[NON MAJ] Chapitre 7 : Opposées Astrales (Partie 1/2)

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La constellation du Serpentaire est un lieu fascinant. C'est en effet le seul dans tout l'Univers où toutes les Incarnations peuvent se côtoyer sereinement. En temps normal, il est leur est déconseillé de s'éloigner de leur domaine, car c'est là le point névralgique de leur lien avec la Barrière ; c'est là que leur présence est le plus nécessaire. Une petite absence n'est pas mortelle, loin de là. Mais non contrôlées, elles peuvent vite nuire à la Barrière. Il est possible de se rendre sans trop de risques aux constellations directement proches et d'y rester bien plus longtemps qu'ailleurs, mais mieux vaut éviter les autres sans raison valable.

En bref, il n'est pas facile pour une Incarnation de voir ses frères et sœurs. Seule la période de l'année lui correspondant lui offre la puissance nécessaire pour se déplacer en toute quiétude. En dehors, la solitude lui tend les bras. C'est pourquoi la constellation du Serpentaire est incroyable : tous les Dieux des Étoiles peuvent s'y trouver sans que cela n'affecte la Barrière ni le pouvoir que chacun lui donne. C'est également la seule qui voit se succéder les saisons, de la même manière que sur Terre, tandis que les autres constellations restent « bloquées » à la saison leur correspondant. Chacun peut profiter des merveilles du printemps, de l'ardeur de l'été, des métamorphoses de l'automne, et du charme de l'hiver. Chacun y trouve son compte.

De nombreuses choses ont été construites pour plaire aux uns et aux autres, telles que des arènes, des jardins, des bains, ou encore cette étrange chose appelée « balançoire », très prisée par Panna de la Vierge. L'été domine la constellation, elle est dans son élément. Les vents chauds soulèvent ses cheveux dorés, en partie cachés par de larges voiles blancs presque aussi longs qu'eux. Sa couronne de bronze, à laquelle ils sont accrochés, brille ardemment sous les rayons du soleil qu'elle regarde de temps à autre de ses yeux particuliers : ils sont vairons. Le gauche est bleu, tandis que le droit est vert. Et elle les adore, car ils lui confèrent un point commun avec Ophiuchus.

— Père... soupire-t-elle en baissant le regard. Vous êtes trop bon.

L'assemblée de ce matin l'a éprouvée. Elle ne pensait pas pouvoir à nouveau ressentir la colère avec une telle force. Mais elle n'aurait pas pu réagir autrement. Comment pardonner à Kozoro d'avoir mis en danger leur... son père ?

— Autrefois, nous étions toutes les deux liées par notre admiration envers Père. Mais au final, une seule d'entre nous lui était réellement loyale.

Au début, elle n'arrivait pas à croire ce que sa sœur avait fait. Elle n'avait pas pu, c'était impossible ! Elle était trop gentille, trop aimante. Et surtout, trop obsédée par la sécurité de ces sales humains pour risquer leur vie par un tel acte ! Mais après le terrible récit du patriarche, elle s'est rendue à l'évidence : Kozoro les avait trahis, et de la pire des manières qui soit. Dès lors, la haine a commencé à l'envahir. Certains ont essayé de comprendre ce qui l'avait poussée à commettre ce crime ; elle, au contraire, s'en moquait éperdument. Peu importe les raisons, elles n'ont aucune importance, seul le résultat compte, aujourd'hui encore ! Et il faudrait passer l'éponge ?

— Impossible ! hurle-t-elle en faisant rôtir la terre autour d'elle.

Néanmoins les paroles du Serpentaire ne sont en aucun cas dénuées de sens : pourquoi continuer de haïr Kozoro puisqu'elle n'est plus celle qui mérite cette haine ? Panna devrait suivre l'exemple de son père et purifier son cœur de tout ressentiment. Autrement, ce ne serait que pure injustice. Non... L'injustice, la vraie, serait que Kozoro redevienne la favorite d'Ophiuchus. Elle l'a toujours été, et c'est uniquement pour cette raison qu'il veut qu'elle soit pardonnée !

— Tu ne prendras pas ma place. Aujourd'hui, c'est moi que Père aime le plus ! Et contrairement à toi, je l'aime vraiment !

Elle aurait pu retourner à sa constellation, là où personne ne pourrait la juger en entendant ses plaintes. Mais elle veut rester le plus près possible de lui. Il faut qu'il voie qu'elle est là pour lui. Qu'elle, au moins, ne le trahira jamais. C'est la vérité pure et simple. Et elle n'est que trop bien placée pour le confirmer. L'odeur de brûlé se dégageant de la terre emplit ses narines, la conviant à se calmer. Inutile de s'en prendre à la terre d'Ophiuchus, même involontairement.

