[NON MAJ] Chapitre 7 : Opposées Astrales (Partie 2/2)

12 minutes de lecture

— Avant que nous ne commencions, aurais-tu une requête, une exigence à me faire part ? demande l'Incarnation de la Vierge.

Tournoyant dans sa longue robe bleue et blanche surmontée d'un épais châle vert, lui-même assorti à sa parure de tête en forme d'éventail, Ryby lui répond à la manière d'une enfant, dans un sourire angélique et une voix enjouée :

— Si tu pouvais éviter de me faire oublier comme je suis belle et épargner mon visage, je t'en serais très reconnaissante !

Elle reprend, toujours aussi souriante mais le ton indéniablement sérieux et évocateur :

— Jouons loyalement, et tout se passera bien.

— Ne t'en fais pas, réplique Panna, ce n'est pas aujourd'hui que je combattrai dans le déshonneur.

Toutes deux d'accord, elles se mettent en place, l'une en face de l'autre. De chacune se dégage une prodigieuse aura, concentrée à son maximum. Un signe de tête de Ryby donne le signal à Panna pour commencer.

— Viens à moi, Syrma ! s'écrie-t-elle en levant ses deux bras à la hauteur de sa poitrine.

Un grand grimoire à la couverture noire apparaît dans les airs, entouré d'une aura blanche, et vient lentement se poser dans ses mains en s'ouvrant de lui-même. Face à elle, Ryby écarte simplement son bras droit.

— Viens à moi, Revati !

Son épaisse manche se déchire jusqu'au poignet, dévoilant une main couverte d'écailles verdâtres. Y apparaît alors un magnifique trident, différant de celui qu'elle avait utilisé dans les bains par sa couleur d'argent.

— Je veux que tu fasses sortir toute cette colère qui te ronge. N'hésite pas à tout décharger. Sois sans pitié contre moi !

Panna acquiesce lentement, consciente des risques, mais devant bien jouer le jeu.

— Zurivost Rostlin ! prononce-t-elle avec force.

D'énormes lianes et racines sortent tout à coup du grimoire, se tortillant et se répandant dans les airs, pour se diriger à une vitesse menaçante vers la Déesse des Poissons. Loin d'être intimidée, elle s'élance vers elles et les coupe de son trident tranchant. Pas le moins du monde désavantagée par sa robe, pourtant assez encombrante à première vue, elle esquive et frappe sans problème. Parfois, une liane parvient à la saisir, mais elle s'en débarrasse rapidement en l'asséchant d'un simple murmure. Après de longues minutes d'acharnement, lassée de tous ces végétaux, elle lève sa main gauche vers le ciel.

— Alrisha !

Des nuages noirs apparaissent soudainement au-dessus de l'arène, y déversant une pluie rongeant profondément les plantes.

— Khambalia ! réagit immédiatement Panna.

Un bouclier, invisible à l'œil nu, entoure la jeune femme pour la protéger de cette pluie mortelle. L'Arme de Ryby n'a pas brillé lorsqu'elle l'a invoquée : c'est parce qu'il s'agit de l'un de ses trois pouvoirs principaux. Les Incarnations disposent d'une puissance phénoménale, mais souvent bien trop lourde pour elles.

Il a alors été décidé dans les temps anciens que cette puissance devait être contenue, et c'est ainsi qu'ont été créées les Armes que chacun peut invoquer. Sans son Arme, une Incarnation est dans l'impossibilité d'accéder à une partie de ses pouvoirs. Elle ne peut avoir recours qu'à trois sortilèges dont elle peut cependant user à sa guise. Et Alrisha, la redoutable pluie d'acide des Poissons, en fait partie.

— À quoi joues-tu ? Tu cherches à me faire fondre ? s'écrie Panna avec une pointe d'indignation dans la voix.

— Apparemment, ça ne t'embête pas plus que ça. Je pensais que tu en ferais davantage, je suis loin de t'avoir mise en position de faiblesse, tu sais ?

Un grand sourire plein de malice orne le visage de Ryby, insensible à sa propre attaque. Cette fois, c'est son bras droit qu'elle tend au loin, tandis que Revati se met à briller d'une aura bleutée.

— Et bien, nous allons changer cela ! Torcular !

