Chapitre Vingt et un :L'histoire des deux amants et les temples de Shiba Écrit par a.m renaudie

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Chapitre Vingt et un :L'histoire des deux amants et les temples de Shiba

Écrit par a.m renaudie

Voila, je tente de relever le défi. Pour information, la légende des deux amants existe bel et bien au Japon. Pour les besoins de ma suite,

« Oui, fort bien arigato gosaïmasu, jeune homme.

Je vois que vous lisez l’histoire des deux amants ; mais connaissez-vous l’origine de cette légende et son lien avec les temples de Shiba ?

Non, mais je trouve cela intéressant.

Je vous préviens que ce sera un peu long.

Parfait, voilà ce que je préfère.

Puisque vous le voulez absolument, la voici. »

C’est l’histoire de deux jeunes filles et de deux jeunes gens, quatre amoureux dont les aventures sont devenues célèbres au Japon. La ville de Kyoto, séjour de la cour du Mikado, s’était transformée, depuis la création du shiogounat, en ville des arts et des lettres. Laissant les soucis de la politique à Kamakoura, Osaka ou Edo, la ville sainte et aristocratique de Kyoto était devenue le lieu de rendez-vous des beaux esprits et des savants, des élégants et des artistes. Ainsi, tous pouvaient trouver le temps de mener à bien leurs arts ; la poésie, la musique, la peinture, l’art du beau parler, de saluer, de plier les origamis ou de boire le thé et bien d’autres encore qui absorbaient chaque instant.
C’est ainsi que Sonoïké, personnage important de la cour, avait pris, pour l’aider dans ses travaux, le jeune Korétoki, natif d’Edo, et qui était venu dans la capitale pour prendre les belles manières et devenir savant. Mais Sonoïké avait une fille qui participait à son désespoir. Non pas qu’elle fût laide, ni méchante, ni bête, ni disgracieuse, au contraire, elle fut d’une beauté sans commune mesure et d’une rare intelligence, d’un caractère toujours égal et charmant ; mais la plus noire mélancolie envahissait son âme depuis quelque temps.

Tout fut fait pour chasser sa tristesse, des peintures exquises dans le jardin des pavillons de laque ornés, lui furent nommés les suivantes les plus aimables, pleines de talents, qui surent broder, chanter, réciter, jouer de tous les instruments de musique, tracer du pinceau sur la feuille de papier les plus beaux kanji, jouer à ces mille jeux qui font la joie des Japonaises. Mais elle promenait au milieu de ces splendeurs et de ces plaisirs sans pouvoir chasser le chagrin. À bout d’expédients, Sonoïké eut l’idée, un beau soir, d’amener chez sa fille le nouveau secrétaire qu’il avait engagé, le jeune Korétoki. Ce garçon avait un grand talent de chanteur ; il savait s’accompagner sur le cotto, la harpe japonaise. Poète à ses , le brave père pensait que toutes ces qualités pouvaient être utilisées pour distraire sa fille chérie. Mmégaé reçut le secrétaire avec beaucoup de politesse. Elle s’assit sur la natte à côté de lui et lui demanda immédiatement de lui chanter une chanson d’Edo.

Korétoki chanta et récita des poésies de son invention et tous admirèrent son talent et fut trouvé charmant. Mmégaé affirma qu’elle était tout à fait de l’avis des assistants et demanda que Korétoki revint tous les soirs faire de la musique. Ce qui fut fait. Sonoïké, fut ravi de voir enfin sa fille prendre goût à une distraction, se félicita de ce changement.

Ainsi, tous les soirs le jeune secrétaire venait faire de la musique et déclamer de la poésie dans les appartements de Mmégaé, qui avait retrouvé sa gaieté, chaque jour de mieux en mieux. Ses parents étaient au comble de la joie de voir leur enfant revenue à la santé par les bons soins de Korétoki. Mais ce dernier eut l’impression de perdre son temps. Il était venu à Kyoto pour étudier ; or tout son temps qui dût être consacré au travail, étaient employées à des amusements qu’il trouvait frivoles

Un jour, alors qu’il se rendait chez la fille de son maître, on lui dit que, à cause de la chaleur, elle s’était réfugiée dans son pavillon laqué. Il la trouva occupée à ranger des fleurs dans un vase. Les cloisons du pavillon ouverts, le jeune homme put longtemps regarder la jeune fille avant que celle-ci ne s’aperçût de sa présence. Mmégaé, gracieuse, lui parut comme sur un piédestal et se détachait dans ce décor. Vêtue que d’un kimono blanc, léger et un peu transparent. Son corps fin et délicat se profilait en silhouette, à travers les plis de son vêtement et il y avait dans toute sa personne tant de dignité et de charme que Korétoki crut voir devant lui Amaterasu, la déesse du soleil. Le jeune homme vit alors son esprit, sa grâce, ses talents, les tendresses de ses regards et les caresses de sa voix, là, sous cette forme à la fois picturale et sculpturale. Il est saisi par l’harmonie de ses lignes, la pureté de ses contours, cette œuvre d’art fait battre un cœur que la femme seule n’avait pas touché avant.