Mais elle ne peut pas s'en empêcher. Son discours l'a exaspérée. C'était comme si rien ne s'était passé, comme si un instant lui avait suffit pour tout envoyer aux oubliettes. Et ça la pique au vif. Ça la ronge de l'intérieur. Elle sait qu'elle devrait se plier aux exigences de son père. Il a donné des raisons plus que suffisantes pour le faire. Alors, pourquoi ne le peut elle pas ? Ce n'est pas si terrible, le pardon. C'est même une chose merveilleuse. Mais elle n'y arrive pas. En fait, elle n'est même pas sûre de le vouloir réellement.

— Tout cela n'a aucun sens. Je ferais mieux de ne plus y penser pour le moment, soupire-t-elle en arrêtant de se balancer.

Elle quitte la balançoire et s'aventure sur un chemin couvert de pétales rosâtres, portés avec douceur par le vent. Elle a besoin de marcher, de se changer les idées. Elle se connaît, si elle continue de broyer du noir ainsi, ça durera toute la journée et même davantage. Après un certain temps d'errance, des voix et des bruits d'éclaboussures attirent son attention. Ils proviennent d'un tout petit colisée blanc surplombé d'un dôme de verre, aux décorations fines et variées. Ce type d'architecture est un classique de la constellation des Poissons.

Ne sachant pas vraiment pourquoi, presque machinalement, elle se dirige vers l'une des nombreuses entrées et se faufile à l'intérieur, passant d'une chaleur agréable à un frais surnaturel. Ses pas l'emmènent jusqu'au cœur des lieux, aménagé de plusieurs bassins plus ou moins grands. Dans celui du milieu, le plus large, une femme, manifestement la propriétaire de la voix, se prélasse en toute quiétude.

L'intense fraîcheur de l'air et de l'eau ne la dérange guère, laissant suggérer que c'est au contraire la chaleur que sa peau d'albâtre nue ne peut supporter. Ses longs cheveux bleus aux boucles travaillées s'accordent à la perfection à ses yeux, d'un vert tendre et pourvus de longs cils blancs. Ses lèvres pulpeuses souriant presque exagérément accompagnent un éclat de rire, tandis que son regard, n'ayant pas encore remarqué l'arrivée de Panna, est porté sur le bassin d'à côté.

Une autre femme, lui ressemblant comme une jumelle, émerge d'un mouvement vif, éclaboussant Ryby des Poissons qui semble profondément s'en amuser. Cette dernière remet en place ses cheveux et s'accoude sur le rebord en riant à son tour. Il lui faut encore quelques secondes avant de finalement remarquer la présence de l'Incarnation de la Vierge, et d'un claquement de doigts, faire disparaître son clone qui s'effondre sous la forme d'une flaque d'eau.

— Que viens-tu faire ici ? Tu n'as pas trop froid, au moins ?

Son sourire s'est effacé, mais la malice n'a pas quitté sa voix pour autant. D'un geste bref, elle invite Panna à prendre place dans le bassin. La jeune femme reste un instant immobile, puis s'exécute, enlevant d'abord sa couronne et ses gants de soie, puis sa longue robe blanche et bordeaux parée de perles multicolores, pour ne conserver que ses bijoux. Elle entre ensuite avec grâce et lenteur dans l'eau, cachant par dignité ses grelottements, et se rend auprès de sa sœur. Celle-ci, qui a enfilé quelques secondes plus tôt de larges manches bleues et blanches, si longues qu'elles dissimulent ses mains, sort de l'eau un splendide trident doré et orné de diamants.

— Teplota, murmure-t-elle en regardant son Arme briller à sa voix.

L'eau se met alors à se réchauffer, et par la même occasion Panna.

— Je suis surprise que tu me rendes visite. Que me vaut ce si rare honneur ?

— Le hasard, ma sœur. Je fus portée ici au gré de mes pas, non de ma volonté. Je me dois de t'informer que j'ai noté un fait inhabituel à ton sujet : tu ne m'as pas semblée très réactive à l'assemblée de tout à l'heure, répond la Vierge en fermant les yeux.

— Contrairement à toi, réplique Ryby en battant lentement des cils. Je n'ai rien à dire à ce sujet, tout simplement. Il n'y a rien de bizarre là-dedans.