Une dizaine de clones parfaits apparaît autour d'elle et se jette à corps perdu sur le bouclier de Panna, qui ne peut plus compter sur ses plantes détruites pour la défendre. Ils sont l'un après l'autre violemment repoussés en arrière par une onde de choc, provoquée par un simple contact avec le bouclier. Mais ils reviennent à la charge, encore et encore, tambourinant bien plus fort que la pluie. Pluie qui s'est volatilisée lorsqu'ils ont pris vie. En effet, une Incarnation ne peut user que d'un pouvoir à la fois. Mais pour Panna, c'est un avantage.

— Heze ! s'écrie-t-elle après mûre réflexion.

Et la voilà disparue. Nul ne peut plus la voir : elle s'est rendue invisible. Khambalia s'effondre tout d'un coup, donnant la possibilité aux clones de se jeter... dans le vide. Dès cet instant, Ryby se met à scruter les alentours avec attention. Pas seulement le sol, mais également les airs. Les clones courent dans tous les sens, cherchant désespérément leur proie.

Ils se retournent tous au cri soudain de l'originale, frappée dans le dos. Elle tombe par terre, secouée, et tourne la tête vers Panna qui a abandonné son invisibilité et sa lévitation, qui lui a permis de l'atteindre sans encombre pour lui porter un coup. C'est là la particularité de l'Incarnation de la Vierge : elle a la capacité d'utiliser deux pouvoirs différents à la fois.

— Allons, tu n'es pas en colère, là ! souffle Ryby en se relevant. Je t'ai dis que tout irait bien, ne retiens pas tes coups par peur de me blesser ! Tu veux trouver la force de pardonner à Kozoro, oui ou non ?

— Bien sûr que je le veux !

— Alors, frappe moi vraiment ! Que dirait Père s'il voyait un tel manque de volonté de ta part ? Il serait déçu, tu peux me...

Le coup est parti tout seul. Sans pouvoir terminer sa phrase, elle se retrouve avec un poing en plein milieu de son joli minois. Elle tombe à nouveau, cette fois dans un gémissement de douleur. Elle porte sa main à son visage, et l'horreur anime son regard lorsqu'elle constate qu'il est souillé de sang. Son nez et sa mâchoire la font atrocement souffrir, car c'est jusqu'à présent la seule souffrance physique qu'elle ait connue.

— Père ne peut pas être déçu par moi ! s'insurge Panna, les poings toujours serrés. Il sait que je suis prête à tout pour lui !

Aurait-elle enfin touché la corde sensible ?

— À tout, sauf obéir à sa volonté, insiste Ryby.

— À tout, j'ai dit !

— Mais que se passe-t-il donc ? Tu n'aimes pas entendre la vérité que tu prônes sans arrêt ?

— Cela n'a aucun rapport avec moi !

Le corps de Panna se convulse légèrement, et de nombreuses épines percent sa peau pour recouvrir une large partie de son corps. Le prochain coup de poing ne sera pas aussi plaisant que le précédent.

— Ce que tu peux être susceptible ! se moque Ryby d'un rire forcé. Même Père doit te trouver pathétique, à t'exaspérer de la moindre parole déplaisante.

— C'est faux ! proteste sa sœur en lui portant un autre coup.

Elle l'évite de justesse en reculant vivement tandis que ses clones rappliquent pour la défendre. L'un d'eux se jette sur Panna, qui le frappe au ventre, ce qui a pour résultat de le transformer en flaque. L'Incarnation de la Vierge se retrouve aspergée d'eau bouillante, mais ne bronche pas pour autant. Son livre, lévitant au-dessus de sa tête depuis l'instant où elle s'est rendue de nouveau visible, brille d'une lueur rougeoyante.

— Père a toujours été fier de moi. Je suis la plus loyale de ses filles ! Il m'aime bien plus que n'importe lequel d'entre vous, car il sait qu'il pourra toujours compter sur moi ! Je ne te laisserai pas salir son nom par tes mensonges une seconde de plus !

— En quoi est-ce un mensonge ? Comment peux-tu en être aussi sûre ?

— Parce que je le sais ! La vérité, c'est moi qui la détiens ! Toi-même, tu sais que tes propos sont calomnieux. Je le vois à tes yeux, ma sœur : la bouche peut mentir, mais les yeux ne peuvent cacher la vérité ! Je sais que tu veux m'aider, mais il y a une limite à ne pas franchir !

— Et jusqu'où irais-tu si jamais je la franchissais ? lui demande Ryby sur un ton de défi.

— Il est déjà trop tard...

