Troubles

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La fête battait son plein. Les invités affluaient de plus en plus, si bien que Prask arrêta de les compter. Là, le baron Krochkor, reconnaissable à sa peau mate et ses ailes noires parsemées de diamant. Ici, la dame Haljoïse, vieille aristocrate qui avait embrassé le Nouvel empire dès sa fondation. Aucun d'entre eux ne pourraient servir la rebellion. Et même s'ils en avaient eu envie, ces nobliaux ignoraient tout de la survie ou de la discrétion. Il fallait encore chercher...

Son regard se posa une fois de plus sur la démone Laki. Elle était seule, sur le côté. Elle semblait regarder quelqu'un en particulier dans la foule. Sans doute Lakr, se dit Prask en serrant les dents. Il s'approcha d'elle. Au vu de l'intérêt que Lakr lui portait, il lui fallait savoir à qui il avait à faire.

  • Dame Laki ?

La démone eu un sursaut et regarda Prask avec méfiance. Puis, l'ayant reconnu :

  • Ah, monsieur le ministre. Vous vouliez me parler ?
  • En effet. Voyez-vous...

Prask s'arrêta. Comment l'amener à la faire parler d'elle ? Le seigneur ne savait rien des règles de la conversation. Décidément, c'était un miracle qu'il ait survécu aussi longuement.

Il respira un bon coup.

  • Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Je vous ai vu tout à l'heure avec le seigneur Lakr. Vous le connaissez depuis longtemps ?

La dame regarda son interlocuteur avec des yeux ronds et suspicieux. Mince, encore un échec.

  • Hé bien... Non, à vrai dire. Mais... pourquoi cette question ?
  • Je m'intéresse à ses fréquentations, que je me dois de prévenir. Il est un peu trop... volatile, voyez-vous ?

La jeune démone sembla un peu perdue, Prask ne lui laissa pas le temps de se ressaisir.

  • Vous ne le saviez pas ? J'en déduis que vous ne venez pas souvent à ces soirées.
  • En... en effet. bredouilla-t-elle. Je suis montée à la capitale il n'y a pas longtemps.

Intéressant... L'intérêt de Prask s'éveilla assez pour qu'il parvienne à oublier un instant cet orchestre qui lui cassait les oreilles.

  • Et... vous vous y plaisez ?
  • Je ne suis pas sûre de comprendre, murmura Laki.

Oh si, elle comprenait parfaitement. Prask le voyait dans son regard, à travers son masque. Peut-être qu'en effet, il comprenait mal les sentiments. Mais il voyait toujours ce qu'on voulait lui cacher.

  • La vie à la capitale est bien différente que ce que vous avez dû connaitre, tenta-t-il. La vie y est beaucoup plus... organisée.
  • C'est certain. affirma-t-elle avec une curieuse assurance.

Avait-elle compris l'allusion ? Au moins, elle devrait y réfléchir. D'autant que pour qu'une jeune provinçale monte à Kranodépolis, il devait y avoir une raison. Et c'était certainement une question de pouvoir. Cette démone se donnait des airs innocents, cependant Prask se jurait de la percer à jour. Lakr ne tombera pas dans ses filets.

Prask allait continuer de l'interroger, lorsqu'un lord quelconque le bouscula.

C'était comme si un éclair avait traversé le bras de Prask. Des démangeaisons le prirent, ainsi que des convulsions. Il eut envie de hurler.

Il se retint. Dame Laki le regardait et semblait étonnée. Le ministre bredouilla un bref "si vous voulez bien m'excuser" et s'éclipsa. Il lui fallait être seul. C'était plus qu'une envie, c'était un besoin, une nécessité.

Mais ses sens étaient comme décuplés. Les conversations. Les éclats de rire. Le bruit des verres qui s'entrechoquent. Son bras qui le gratait. L'odeur de la nourriture et vin. Et ces formes qui dansaient, qui défilaient, qui tourbillonaient, incessantes, hypnotisantes, aveuglantes, devant ses yeux. Tout cela résonnait dans la tête de Prask. L'agressait. C'était un véritable enfer sensoriel. Chaque robe qui le frolait provoquait en lui un rejet de son propre corps. Chaque son, un coup de poing dans sa tête.

Il devait rester digne. Ne pas se faire repérer. Ne pas se faire remarquer. Ne pas s'humilier. Ou il était un démon mort.

Alors il encaissa. Refoula sa crise et son agoraphobie. Il entra dans une pièce, un petit salon désert, car réservé d'ordinaire aux serviteurs.

Prask ferma la porte brusquement. Et s'écroula.

Il se sentit petit à petit coupé du monde. Il enleva son masque. De toute manière, l'apparat ne le sauverait plus si on le surprenait. Le ministre terrible, qu'on craignait, qu'on enviait ou qu'on haïssait, était vaincu. Et cela par quoi ? De la musique et de la danse ? C'était ridicule. Prask se moqua de sa propre faiblesse. Comment pouvait-il aider la résistance ainis ?

Des larmes de rages rougissaient ses yeux jaunes.

  • Tout va bien, monsieur le ministre ?

Prask sursauta. Il n'était pas aussi seul qu'il ne le pensait.

Devant lui se tenait une domestique. Une des quatre de la maisonnée de Lakr. Ils devaient tous être très occupés par le bal. Et pourtant Prask eu le malheur de tomber sur l'un d'eux. Ce n'était décidemment pas son jour.

  • Oui... Oui, ça... ça va, merci, fit-il en se redressant.
  • Vous êtes sûr ? Je peux prévenir le seigneur Lakr que vous ne vous sentez pas bien, si vous voulez. Il ne vous en voudra pas si vous partez avant la fin.

Le seigneur serra les dents. Il devrait peut-être rentrer, oui. Seulement, ce serait trahir sa parole, faillir à sa mission. Non, son sens du devoir le lui interdissait.

  • Ça ira. Apportez moi simplement un remontant.
  • Tout de suite, monsieur.

La domestique sortit. Prask porta sa main à son bras. Il avait encore une furieuse envie de se gratter. Mais c'était fini, il devait s'en souvenir. Il reprit son souffle.

Il fallait retourner dans la tempête. Alors il accepta le verre que lui tendit la domestique lorsqu'elle revint. Et remit son masque. Tant pis s'il ne parlait pas. Tant pis s'il n'aimait pas ça. Il observerait. Il saurait tout. Après tout, il était le Spectre.

Il ouvrit la porte et sortit de son refuge.

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