Ennui

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La lune se levait déjà sur les plaines rouges. Mais la journée n'était pas encore finie pour le Seigneur Prask. En fait, elle commençait à peine.

- Charlog, allez me chercher le suivant.

Charlog s'inclina et obéit à son maître. Le Seigneur Prask regarda un instant le ciel sombre à travers les vitraux de son bureau, mélancoliquement. "Quel ennui" pensait-il.

La lourde porte claqua, et le suivant entra. C'était un vieux démon à quatre bras, masqué comme le demandait la mode et vêtu d'un large manteau gris. Dès qu'il vit le Seigneur Prask, il s'inclina.

Il faut dire que le ministre en imposait. Mesurant deux mètres cinquante, ce qui, même pour un démon, était grand, et possédant deux yeux perçant d'un blanc glacé qui se voyaient au dessus de son masque noir, il avait ce qu'on appelle "la tête de l'emploi". Dans sa redingote noire son corps étroit paraissait plus squelettique que jamais, et contrastait avec la blancheur de son cou, seule partie de son corps encore visible.

De ses mains gantées, il prit le dossier du nouveau venu, et lut son nom.

- Seigneur Hazeart. Que me vaut votre présence ici ? lâcha Prask sèchement.

Le Seigneur Hazaert déglutit et commença son rapport, à grand renfort de gestes. C'était encore une histoire de livres interdits retrouvés chez tel vieux noble, qui protestait qu'il ne savait pas qu'ils étaient interdits et qu'il les avait avant même l'avènement du Nouvel Empire Ancestral... Une affaire ennuyeuse au possible.

Le ministre, agacé par tous ces gestes et ces babillages, coupa net le rapport.

- Eh bien ! Vous n'avez qu'à faire comme d'habitude et brûler les livres. Vous savez qu'on ne peux pas se permettre de laisser ces idées se propager.

- C'est ce que nous avons fait, Seigneur Prask. Mais, heu, le démon qui les possédait... Qu'en fait-on ?

- Ce n'est pas mon domaine, Seigneur Hazeart. C'est à la démoniapol de s'occuper de ça.

Prask s'arrêta. Il préférait ne pas imaginer ce qu'il adviendrait de ce pauvre détenteur. On ne retrouve jamais ceux que la démoniapol arrête.

Un silence dérangeant s'installa dans le bureau. Les deux démons ne bougeaient pas, l'un par peur, l'autre par habitude. Enfin, le ministre baissa les yeux sur ses importants papiers.

- Bon, sortez.

Le sous-fifre ne se fit pas prier et quitta le bureau plus rapidement qu'il y était entré.

Resté seul dans la grande pièce, ne brisant le silence que par le griffonement de sa plume, le Seigneur Prask soupira. Quand l'empereur l'avait nommé ministre de l'information, il ne pensait pas vraiment à ça. Il s'attendait à faire de la censure, bien sûr. Mais pas autant. A présent il ne comptait plus les livres brûlés, les journalistes arrêtés, les articles censurés.

Il avait la main sur la propagande de la nation. Il était considéré comme étant, après le ministre de la démoniapol, un des ministres les plus importants du régime. Il était craint des nobles et apprécié de l'empereur. Les journaux lui appartenaient pratiquement. Et pourtant...

Pourtant Prask s'ennuyait. Sa puissance l'avait mené en haut d'une hiérarchie escarpée. Alors certes, au sommet la vue y était belle... Mais on était bien seul. La noblesse avait peur de lui, et la plupart de ceux qui prétendaient l'aimer n'étaient que des hypocrites qui espéraient des faveurs. Ils pouvaient toujours courir. Un tel "amour" ne l'intéressait pas.

Alors il noyait son ennui dans son travail, et ne sortait que rarement de son bureau, ignorant les fréquentes invitations aux bals divers et variés de telle ou telle grande comtesse. Car il était populaire parmi ces fêtards. Peut-être était-ce parce qu'il était beau démon, avec ses longs cheveux de jais et ses cornes fines et argentées. Ou peut-être que ces invitations n'avaient pour seul but que de se moquer de cet être étrange et renfermé qu'il était.

Il cassa la pointe de sa plume, provoquant une grosse tache d'encre sur ses papiers. Zut.

Calmement, il jeta les papiers souillés et recommença à écrire ses directives. Il devait contenir ses émotions. Ne pas les laisser déborder. Ni même les laisser entrevoir.

Car personne ne devait les connaître. Personne ne devait rien savoir de lui. Être dans l'ombre lui convenait très bien, il tenait à y rester. La discrétion, c'était une de ces qualités que nombre de nobles avaient oublié, mais qui pourtant pouvaient s'avérer bien pratiques.

Surtout quand, comme le Seigneur Prask, on menait une double vie.

- Charlog... faites entrer le prochain.

La nuit ne faisait que commencer.

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