Il devint triste s’éloigna de Mmégaé et de la maison de Sonoïké, Mmégaé, n’ayant plus de distraction, retomba malade à nouveau. La mélancolie revint la hanter plus fort qu’auparavant. Elle passait son temps, le coude tristement appuyé sur une table et répétait sans cesse les poésies qu’avait chantées le beau Korétoki.

Or Matsoué, sa suivante préférée, vit ses larmes qui tombaient larges et chaudes sur son fin kimono. Ne supportant plus de la voir ainsi, elle supplia sa maîtresse de soulager son cœur et de lui faire la confidence de son chagrin.

— Mademoiselle, dites-le-moi. Vous aimez quelqu’un ?

— Oui, répondit faiblement Mmégaé en fermant les yeux.

— Vous aimez Korétoki !

Mmégaé cacha son visage avec sa large manche et sanglota. Quand elle put parler, elle dit :

— Oui, j’aime Korétoki, oui, je l’aime de toutes mes forces et je ne puis m’empêcher de penser toujours à lui. Mais, ma chère Matsoué, maintenant que je vous ai ouvert mon cœur, c’est à votre tour de me faire des confidences.

Or, ce même jour, après les chaleurs de l’heure du singe, Korétoki, lassé d’avoir écrit toute la journée, se promenait dans le jardin en jouant de la flûte assis au bord d’une pièce d’eau. Il vit alors un tout petit bateau de papier qui s’avançait en oscillant et vint échouer sur le gazon. Le bateau contenait une lettre que Korétoki, plein d’une douce émotion, saisit et lut avec avidité.

Plaignez la pauvre jeune fille

Dont le temps se passe à rêver

Qui pleure et ne peut vivre

Sans un regard de son amant.

Korétoki lisait et relisait, n’en pouvant croire ses yeux. Plongé dans le ravissement, il vit s’approcher, flottant, un rameau de matsou, le pin du Japon, dont le langage symbolique le priait, de la part de la jeune fille, d’aller la voir le plus tôt qu’il pourrait.

Il prit alors son pinceau et composa les vers suivants :

Deux choses dans l’univers

À l’infini s’élèvent toujours

Est-ce la fumée du Fuji-Yama ?

Est-ce le sentiment de notre affection ?

Il mit son billet dans le petit bateau de papier qu’il abandonna sur la pièce d’eau ; et, remuant, à la surface, son rameau de matsou, il créa une agitation dont les vagues concentriques emportèrent, en s’élargissant, la frêle nacelle. L’embarcation, ballottée par cette houle microscopique, ne tarda pas à disparaître.

Mais Sonoïké se désespérait de voir sa fille perdre de nouveau la santé et pensa que le grand air améliorerait son état et envoya Mmégaé chez une vieille tante qui habitait un superbe château dans un des pays les plus pittoresques des environs de Kyoto. Mais ni la beauté du paysage, ni les joies d’une politesse dont les rites dirigent tous les actes et occupent tous les instants, ne purent arriver à distraire la jeune fille, qui devint de plus en plus triste. Le père, ne sachant plus à quel dieu se vouer, se décida à user du grand remède : le mariage et prit le parti de la marier à Hana-no-Koogi, jeune noble fort estimé à la cour. Korétoki ayant appris que sa mère se mourait à Edo était parti subitement pour la capitale des Shoguns. Mmégaé apprit à la fois les projets de son père et le départ de son amant. Elle faillit en mourir.

Mais elle avoua à Sonoïké son amour pour Korétoki, qui mourut de douleur et de honte. Lorsque la nouvelle arriva à Edo, Korétoki fut convoqué par son père et seigneur, qui la traita de traître et la chassa de la maison en le maudissant d’un kandoo. Alors le fils maudit se leva et marcha lentement vers la porte. Avant de la franchir, il s’appuya un moment contre un des poteaux qui soutenaient la chambre ; puis, prenant son parti, il s’enfuit rapidement.