— Tu aurais au moins pu te manifester, c'est pourtant dans tes habitudes de nous faire écouter cette voix que tu aimes tant. Tu ne l'as peut-être pas encore compris, mais cet événement n'est pas à prendre à la légère.

— C'est vraiment ce dont tu veux parler ? Maintenant ?

— Sois honnête avec moi : est-ce que tu lui pardonnes ? confirme Panna sur un ton accusateur.

Entre les deux sœurs s'installe alors un court mais pesant silence, interrompu par la brutale apparition d'un grand sourire sur le visage de Ryby.

— Bien sûr ! Il est temps de tourner la page ! Nous n'allons tout de même pas rester bloqués sur cet incident toute notre vie ! Autant donner à Kozoro une autre chance avant que nous n'entrions dans la prochaine. Qu'avons-nous à perdre, puisque nous ne pourrons rien regretter ?

— J'aimerais pouvoir faire preuve d'autant de clémence.

— Panna, voyons, je te connais. Tu ne le veux pas. Ne me mens pas.

— Je ne mens pas ! Je dis la vérité ! Je la dis toujours ! rétorque-t-elle sur un ton outré.

L'Incarnation des Poissons lève les yeux au ciel en soupirant et replonge dans l'eau ses bras, alourdis par les manches mouillées.

— Tu n'es pas comme d'habitude, remarque Panna, tu te comportes différemment. On dirait que tu joues un rôle, avec ces airs étranges que tu te donnes.

— J'ai toujours été ainsi, se défend la concernée, et je pourrais dire la même chose à ton sujet, ma sœur. J'avoue te préférer quand tu ne prononces pas un seul mot, et que tu restes cloîtrée dans ta constellation sans te montrer, toi et ton cœur méprisant, à qui que ce soit.

Offensée par ces paroles, Panna hausse immédiatement le ton :

— Ryby ! Comment oses-tu !

— C'est la vérité, très chère ! Personne ne t'apprécie car tu passes tout ton temps à nous juger et ressasser le passé inutilement ! Bon sang, tu ne nous regardes même plus quand tu nous parles ! Tu fermes les yeux ! Comment ne pas le prendre de travers ? Et comme si cela ne suffisait pas, tu viens me déranger dans mon intimité pour me dire comment me comporter !

— Tu dis n'importe quoi ! Je ne ferme pas les yeux quand je vous parle ! Qu'est-ce que tu vas encore inventer ?

— Laisse-moi terminer ! Cela fait 60 ans que tu ne m'avais pas adressé la parole ! 60 ans ! Et après tout ce temps, tout ce que tu trouves à me dire, c'est que je suis hypocrite ? Regarde toi donc dans un miroir !

Le visage de Panna vire au cramoisi sous l'effet de la colère s'emparant de plus en plus violemment de son cœur :

— Je ne tolérerai pas un mot de plus ! Arrête de...

— Je n'ai pas fini ! Dois-je te rappeler que c'est toi qui a commencé cette conversation ? Oui, ce que Kozoro a fait est grave, mais c'est terminé, nous devons tourner la page pour un avenir meilleur, point final ! Moi, je la considère encore comme ma sœur, et je ne veux pas la perdre à nouveau à cause de tes idées noires !

— Mais elle a tenté de tuer Père ! Comment puis-je penser autrement ?

— Père nous a dit de lui pardonner, et c'est ce que nous allons faire ! Je ne dis pas que nous ne devons plus nous inquiéter de quoi que ce soit, crois-moi, je te comprends parfaitement, mais avec ton pessimisme et ton jugement constant, nous sommes certains de nous retrouver dans la même situation qu'il y a 500 ans ! Parce que toi, tu n'hésiteras pas à lui faire comprendre qu'elle n'est pas la bienvenue !

L'eau du bassin, en proie à une intense lutte entre le froid causé par l'animosité de Ryby et le chaud provoqué par celle de Panna, boue d'un côté et se couvre de glace de l'autre.

— J'aurais dû m'en douter, siffle l'Incarnation de la Vierge, tu as toujours été de son côté ! Cela ne devrait pas m'étonner, vu que vous étiez « les meilleures amies du monde », comme on dit. Et tu sembles tellement ravie des circonstances ! Cette traîtresse revient, et tu ne trouves rien de mieux à faire que de sourire ! Je suis sûre que tu ne lui en as même pas voulu d'avoir tenté d'assassiner Père ! Ou... ou que tu l'as soutenue dans sa démarche ! Que tu as été sa complice !

