là-bas. Je suis certain qu'une telle atmosphère vous fournira une grande aide.

Kozoro considère un temps la question avant de répliquer :

— Ce n'est pas idiot. Cela pourrait effectivement mieux marcher qu'ici ou ailleurs.

— Heureux de voir que nous sommes enfin d'accord sur quelque chose.

— Cela ne veut pas dire que je vous fais confiance, rétorque-t-elle presque immédiatement. N'oubliez pas que je suis toujours méfiante à votre sujet.

Klade hausse les épaules, ayant depuis longtemps déjà abandonné l'espoir de la faire changer d'avis sur lui un jour.

— Vous avez été on ne peut plus claire à ce sujet, Ma Dame. Je m'en contenterai, tant que vous n'essaierez pas à nouveau de me tuer.

— Tant que vous ne tenterez rien à mon encontre, je m'y engage. Si je m'aperçois que vous me piégez...

— Soyez rassurée, je n'ai aucune intention de vous nuire en quoi que ce soit.

— Nous verrons cela. Je vous rappelle que vous m'avez suivie pendant trois jours, je vous prenais pour un tueur en série ! Honnêtement, vous vous rendez compte que c'était mal ? Vous ne vous êtes jamais demandé si vous étiez dérangé ? Ne vous méprenez pas, je suis heureuse d'être redevenue moi, mais...

Le jeune homme lui fait respectueusement signe de ne pas poursuivre, se passant une main gênée dans ses courts cheveux bruns :

— Ça ne fait rien, et puis vous avez raison, c'était un comportement totalement irrespectueux et digne d'un psychopathe. Je m'en excuse, sincèrement. Je vous assure que jamais ça ne m'était arrivé par le passé, jamais ! J'avoue m'être demandé par moment si j'étais encore sain d'esprit...

Le poing sur le menton, il réfléchit on ne peut plus sérieusement à la question, le regard soucieux.

— Peut-être que non, après tout... Vous ne pouvez pas savoir à quel point votre visage a hanté mes pensées dès l'instant où je vous ai vue. Je savais qu'il y avait quelque chose d'extraordinaire chez vous, je le sentais jusque dans mes tripes.

— Vous n'allez quand même pas me sortir le sempiternel cliché du « et mes tripes m'ont toujours conduit sur la bonne voie » ? l'interrompt l'Incarnation du Capricorne en riant.

— Pas du tout, elles m'ont souvent trompé, ces canailles, rétorque-t-il en réalisant que c'était exactement ce qu'il allait dire, mais pour une fois, je ne saurais toujours dire pourquoi, j'étais absolument certain que je devais les écouter, c'était comme une évidence, une question de vie ou de mort.

— Il y a des lois dans l'Univers qui nous sont inconnues et imposées, parfois sans que nous ne le réalisions. Vous avez dû en faire l'expérience, achève-t-elle dans un léger sourire détendu.

La conversation terminée, Kozoro se lève de table et emmène les couverts dans la cuisine pour les poser dans l'évier. Le Prêtre pourra plus tard se vanter d'être le seul humain au monde à avoir vu un être divin faire la vaisselle.

— Puis-je formuler une requête ? se permet-il de demander après un moment.

— Faites donc, répond-t-elle en essuyant calmement une assiette.

— Notre marché implique que vous répondiez à mes questions une fois que je vous aurais aidée à récupérer vos pouvoirs. J'aimerais modifier notre arrangement.

Elle s'arrête un instant, réfléchissant scrupuleusement, avant de reprendre la conversation :

— En quels termes ?

— À chaque pouvoir que vous obtenez, j'obtiens une réponse à une question.

— C'est tout ? demande-t-elle après une pause.

— C'est tout, confirme-t-il.

Les secondes suivantes se déroulant dans le silence, il commence à craindre qu'elle ne rejette sa requête, jusqu'à ce qu'il l'entende soupirer longuement avant de finalement donner sa réponse :

— Entendu, ce changement me semble approprié.

* * *

— Rargh ! peste Rakovina en jetant furieusement son pied contre une pierre.