Panna fait honneur à sa réputation : sa susceptibilité une fois écorchée à vif, ce à quoi il ne faut pas grand-chose, sa réaction n'en est que plus véhémente. L'aura se dégageant de Syrma s'intensifie, au point d'alourdir l'air ambiant.

— Zemetreseni !

La terre se met à trembler avec force. Les Poissons ont bien du mal à tenir l'équilibre. Des fissures se créent tout le long du terrain, et tout d'un coup, le sol s'ouvre, emportant tout le monde dans une faille béante. Seule Panna, grâce à sa capacité de lévitation, ne chute pas avec les autres.

Cette fois, c'est avec peur que Ryby crie. Sa combativité s'est évanouie, ne laissant place qu'à une grande panique. Si elle continue de tomber, son atterrissage sera fatal. Dans la surprise, elle a lâché Revati et ne peut plus l'atteindre. Les clones se disloquent les uns après les autres en heurtant le fond de l'abîme. Reprenant ses esprits l'espace d'un instant, Ryby met en œuvre la seule possibilité qui lui reste :

— Fum al Samakah !

Comme si elles venaient de son corps, des tonnes et des tonnes d'eau fusent, se projetant dans tous les sens tels d'immenses bras. Les vagues gigantesques tournoient et se brisent sur les parois rocheuses. Elles déchaînent leur incommensurable furie et remplissent à grande vitesse le trou abyssal, anéantissant par leur force le reste des clones qui retournent à l'état d'eau, et engloutissant Ryby en leur sein.

Panna atterrit doucement sur le rebord du gouffre. Les épines qui recouvraient son corps ont disparu, ne laissant pour seule preuve de leur existence que des trous dans sa robe. Son regard a abandonné toute colère, et c'est avec affolement qu'elle appelle sa sœur. La moitié de l'arène s'est effondrée à cause du séisme. Quelqu'un a forcément entendu. On va venir, et on verra ce qu'elle a provoqué. Cependant, ce n'était pas ce qu'elle voulait.

— Réponds moi ! Je t'en prie, ma sœur ! Reviens ! Dis quelque chose !

Mais aucune réponse ne lui parvient des profondeurs. Elle voulait juste lui donner une bonne leçon ! Pas ça ! Elles savaient pourtant toutes les deux ce qu'un combat d'Opposés Astraux entraînerait. Se pourrait-il... qu'elle l'ait tuée ?

— Je ne voulais pas... Je suis désolée... murmure-t-elle en tombant à genoux au sol.

— J'avais dit : pas le visage !

— Comment ?

Un énorme tentacule bleu, puis deux émergent des ténèbres pour s'accrocher au rebord, et y hissent une Ryby bien vivante. Une fois sur terre, les tentacules rapetissent pour retrouver l'apparence de bras normaux.

— J'avais dit : pas le visage, répète Ryby malicieusement. C'est la définition même de la magnificence ! Que serais-je donc sans la beauté ? Que serait donc la beauté sans moi ?

Panna se relève, et du même air digne que s'efforce de prendre sa sœur titubante, elle s'approche d'elle. Aucune ne veut se montrer affaiblie face à l'autre, car ce n'était pas là le but de l'affrontement. Ce n'était pas un duel ordinaire. Ce n'était pas un duel tout court, c'était un exutoire. C'était la quintessence de la rancœur. Faiblir face à l'autre, c'est montrer que la rancœur peut gagner. Et ce n'est pas l'objectif.

— Je sais que Père t'aime, murmure l'Incarnation des Poissons, et qu'il est fier de toi. Il nous aime tous, c'est normal en tant que père.

— Mais autrefois, il préférait Kozoro... Et quand elle sera là, tout redeviendra comme avant, s'attriste Panna.

— Tu n'as pas à craindre cela. Rien ne sera jamais comme avant. Père n'aimait pas plus Kozoro qu'il ne t'aimait toi ou moi à cette époque. Il n'y a aucune compétition entre nous. Si tu as tant peur, c'est juste parce que tu l'aimes, et c'est le plus important. C'est le plus beau. Concentre toi là-dessus. Il faut laisser le passé derrière toi.

— Et si... ça recommence ?

— Aucun risque. Nous ferons tous en sorte que ce genre d'incident ne se reproduise plus jamais. Si tu restes bloquée par cette crainte, tu vivras consumée par le doute, et Père ne le voudrait pas. Il voudrait te voir libre de ces chaînes. C'est parce que Père est prêt à accorder son pardon que j'ai renoncé à ces chaînes et que je me suis préparée à accorder le mien. Fais de même, ou au moins essaye. C'est le seul moyen pour que nous soyons à nouveau une famille.

