6.2 : Lestaque

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Même avec la porte fermée, le commissaire captait la rumeur suscitée par l’exposé d’Audrey, preuve que le personnage de Fantômas ne laissait pas l’équipe indifférente. Dans un coin de sa tête à lui tournait un autre nom : Mouss. Qui lui avait parlé d’un Mouss ? Qu’est-ce que c’était énervant, ces oublis. Souvent, il suffisait de ne pas insister pour que les choses resurgissent inopinément, mais là Lestaque avait une intuition impérative. À moins qu’il ne confondît avec un souvenir étranger à l’enquête ? Malgré lui, son oreille se tendait vers les éclats de voix de ses collègues, perturbant sa concentration. Et subitement le lien se fit : le vieux salopard, Fantômas, justement. Il ferma les yeux. C’était lui qui avait parlé d’un délinquant nommé Mouss, quand il avait évoqué les ex de Maud.

Ce nouvel élément bousculait ses ébauches de théories. Curieux de voir où cela le mènerait, Pierre s’imposa l’effort d’une reconstitution mentale :

On est mercredi, 13 h 45. Patricia Demécourt compose comme chaque semaine le numéro de son dealer, Mouss. C’est le signal de leur rendez-vous. Le soir, il cogne au carreau. Elle ouvre. Quand elle lui tourne le dos, il la frappe avec une roche ramassée préalablement dans l’allée du jardin. Préméditation certaine. Pourquoi, alors, ne pas avoir apporté une arme avec lui ?

Il revint à son scénario fiction :

Une fois la victime à terre, Mouss récupère le téléphone et efface toutes les empreintes. Pourquoi ? A-t-il appelé quelqu’un ? Mouss fuit en laissant la porte grande ouverte, et les trois kilos de drogue bien au chaud dans leur tiroir. Pourquoi ? A-t-il été dérangé ? À moins qu’il se dépêche pour sceller le sort de Maud ? Deuxième victime collatérale d’un règlement de comptes entre malfrats ? Il a une voiture. Ou il part vers le RER. 

Le commissaire jeta sur une des feuilles de son bureau : véhicule Mouss, caméras gare Villepinte. Un boulot fastidieux de vérification, même pour une affluence de fin de soirée. Il soupira, reprit le cours de son film :

Le tueur, à l’arrière du cabaret, guette sa deuxième proie. Maud sort. Il la frappe par-derrière avec le pavé. Ce meurtre-là était beaucoup plus risqué que le premier. Quelqu’un aurait pu sortir des coulisses, ou entendre un cri. Les autres artistes sont encore tous à l’intérieur. Mehdi Bétouni garé à proximité. Un peu plus tard, un couple de promeneurs donne l’alarme.

Il écrivit : montrer photo Mouss (voisinage).

Audrey se manifesta devant la vitre. Il lui signifia d’ouvrir :

— Sylvie Moret est à Paris, elle a pris un train de nuit. Tu savais que ça existait encore, ça ? J’ai eu le père Moret, il est trop mignon, il s’est inquiété de mes horaires à rallonge. Léa va bien, mais il s’impatiente, il dit qu’ils sont trop vieux pour courir après une gamine de cinq ans, surtout que sa femme est invalide. Il demande si on a des nouvelles des services sociaux.

— Vois avec Sam, moi j’ai failli l’insulter, l’assistante sociale que j’ai eue au téléphone la semaine dernière. Il ajouta, alors que sa commandante se sauvait : et invite la mademoiselle Cygne à nous rejoindre ce matin, ça complétera le tableau !

— OK. Au fait, je viens de te faire suivre le rapport du légiste. Ça arrive tout doucement.

Pierre se connecta, parcourut les documents à la recherche de détails incongrus : Maud, deux doigts cassés, en plus de la fracture du crâne. Patricia sous sédatifs et anxiolytiques. Le traitement de cheval de quelqu’un qui allait sombrer dans le sommeil, pas de quelqu’un qui avait prévu de la visite. Au temps pour ses récentes spéculations. Sa première impression était-elle en définitive la bonne ? Des meurtres crapuleux ? Sans lien l’un avec l’autre ? Quelle était la probabilité pour que deux femmes d’une même famille soient assommées à mort, la même nuit, à vingt kilomètres de distance ?

Clara remplaça Audrey à la porte :

— Mouss n’est pas au nid. Les collègues nous préviennent quand il réapparaît, ils ont mis leurs indics sur le coup. Et tiens, voilà : la tête de tes suspects. J’ai réussi à les avoir tous. J’espère que ça ira.

Elle contourna le bureau, se pencha sur son épaule tandis qu’il s’emparait des photos et commençait à les passer en revue. Elle précisait au fur et à mesure :

— Ici les Goncalves mère et fils, ça vient du profil Facebook de Fabio. Là, tu reconnais Fontagne ? La photo n’est pas très nette, c’est celle du trombi de son administration que j’ai agrandie. Bétouni : la copie toute fraîche de sa carte d’identité. Pour Moret, j’ai recadré une des photos que tu as ramenées de chez Maud Demécourt. Et Rugier pareil, vu que celle du fichier de police de Metz était un peu ancienne. Mouss, j’ai eu l’embarras du choix avec ses antécédents chez nous…

Le commissaire sursauta :

— Rugier ? Maud avait une photo du gars dont elle a tué la femme ?

— Oui, tu veux que je te montre l’original ?

Pierre se poussa pour lui permettre d’accéder à son clavier. En quelques clics, elle ouvrit un de ses dossiers, puis agrandit le cliché. Un homme posait au milieu de deux enfants : Léa et un garçon en fauteuil roulant.

— Il y a écrit Christophe et Ludo, derrière la photo. J’ai fait le lien avec la famille de Metz.

Le numéro de Luc s’afficha sur sa ligne perso.

— Bien joué, Puce ! Oui, Luc ?

— J’ai fouiné un peu pour toi. Fabio a tweeté et retweeté pendant tout le match, le mercredi soir.

— Merde !

— Comme tu dis. J’aurais pas pleuré si tu m’en avais débarrassé, mais ce n’est pas lui. Il a posté un gros plan obscène de son anatomie, entre autres joyeusetés, apprécié par la moitié de ma brigade. Laquelle brigade m’a fait comprendre d’arrêter de lui chercher des noises. Ta visite ne leur a pas plu, figure-toi. Je t’assure que je ne suis pas fier d’eux…

— Mais les antécédents de Goncalves, le jugement d’éloignement, ils s’en foutent ?

— Tu les connais, Pierre : « Elle l’avait bien cherché », le discours habituel. Il passe pour un vrai dur dans le poulailler, et moi, je ne serai jamais que le parachuté, même si je suis là depuis trois ans…

— Eh bien ! Bosser à Paris ne présente pas que des avantages, mais au moins j’ai des collègues un peu plus évolués.

— Ouais… Figure-toi qu’ici on n’a pas encore eu de gradé femme. La première qui se pointera, je la plains. Je t’avoue que je ne suis pas pressé de gérer le problème.

— Luc. Et la mère Goncalves ? Qui nous dit qu’elle est restée à Metz ?

— Ça m’a travaillé aussi… Qu’est-ce que tu en penses ?

— Tu as vu comment elle le protège ?

— Oui, mais elle n’avait aucun intérêt à faire du mal aux Demécourt… La liaison avec Marie-Odile était terminée depuis des années.

— À moins qu’elle ait en tête de reprendre Léa. Elle a bien mis la main sur son petit-fils !

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