Elle a fait preuve d'un sang froid unique plus tôt, digne d'être inscrit dans les annales. Mais il n'a d'égal que la frustration que, telle une furie en cage, son être peine à contenir. Elle qui pensait son éternité scellée, n'aura eu qu'à attendre 500 ans. Certes. Mais elle a tout de même attendu 500 ans ! Et tout ça pour quoi ? Pour se retrouver face à une simple humaine ? Techniquement, Kozoro ne l'est peut-être plus, mais c'est tout comme !

— Je débordais d'une telle joie en arrivant ici ! Et cette joie se transforme en rage ! Oui, j'enrage, je me sens bafouée, humiliée ! Cela faisait si longtemps que mon sang n'avait brûlé jusqu'à enivrer mes veines... Et cette si douce jouissance fut honteusement refroidie par cette... cette...

Et dans un nouveau cri de colère, elle donne au tronc devant elle une gifle si puissante que le point d'impact se retrouve pulvérisé, et le majestueux cèdre s'effondre à moitié déraciné sur ses confrères, qui sombrent à leur tour tel un jeu de dominos.

Elle était venue ici pour retrouver sa gloire d'antan, pas pour errer dans une forêt sans but ni sang à faire couler ! En particulier son sang, cette délicatesse jusqu'à aujourd'hui disparue. Et elle ne peut même pas en jouir, parce qu'il ne vaut plus rien à l'instant ! Elle doit attendre, encore attendre. Jusqu'à présent, elle avait pu se faire à la situation, elle s'était habituée à abandonner ses plaisirs sans broncher, mais désormais, son cœur et ses ongles et ses lèvres avides réclament son dû, réclament le sang. Comment peut-elle encore le leur refuser ?

Rakovina s'arrête soudain lorsqu'un son particulier parvient à son oreille. Un son régulier, frappant la terre, butant sur les pierres et brisant les brindilles. Ce sont des pas qui se rapprochent, les pas d'une personne en train de courir d'une allure sereine. Alors elle se laisse guider par ses sens, et quelques mètres plus loin débouche sur un sentier zigzagant entre les arbres... pour bloquer la route d'un homme vêtu d'une combinaison sportive. Ce dernier stoppe brutalement sa course dans un sursaut.

— Oh ! Vous m'avez fait peur ! Faites attention, j'aurais pu vous rentrer dedans !

L'instant d'après, son regard se concentre davantage sur la tenue pour le moins étrange de son obstacle, plutôt que sur l'obstacle en lui-même, qui par ailleurs semble le dévisager en retour et d'une manière... troublante, perturbante.

— Qui êtes-vous ? Vous venez d'où, là ? D'une soirée déguisée ? Vous vous êtes perdue ? demande-t-il tandis qu'il sent grandir en lui un malaise viscéral, qu'il n'arrive pas à comprendre.

De longues secondes s'écoulent, dans le plus grand des silences, avant qu'un sourire particulier ne fasse revivre les lèvres de la Prêtresse de la Mort : cet imprévu s'annonce fort amusant...

* * *

— Quand devons-nous partir ?

— Lorsque vous vous sentirez prête.

Kozoro termine d'essuyer la vaisselle et range soigneusement chaque élément à sa place dans différents placards. Elle fait ensuite, d'un air presque solennel, le tour de la maison, revisitant chaque pièce comme si c'était à la fois la première et la dernière fois qu'elle les voyait.

Elle commence par la cuisine, bien sûr, où elle se rappelle ses vaines tentatives d'enfant d'atteindre les hauteurs pour manger une glace ; aucune friandise ne l'intéressait, seules les glaces lui faisaient envie. Le salon, où tant de bons moments ont été vécus au coin du feu, devant la télévision et lors des soirées jeux. La salle de bains, où elle se prélassait dans des eaux gelées sans jamais attraper froid, pour la plus grande stupéfaction et fierté de sa famille. La terrasse extérieure, où elle se plaisait l'hiver à sortir méditer des heures durant sous la neige.

Sa chambre, où elle aura passé le plus clair de son temps à admirer dans la plus grande fascination son étagère, remplie du sol au plafond de sabliers de toute sorte et de toute provenance. La chambre de ses parents, qui l'emplit encore aujourd'hui d'une profonde nostalgie rien que par le fait de s'en approcher. L'atelier de son père, où elle l'a observé fabriquer d'innombrables sablier. La bibliothèque de sa mère, où elle passait des après-midi entiers à s'instruire et profiter de la plus grande des tranquillités.

