8.5 : Audrey

4 minutes de lecture

Elle se leva et resta debout à l’attendre. Pour une mystérieuse raison, après s’être engouffré dans son bureau, PL était en train de le sillonner à grandes enjambées, en marmonnant. Mais qu’est-ce qu’il foutait bon sang ?

Elle ne comprenait plus rien à la façon de fonctionner de son supérieur. Il n’était pas un modèle de rigueur, d’accord, mais elle ne l’avait jamais vu partir dans tous les sens, enchaîner les approximations, centraliser les décisions, entreprendre sur un coup de tête une excursion telle que celle du matin même. Surtout, leur connivence avait morflé. Audrey ne digérait pas qu’il lui ait caché son lien à la victime. La victime principale, si on supposait que le meurtre de la mère était secondaire au premier. Cette histoire de fixation ne lui ressemblait pas du tout. Elle en était tombée de l’armoire lorsqu’il lui avait fait comprendre à demi-mots que c’était vrai.

Comme quoi, Moret ne disait pas que des conneries… Si on accordait à cette garce le bénéfice du doute, que penser de ses accusations contre Fabio Goncalves ? Et de la mise à sac de son appartement, du coup ? Hasard, mise en scène ou nouvel élément dans le tableau ? Est-ce que réellement, on avait voulu s’en prendre à Léa ? Qui ? Le vrai-faux père ?

Deux enfants dans cette histoire : Léa et Ludovic, le petit garçon décédé.

Et puis la drogue. La Seine-Saint-Denis. Patricia et Mouss.

Les coïncidences par paquebots entiers.

En réalité, ils naviguait bien loin de leur ordinaire. Loin des accidents de la route avec délit de fuite, des bagarres d’ivrognes, des querelles conjugales ou des règlements de compte entre bandes rivales. Non, là, on baignait dans les fréquentations douteuses d’une pauvre gamine. Et il y avait de quoi s’inquiéter pour l’humanité, devant les spécimens que ramenaient les filets. Cette Maud avait un don, ou plutôt une malédiction, pour attirer les déséquilibrés comme des mouches sur du miel.

Dans son bocal, PL ralentit le rythme de son essuie-glace, attrapa la poignée de la porte, se figea, plongé dans son monde intérieur. Il était exaspérant. Ce n’était pas totalement nouveau. Elle travaillait avec lui depuis bientôt quatre ans. L’appréciait au point d’avoir lié sa carrière à la sienne, mais doutait que le poste lui convienne. Même avant que cette affaire Demécourt leur tombe dessus. PL ne savait pas commander sans s’engager au cœur de la bataille. Or, ici, on s’attendait à ce qu’il ponde de beaux rapports, faisant état de chiffres conformes aux objectifs, pas à ce qu’il se lance sur la trace d’un tueur de starlette. Paris ! Personnellement, elle ne regrettait pas le changement, parce qu’elle avait besoin de rencontrer de nouvelles têtes, de voir du pays. Un endroit où elle n’irait pas : Metz. Quelle bande de cons ! Luc, très agréable, mais à éviter à tout prix comme collègue. Laxiste, d’après le peu qu’elle en avait vu.

La surdouée de la technologie, la chouchoute, s’agitait. Tous les autres travaillaient sur les rapports. Elle seule restait plantée comme une godiche. Devait-elle se charger seule de l’interrogatoire de Sylvie Moret, comme initialement prévu ? Elle décida de bouger. Il était plus que temps de mettre cette affaire derrière eux.

Dans le couloir du bavoir, Audrey effectua les quelques exercices d’assouplissement intégrés à sa discipline matinale. La confrontation s’annonçait orageuse. « Pas besoin de lui mettre la pression », avait annoncé Pierre. Facile à dire. À chaque fois qu’elles s’étaient parlé au téléphone, Moret avait sorti les injures et les menaces. La douceur, la manipulation, c’était son domaine à lui.

Bon. Un petit point d’étape avant de se lancer. Selon PL, Cygne avait admis s’être énervée parce que Maud continuait à fréquenter son « Fantômas ». Sur ce point, Audrey ne pouvait la blâmer. La discussion s’était envenimée, elles en étaient venues aux mains. Maud avait été blessée. Cygne avait pris peur et lui avait balancé un pavé à la tête. Comme Patricia pouvait soupçonner ce qui s'était produit, Cygne avait fait le ménage. Jusque-là, pas de problème, cela correspondait au personnage de l’impulsive foldingue. Déjà, si elle pouvait lui faire cracher ça devant le micro…

Les hypothèses de complot, elle y croyait moins. Folle oui, mais pas machiavélique. En outre, aucun complice ne l’aurait supporté plus de deux minutes. Pas plus Bétouni que la rousse.

Audrey inspira, entra et se présenta : commandant Paray. Elle capta dans le regard de la jeune femme une nuance de respect. Sylvie Moret était belle. Audrey aurait dû s’en douter, mais leurs précédents échanges lui avaient fait imaginer que la méchanceté serait inscrite sur son visage. Belle, attentive, calme. PL lui avait-il fait subir une séance de dressage ? Elle se demanda comment il aurait joué le truc, puis l’engueula intérieurement de lui refiler la corvée.

Méfiante, elle s’assit derrière l’enregistreur. Après les manipulations et les formules d’usage, elle n’eut d’autre choix que de démarrer. Par l’hypothèse la moins vraisemblable.

— Madame Moret, une grande rousse aux cheveux frisés, ça vous dit quelque chose ?

— Mitsy ?

— On sait qu’elle est venue chez Patricia, vous n’avez pas effacé toutes vos traces. C’est elle qui vous a emmenée en voiture ? Maud, c’était un coup de folie ? Et sa mère, c’était pour vous assurer qu’elle ne parle pas de votre altercation ?

Une attaque, presque un coup de bluff. Au lieu de se défendre, la danseuse réclama son téléphone. Dès qu’Audrey le lui eût rendu, elle ouvrit sa messagerie, rechercha un passage précis, posa l’appareil entre elles :

Elle a payée finalement l’autre pute !!! Enfin, si t’été son amie et que s’est une grosse merde, c’est que t’en es une ossi, non ? Tu va devoir choisir ton quand. Si tu dis quoi que ce soi aux autres, je te bute ossi.

Mitsy. Audrey remonta la conversation. Des tas de menaces dans la même veine, auxquelles Cygne n’avait jamais répondu. Qu’est-ce que c’était que ce merdier ?

Comme s’il en avait senti l’odeur, PL se matérialisa à leurs côtés. Audrey lui refila le portable. Pesant, le silence s’étira tandis qu’il prenait connaissance de la logorrhée haineuse. Elle, n’y comprenait décidément plus rien.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 16 versions.

Vous aimez lire carolinemarie78 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0