Chapitre Quatorze : Sanitarium écrit par docno

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Chapitre Quatorze : Sanitarium écrit par docno


Le monde entier est confiné. Le monde entier ? Non, pas les journalistes, les faiseurs de la pensée universelle, de la pensée unique, les détenteurs de la vérité, les gardiens de la morale et du droit. En un mot les sauveurs de l’humanité, sorte d’espèce dominante ayant conduit le genre philosophe à une extinction inéluctable et méritée.

Stella était bien contente d’être de la race supérieure, d’être en quelque sorte une héroïne.

Elle venait de recevoir un mail de son boss :

— Stella, la Haute Autorité Sanitaire, m’informe et m’impose. Tous les journalistes doivent être vaccinés. Vous vous rendrez au vaccinodrome numéro 17, rue des Martyrs à Panot, demain à neuf heures précises. Vous faites partie des gens très exposés. C’est une obligation. Merci de votre compréhension, c’est dans votre intérêt, pour votre sécurité et surtout, pour le bien commun. Cordialement… bla bla bla.

Stella hocha la tête. Cette nouvelle ne l’enchantait pas. On entendait beaucoup de rumeurs sur ces fichus vaccins sortis d’on ne sait où, à une vitesse incroyable quand on pense que pour HIV on a toujours pas de vaccin. Mais, après tout, cela ferait une bonne occasion de se renseigner et d’en savoir plus. Elle serait au cœur de l’affaire, elle aurait l’occasion de parler directement aux médecins. Décidément, c’était une chance de tordre le cou aux « fake news » polluant le terrain.

Le lendemain, habillée casual avec des vêtements faits de tissu recyclé « fabriqué en France », ayant plutôt l’air de porter une serpillière ou un sac à patates, elle arriva au vaccinodrome situé à plus de dix kilomètres de chez elle. Ayant négligé de se faire une attestation, elle écopa de 135€ d’amende malgré sa carte de presse dûment brandie : l’agent à sa vue ne voulut jamais croire qu’elle était une vraie journaliste. Stella était fort désappointée. Comment pouvait-on être aussi étroit d’esprit et s’en prendre à une journaliste ? Comment ne pas la reconnaître ? Comment ?

Elle fit la queue en posant ses pieds dans les pas dessinés au sol et en suivant le cordon de barrières entourée de gens silencieux, masqués et dont les yeux étaient morts. Certains se traînaient et l’on pouvait en déduire qu’ils étaient vieux, surtout ceux ayant un déambulateur. Elle tenta d’engager la conversation avec le monsieur devant :

— Madame, gardez vos postillons ! C’est contagieux !

— Mais je porte un masque FFP2 ! Ma sérologie est négative !

— C’est insuffisant ! Vous êtes complètement inconsciente ! La mort rôde partout ! Il est interdit de parler au vaccinodrome !

— Ce n’est indiqué nulle part !

— Et ce panneau ?

L’homme lui indiqua une pancarte : pas un mot d’écrit, juste des symboles, la nouvelle écriture universelle : une tête se fermant la bouche, une tête se fermant les yeux et une tête se fermant l’esprit. L’homme avait raison, dû reconnaître Stella, contrariée. C’était énervant, mais il fallait l’admettre. Cependant, elle était journaliste. Elle avait une mission.

Elle essaya avec la femme derrière elle et lui demanda si elle allait bien :

— Vous inquiétez pas ma petite. Le vaccin va nous sauver. Ne croyez pas les ragots colportés par les ignorants. Ceux qui savent le moins parlent le plus et font trop de bruit. Le bon sens fout le camp !

— Mais je ne vous avais pas demandé…

— Le gouvernement sait ce qu’il fait, allez. Regardez comme c’est bien organisé.

— Mais…

— À l’été, nous pourrons reprendre notre vie d’avant.

Un homme armé d’un pulvérisateur et d’un chiffon arriva. Il vaporisa abondamment les environs. Il portait un masque, une visière et une combinaison complète, couleur orange.

— Monsieur quel est ce produit ? Ça fait tousser ! dit Stella.

— Du désinfectant toutes surfaces à base d’aldéhydes et de chlore. Très bon produit. Vous parlez beaucoup… C’est dangereux. Vous n’avez pas vu la pancarte ?

— Je suis journaliste !

— Ah… fit l’homme, impressionné. Il pulvérisa une nouvelle fois.