Les yeux de Ryby s'écarquillent sous la stupeur :

— Tu... tu ne le penses pas ? Rassure-moi, tu ne le penses pas sérieusement ? bégaie-t-elle d'une voix presque triste, vide de tout agacement.

Son trident immergé se met à fondre comme s'il était fait de sucre. L'eau cesse peu à peu de bouillir et de geler, retrouvant une température ambiante.

— C'est vrai, elle était plus qu'une sœur pour moi, continue-t-elle les larmes aux yeux, elle était mon amie la plus proche. Elle ne me jugeait pas. Elle était attentionnée et honnête envers moi. Je l'adorais. Mais je n'ai pas cautionné ce qu'elle a fait. Je m'en suis encore moins rendue complice ! Comment peux-tu seulement... penser une chose pareille ?

Panna, les yeux désormais grands ouverts, fixe ceux de sa sœur, prenant conscience de ce qu'elle a dit.

— Je... je suis désolée. Pardon... murmure-t-elle alors avec adoucissement.

Ryby hésite un instant, puis s'approche d'elle pour la prendre dans ses bras. Malgré un soubresaut, ainsi qu'une sensation de froid et de chaud des plus désagréables, la représentante de l'été ne se débat pas.

— Ce n'est rien... Ne t'en fais pas.

Le silence s'installe de nouveau entre elles. Pas parce qu'un nouveau conflit se prépare, mais parce qu'il n'y a tout simplement rien à ajouter.

— Est-ce que c'est vrai ? Que personne ne m'aime ? demande Panna d'une voix délicate.

— Non, bien sûr que non. Je te préfère toujours à Rakovina, si c'est ce que tu crains, répond Ryby en souriant légèrement.

L'Incarnation de la Vierge ne peut réprimer un petit rire :

— Tu m'en vois ravie. Vraiment.

Après quelques minutes supplémentaires, la Déesse des Poissons finit par se séparer d'elle, pour leur plus grand bonheur à toutes les deux. Quand deux corps aux températures contraires se touchent, le ressenti peut très vite devenir insupportable. Comme s'il n'y avait pas déjà suffisamment de restrictions imposées par l'Univers...

— Tu as trop de colère en toi. Il te faut un exutoire. C'est le seul moyen pour que tu puisses accepter le retour de notre sœur.

— À quoi penses-tu exactement ?

— Un combat.

Son ton n'indiquait d'aucune plaisanterie. Il était direct. Elle est on ne peut plus sérieuse.

— Non, pas contre toi. Nous ne devrions pas : nous sommes des Opposées Astrales.

— C'est justement pour cette raison que je suis la mieux placée pour t'offrir cet exutoire. Allez, rhabille toi et suis moi à l'arène la plus proche.

— Mais...

— Pas de mais, fais simplement ce que je te dis. Tu verras, tu te sentiras beaucoup mieux après ça.

Inutile de protester davantage. Panna obéit, et une fois vêtue, accompagne sa sœur jusqu'à une aire d'affrontement. L'idée de jeter ses forces dans le plus puissant des duels ne l'enchante guère. Les Opposés Astraux sont les parfaits rivaux et égaux. Chaque signe du zodiaque est opposé à un autre, dont il est malgré les apparences totalement complémentaire : le Bélier à la Balance, le Taureau au Scorpion, les Gémeaux au Sagittaire, le Cancer au Capricorne, le Lion au Verseau, et la Vierge aux Poissons. Aucune Incarnation n'est insensible à ce lien. Certaines y vouent même un culte, y voyant un but, une raison d'exister plus noble que celle qu'elles ont déjà.

Les combats entre Opposés Astraux sont à éviter dans la mesure du possible, car la puissance qui en résulte peut causer d'inconsidérables dégâts, tant matériels que corporels. Puissance qui, plus que n'importe quelle autre, peut jusqu'à apporter la mort. On peut essayer de calculer les marges de manœuvres d'un combat, les chances qu'une Incarnation l'emporte sur une autre. Mais l'issue d'un duel d'Opposés Astraux est tout simplement impossible à prédire.

Voilà pourquoi Panna n'est pas rassurée par cet affrontement. Mais elle est d'accord sur le fait qu'elle en a besoin, et au final, c'est tout ce qui compte. Elle doit se vider de sa colère et trouver la force d'accorder le pardon. Et seule son Opposée Astrale lui permettra d'atteindre ce but. Elles se séparent après avoir atteint le centre de l'arène, reculant d'une dizaine de mètres chacune de leur côté.

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