CHAPITRE 2 : SHANNON

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Je suis dans un environnement que je ne connais pas, un tas de personnes s'occupent de moi, je n'ai pas l'habitude de cela. C'est étrange. Les heures passent et Anja m'explique le déroulement du programme. J'ai besoin d'aide c'est certain. Je le sais, je me suis ouverte les veines, j'en ai conscience, je l'ai fait pour échapper à mon quotidien, pour attirer l'attention de mes parents ? Je ne sais pas. Anja m'annonce que c'est à cela que servent les réunions quotidiennes que nous aurons.

Plusieurs parlent de tout, de rien, de leur vie, de la pluie, du beau temps. Certains arrivent à parler de leurs problèmes, d'autres pas du tout. Je fais partie de cette catégorie. Malgré tout, je m'incruste aux côtés de Shannon, j'avoue que ce gars m'intrigue. Il a l'air de croquer la vie à pleines dents, que fait-il ici ? Pourtant en le regardant on ne se doute pas du problème qu'il pourrait avoir. Il est toujours en train de discuter, de faire sourire ou même rire certains d'entre nous, pourtant... les autres, mais pourquoi sommes-nous ici ?

Au cours de ces longues, très longues discussions, je découvre, j'écoute, j'entends. La vie ne me parait pas simple pour tout le monde. C'est vrai, je me plains, je suis seule, personne ne s'occupe de moi, mais en les entendant, je me dis que j'ai vraiment fait une connerie. Pourquoi avoir essayé de quitter ce monde ? La vie n'est pas si difficile pour moi, je suis née le cul dans le beurre, une cuillière en argent dans la bouche, je ne sais pas comment l'expliquer. Mais d'autres sont moins bien lotis. Ces séances me font du bien, j'ai l'impression de trouver un semblant de vie, une vie plus terre à terre, une vie faite de la réalité et pas de matérialité comme j'en ai l'habitude. Et puis aussi ce qui me fait du bien est une personne, Shannon m'attire et je ne sais pas pourquoi.

Je m'attache à lui. C'est dangereux ! Je n'ai pas l'habitude d'apprécier les gens. On m'a appris à aimer les choses, pas les gens. Les choses peuvent être possédées, les gens disparaissent. Et bien sûr c'est ce qui arrive avec Shannon, une fois de plus je suis seule. Du jour au lendemain sa belle petite gueule me manque, du jour au lendemain, lui aussi a disparu. Personne ne s'est jamais soucié de moi, pourquoi lui l'aurai-t-il fait ? Pourquoi serais-je devenu importante aux yeux de quelqu'un ?

Une journée passe, deux, puis trois. Je n'ai plus envie d'assister à ces réunions. Pourquoi faire ? Entendre certains se lamenter ? D'autres rires ? Cela ne me sert à rien. Je me suis attachée à une personne, j'ai cru que j'avais de l'importance pour lui et voilà une fois de plus je suis seule. Anja a vite compris ce qui me tourmentait.

— Tania, tu dois apprendre à dire ce que tu as au fond de toi. C'est important d'exprimer ce que tu ressens. Il faut que l'on puisse comprendre ce qui te tracasse. Et pour cela, il faut t'exprimer.

— Anja, j'ai pas envie de parler. Pourquoi ? Cela sert à quoi ?

— Tu pourrais me dire ce que tu penses de Shannon ?

— Shannon, comme les autres. Il a fait semblant de s'occuper de moi et maintenant il n'est plus là. Cela ne sert à rien de s'occuper des autres. Personne ne s'intéresse à moi.

— C'est ce que tu penses ?

— Ouais, c'est ce que je pense. Il est où Shannon ? J'ai besoin de lui, il est où ?

Mes discussions avec Anja ne sont pas toujours aussi stériles que cette dernière. En repensant à nos conversations, je pense comprendre que m'exprimer fait partie de la résolution de mon problème. Je dois être capable d'exprimer ce que j'ai au fond de moi.

Si Shannon a disparu suite à un coup de baguette magique, il apparait à nouveau aussi soudainement. Pas de chance pour lui, j'ai décidé de lui dire ce que je pense. Il parait qu'il faut libérer ce que nous ressentons.

Dès qu'il me voit, il affiche son sourire "pub de dentifrice" et s'avance vers moi. Je n'ai pas confiance, il m'a laissé tomber.

— Bonjour ma belle, comment vas-tu ?

— C'est tout ce que tu trouves à dire ?

— Quand on rencontre une personne, on lui dit bonjour. C'est ce que l'on m'a appris.

— Tu n'es qu'un connard, comme tous les autres.

— Pardon ?

— T'as bien compris ! Dégage !

— Je peux savoir ce que j'ai fait de travers ?

— Tu oses poser la question ? Alors que tu es parti depuis plusieurs jours ? Tu n'as rien dit, tu te pointes dans ma vie, tu me fais parler, tu profites de mon temps et puis "pouf" tu disparais comme par enchantement. Désolée, je ne suis pas d'accord avec la méthode.

— Et bien, tu as au moins appris quelque chose depuis que tu es ici, c'est à t'exprimer. Ouais, j'avais des choses à faire, alors "pouf", j'ai disparu comme par enchantement.

— Et c'est tout ? Moi, cela ne t'inquiète pas ? Tu déboules dans ma vie, tu me prends en charge et puis tu me jettes, comme un vieux mouchoir.

— Tu sais, tu dois encore beaucoup travailler. Ouais, je suis parti, j'avais des choses à faire, mais dès que je suis rentré, je suis venu te voir. Je viens d'arriver et je voulais prendre de tes nouvelles. Et j'ai de la chance, tu ne parles que de toi, toi et toi encore. Dans le monde dans lequel tu vis, on réagit peut-être comme cela, mais pas d'où je viens. Quand une personne s'est absentée, on lui demande pourquoi, on lui demande si tout va bien, mais toi non, tu m'engueules en m'expliquant que je t'ai laissée tomber. Super comme retrouvailles. Je suis content d'être rentré. Si j'avais su, je serai venu plus vite encore.

— Ah bon, tu as sans doutes une bonne excuse pour ton absence ? Pour le fait de me laisser en plan sans un mot d'explication ?

— Tu vois, toi et encore toi. Laisse tomber. Salut, je me barre.

— La fuite, c'est toujours le plus facile. Comme les autres, tu me laisses tomber, j'ai l'habitude, mes parents ne se sont jamais inquiétés, alors pourquoi toi tu le ferais ?

— T'as vraiment rien compris !

— Et bien explique ! Dis-moi pourquoi tu es parti sans rien dire.

— Oh, pour rien, ne t'inquiètes surtout pas. J'ai une leucémie. J'ai été en rémission par deux fois. Cette fois-ci est vachement plus critique. On a découvert une nouvelle forme de traitement et j'ai été volontaire. Je suis en train de crever, mais je voulais essayer quelque chose, pour essayer de vivre quelques jours de plus, pour essayer de passer plus de temps avec les personnes que j'aime. Voilà pourquoi je me suis barré sans rien dire, pour éviter de donner de faux espoirs, pour éviter de faire du mal à mon entourage, mais toi la pauvre petite fille riche, ce n'est pas un concept que tu comprends. Voilà pourquoi je suis parti sans rien dire, pour essayer de te protéger. Salut !

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