— Vous êtes bénévole ? demanda Stella.

— Réquisitionné par la haute autorité.

— Réquisitionné ?

— Hélas oui… Remarquez... je n’ai plus rien à faire désormais. Alors ça me passe le temps.

— Vous avez perdu votre emploi ?

— En quelque sorte…

— Mais quelle est votre profession ?

L’homme baissa les yeux et la tête. Il sembla se tasser sur lui-même, écrasé par l’humiliation.

— Je suis médecin généraliste, dit-il, en murmurant.

Stella ne put s’empêcher d’avoir un mouvement de recul (de dégoût ?) bien vite réprimé. Elle tenta de garder un air dégagé.

— Vous êtes utile à la communauté. On ne peut pas en dire autant de beaucoup de vos confrères. Ce travail n’est pas trop dur pour vous ?

— Je fais de mon mieux. Je n’ai pas la qualification qu’il faut... On me fait une fleur… j’en suis reconnaissant.

— Je vois… fit Stella. Étiez-vous de ces « médecins » qui ont critiqué les directives sanitaires ?

— Oh non pas moi… J’ai toujours respecté les directives à la lettre ! Mais je connais des confrères qui ont critiqué le REMDE et qui ont dit qu’il était cher, très toxique et totalement inefficace. Pas moi ! Oh non, jamais !

— Vous avez des noms ?

— Je ne dirai rien !

— Vous serez couvert… Je protège mes informateurs. Le public a le droit de savoir !

— C’est que… Il y a des généralistes qui continuent à exercer, vous vous rendez compte… Malgré l’interdiction et leur manque notoire de qualification...

— Non ! Vous êtes sûr ? C’est incroyable ! Mais les autorités...

— Je vous le dis. Ils se croient compétents ! Des fous ! Des inconscients !

— Ils utilisent des Quines ?

— Certains ! Alors que ce médicament très ancien et d’un prix ridicule n’a jamais fait la preuve d’une quelconque efficacité. D’ailleurs on n’en produit plus en France !

— Des noms ! Vous devez témoigner ! C’est votre devoir de protéger la population !

L’homme pulvérisa et s’éloigna. De toute façon c’était le tour de Stella. Le docteur Semi la fit entrer dans une tente minuscule.

— Relèver la manche ton vêtement…

— Pardon ?

— Rélèver la manche ton truc là !

— Hein ? Vous êtes français ?

— Pakistanais. Plus assez médecins français. Mauvaise formation en France…

— Ah… C’est quel vaccin ? Le AZ ?

— Oui. Produit en France. Bon vaccin.

— On raconte qu’il rend malade et que parfois…

— Chut ! Toi te taire ! Pas parler.

— Je suis journaliste, vous pouvez tout me dire.

Sans plus de manière, le docteur Semi piqua violemment Stella qui fit un bond tant le choc était dur. Elle poussa un cri de douleur.

— C’est mieux piquer comme ça, fit Semi.

— C’est brutal. Pourquoi une telle…

Semi la poussait déjà hors de la tente.

— Si tu sens mal, tu prends couloir gauche (sinistre). Si tu sens bien, couloir droite.

— Mais je ne sais pas… j’ai mal…

Semi avait disparu. Stella se tenant le bras fit quelques pas, chancelante et arriva à la bifurcation. C’était maintenant l’heure du choix. Qu’il est pénible de prendre une décision. C’est tellement mieux quand l’état s’en charge. C’est si bon une haute autorité…

Finalement, elle opta pour la droite et se retrouva dehors, son bras totalement paralysé par la douleur. Elle entendit une voix sonore :

— Balance !

Elle vit un brancard rouler en direction d’un homme qui le rattrapa à la volée, puis se dirigea vers un camion frigorifique.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.

— Bah, les morts. Circulez, vous n’avez rien à faire là !

— Je suis journaliste.

— On sauve la population ici, ma petite dame ! Vous allez pas faire un fromage pour quelques… incidents.

— Vous avez raison… balbutia la journaliste.

En fait Stella grelottait. Elle se sentait très faible et n’avait aucune envie d’en savoir plus. Elle avait pris le couloir de droite, il fallait assumer. Tout ce qu’elle souhaitait à cet instant présent, c’était rentrer chez elle et se mettre au lit.

C’est ce qu’elle fit. Elle écrirait son article un autre jour. Tout allait bien, elle était vaccinée !

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