Elle ne peut réprimer un léger soupir. C'était une belle vie. Courte, mais belle, remplie d'amour et certes de tristesse, mais au fond si douce, digne d'être enviée. Et elle va devoir tout laisser derrière elle, jusqu'à son identité. Elle aimait bien ce nom... Madana Vesmir... Elle a toujours trouvé qu'il sonnait bien. Les Incarnations, elles, n'ont pas de nom de famille. Seulement un prénom se transmettant d'existence en existence. Ce n'est même pas leur père qui l'a choisi, c'est lui qui leur est venu du plus profond du cœur. En fin de compte, si l'on y pense bien... l'Univers a toujours tout décidé pour elles. Jamais, avant aujourd'hui, la Déesse ne s'était rendue compte de l'incroyable liberté dont jouissent les humains. Au fond... c'est probablement ce qui lui manquera le plus.

— Je suis prête, annonce-t-elle après avoir lancé un dernier coup d'œil au sablier pendule, allons-y dès maintenant.

— À vos ordres, Dame Kozoro, s'incline Klade en suivant son regard.

Les deux jeunes gens se dirigent d'un pas décidé vers la porte d'entrée, mais au moment de l'ouvrir, l'Incarnation s'arrête tout à coup et se tourne vers le Prêtre :

— Avant que vous ne me conduisiez au temple... j'aimerai me rendre quelque part. Il y a une personne qu'il faut que je voie.

— C'est vraiment nécessaire ? Nous n'avons pas de temps à perdre.

— Plutôt, oui. Il s'agit de ma tutrice.

Devant ce regard impérieux, si froid, si dur, bien qu'il ne s'agisse certainement que d'une impression à cause des iris d'argent, le jeune homme se sent pris d'une immense gêne et baisse lourdement les yeux, les joues rougies par une chaleur soudaine.

— Oh... Je vois. Veuillez excuser mon manque de tact... Vous voulez lui dire au revoir ?

— Pas exactement. Je compte l'emmener avec nous.

Sur ces paroles aussi directes que concises, la Déesse ouvre la porte et s'élance à l'extérieur, laissant son allié tout hébété pendant quelques secondes.

— Attendez, quoi ? réagit-il enfin avant de sortir à son tour.

Ne daignant pas lui répondre, elle referme la porte, déboîte la sonnette et dissimule la clé derrière. C'est sa mère qui a eu l'idée de la faire poser, non pas pour s'en servir comme telle mais pour la transformer en une cachette plus originale que le paillasson ou le pot de fleurs. Kozoro sourirait presque à ce souvenir si Klade n'était pas là, à agiter les bras comme si elle venait de dire une énormité.

— Ma Dame, loin de moi l'idée de me montrer irrespectueux, mais vous parlez sérieusement ? Même si je conçois que vous souhaitiez encore profiter de vos proches jusqu'au jour où vous retournerez chez vous, vous êtes au fait des lois des Prêtres Serpentis : jamais ils n'autoriseront un humain ordinaire à pénétrer leur sanctuaire !

— Justement, ce n'est pas son cas.

Face à son air interrogateur, elle pousse un long soupir, consciente que même si elle ne le désire franchement pas, cet homme est désormais son compagnon de route, son guide, et leurs conversations ne pourront pas toujours se limiter à quelques mots. Quand bien même elle le préférerait...

— Jusqu'à présent, je ne la regardais qu'en tant qu'amie de mes parents. Le lien que nous avons n'a jamais vraiment pu remplacer celui que j'avais avec eux, mais il n'en restait pas moins spécial... étrange... comme si elle m'avait toujours connue, et bien plus que moi-même je ne me connaissais. À un point que je ne pouvais me l'expliquer. Et maintenant que je sais à nouveau qui je suis, je me souviens également de qui elle est en réalité...

— En réalité ? C'est à dire ?

— Vous ne le devinez pas ? Ça devrait pourtant être évident, si vous avez correctement étudié vos leçons sur les Dieux : elle est ma Cortégienne. Alors, vous comprendrez que contrairement à ce que vous pensiez, sa présence au temple à mes côtés n'a rien d'une suggestion : c'est un ordre.

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