Mmégaé, arrivée le jour même et ayant observé la scène, suivit en silence le chemin qui mène à la montagne de Marouyama, près de Shiba. Lorsqu’elle l’eut rejoint, elle prit l’encrier de bronze qu’elle portait à sa ceinture ; en tira un pinceau, et écrivit rapidement sur un papier qu’elle avait étendu sur ses genoux, écrivit des vers qu’écrivait Mmégaé. Elle retraçait les malheurs de sa vie, ses regrets d’avoir amené sur la tête de son amant le kandoo paternel. Elle reconnaissait qu’elle avait eu tort d’avoir laissé son cœur s’abandonner à un amour que les convenances condamnaient et elle remerciait Korétoki de l’avoir respectée.

Puis elle posa lentement le papier sur les genoux du jeune homme et, avant qu’il eût pu le lire, elle s’avança sur une pointe de rocher, et, comme prise par le vertige qu’inspirait le vide qui s’étendait sous ses pieds, elle s’élança au milieu des branches. Un grand craquement se fit entendre, puis un bruit sourd.

— Mmégaé ! Mmégaé ! s’écria Korétoki.

Sa voix resta sans réponse.

Alors, il entreprit, à la clarté de la lune, la descente dangereuse à travers les rochers. À mesure qu’ils s’enfonçaient dans la vallée, l’obscurité augmentait. Enfin, presque à tâtons, il arriva au sol humide et chercha. Guidé par quelques éclaircies qui faisaient sur les broussailles des tâches rondes et blanches, il finit par apercevoir la robe de Mmégaé, dont les couleurs vives se distinguaient au milieu des ombres. Le désespoir de Korétoki fut effrayant, et dans la solitude retentit de ses cris déchirants. Lorsqu’il eut bien pleuré, il se leva et, serrant dans sa main les vers que Mmégaé venait de lui remettre, et prit le chemin de la maison de son père.

Il se fit reconnaître par les serviteurs qui gardaient la porte, alla droit à la chambre de son père, et se prosterna à côté du vieillard, qui était couché.

— Mmégaé vient de se tuer ! s’écria-t-il. Ô mon père, ne pardonnerez-vous pas ? Voici les vers qu’elle a écrits avant de mourir ; vous y trouverez toute son âme et la preuve de sa pureté.

Le père saisit le papier et l’approcha de la grande lanterne carrée posée près de son makoura.

Quand il eut fini de lire, des larmes jaillirent de ses yeux.

— Donnez des ordres, dit-il à son fils. Que tout soit préparé pour faire à Mmégaé des funérailles dignes d’elle.

Korétoki passa sa vie dans la tristesse. Pour ne pas perdre le nom de sa famille, il adopta pour fils un enfant étranger. Il se retira à Shiba, près de l’endroit où Mmégaé s’était suicidée. Le père de Korétoki fit élever là une petite chapelle dédiée au dieu Quanon, et organisa un petit monastère pour deux prêtres qui y vécurent longtemps, s’occupant à des exercices de piété. Après la mort de ce ménage religieux, la famille de Korétoki installa un nouveau prêtre pour continuer à la chapelle les soins que lui avaient donnés ses prédécesseurs.

Mais Yeyas qui vint d’installer le shogunat à Edo cherchait à embellir sa nouvelle capitale, et construisait volontiers monument sur monument. Un miracle vint lui fournir une occasion de satisfaire son goût pour les édifices. Il se promenait, un jour, dans les environs de la ville, accompagné d’une suite nombreuse, lorsque tout à coup son cheval se cabra et refusa de faire un pas de plus. Le Shogun mit pied à terre et vit sur le bord du chemin une petite chapelle. Évidemment l’animal, plus sensible que les hommes aux influences surnaturelles, servit aux dieux pour attirer l’attention du grand ministre sur l’humble chapelle qu’on avait érigée là.

Devant l’édicule un prêtre faisait sa prière. C’était la chapelle de Korétoki et Mmégaé. Le Shogun parla avec le prêtre, qui était fort savant. L’entretien plut au ministre qui revint souvent voir le bonze pour s’entretenir avec lui des grands mystères si relevés et si compliqués de la religion. Pour garder le souvenir, il fit construire un temple pour remplacer la petite chapelle par un édifice digne de Quanon. La statue pour honorer la mémoire de Mmégaé existe encore dans le temple. Pui il fit construire la grande tour à cinq étages; il établit également les chapelles accessoires du grand temple et presque toutes les maisons de prêtres.

Ainsi furent fondés les temples de Shiba, qui rappellent l’histoire populaire des deux amants, Korétoki et Mmégaé.

« Arigato gosaïmasu, jeune homme, voici une histoire belle et tragique à la fois. »

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