— J'ai peur de ne pas y arriver, avoue avec sincérité une Panna aux yeux remplis de larmes, cela fait tellement longtemps...

— Dans ce cas, demande de l'aide. Reste avec moi. Parle moi. Redeviens ma sœur, fais moi confiance. Laisse moi t'aider à surmonter ça, je t'en prie, répond Ryby avec une surprenante douceur.

Panna se détourne lentement d'elle, observant les dégâts alentours, perdue dans ses pensées. Pour une fois, on peut voir ce que ses yeux reflètent vraiment : un désir d'espoir.

— Si tu arrives, toi, à me sortir ce genre de discours après 60 ans de silence... Je ne peux rien te promettre, mais j'imagine que c'est ce que Père souhaiterait pour moi. Je vais réfléchir à ta proposition. Ce ne sera pas facile, je te préviens tout de suite.

— Venant de toi, ça ne m'étonne pas. Mais je suis sûre que tu prendras la bonne décision.

— Il existait d'autres manières de régler ce conflit !

Toutes deux lèvent la tête à cette voix masculine venant du ciel. En lévitation au-dessus du désastre, assis en tailleur, Vahy de la Balance les juge d'un air sévère :

— La violence était inutile, même pour un exutoire. En particulier une violence de ce genre. C'était d'une totale imprudence. Si je ne cautionne pas ce genre de comportement, vous ne le devriez pas non plus.

Pour toute réponse, Ryby lui tire puérilement la langue :

— Mêle toi donc de ce qui te regarde ! Pourquoi devrions-nous penser comme toi ? D'ailleurs, toi aussi, tu devrais commencer à te remettre en question !

— Venant d'un être aussi arrogant et infantile que toi, je n'ai pas à accorder d'importance à de telles paroles. Quant à toi, Panna, je ne t'imaginais pas tomber aussi bas. Quelle idée d'engager un combat d'Opposés Astraux, qui plus est ici, sur la terre de Père. Vous devriez avoir honte.

— Le calme dans ta voix n'est que tromperie, mon frère, rétorque Panna, tu es le seul arrogant ici.

— Je ne suis point arrogance, je suis justice. Vous êtes toutes deux fautives. Je ne fais que vous exposer mon point de vue, libre à vous d'en tirer une leçon. Vous devriez retourner à vos constellations avant que vous ne détruisiez celle-ci.

Il se « met debout », dans la mesure où l'on puisse le dire, et aussi calmement qu'il est venu, il s'en va, accompagnant les libres vents d'été. Ryby, les poings sur les hanches et le visage rouge pivoine, s'agite nerveusement :

— Ai-je rêvé, ou bien il nous a donné un ordre ? Pour qui se prend-t-il ?

— Laisse donc, Vahy restera tel qu'il est, nous devons nous en contenter. Mais d'une certaine manière, il a raison, ma sœur. Déferler mes ressentiments ici n'était pas une bonne idée.

— Au contraire ! C'était la meilleure idée dans la longue et heureuse histoire des bonnes idées ! Crois moi, c'était la seule chose à faire. Bon, je ferais mieux de retourner chez moi. Cette chaleur est en train de bouffir mon magnifique visage !

— Je confirme que la colère ne te siée guère. Ton narcissisme me dérange au plus haut point, mais je dois avouer que tu n'es pas sous ton plus beau jour et que tu as bien raison de t'en inquiéter.

— Tu as intérêt à ce que ce ne soit consigné nulle part ! Nulle part, tu m'entends ?

— N'aie crainte, rit Panna, le futur se souviendra de toi comme d'une éternelle aphrodite.

— Je l'espère ! ne peut s'empêcher de lâcher Ryby en souriant.

Les deux sœurs quittent les lieux désolés et continuent leur chemin ensembles, jusqu'à ce qu'elles doivent se séparer pour se rendre chacune de leur côté aux portails les menant à leurs constellations respectives ; non sans d'abord s'incliner l'une devant l'autre en signe de réconciliation.

Une fois chez elle, de nouveau en paix et prélassée dans des eaux hivernales, Ryby, au visage toujours rougi mais non pas par la colère comme elle l'avait si bien fait croire, abandonne son sourire mielleux et sanglote de désespoir, comme elle le fait chaque jour depuis 500 ans, éternelle prisonnière de ses chaînes.

Annotations

Vous aimez lire Merywenn1234 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0