5.1 : Cygne

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— Fix, et ben il lèche les cailloux ! Et comme je lui ai dit que c’est sale, et ben il les lèche plus !

Léa revenait du jardin avec le chien de la maison, et une aventure extraordinaire à raconter. Le teckel contemplait la fillette, la queue battant le sol.

— C’est bien, ma chérie, approuva Auguste, soulagé de la diversion.

— Et moi, tout le monde s’en fout ! coupa Cygne. On s’arrange encore derrière mon dos ! Rien ne changera jamais ici !

Hors d’elle, elle enterra sa tentative de conciliation. Dire qu’il y a dix minutes, elle se reprochait d’avoir été trop dure avec eux ! Et voilà qu’à peine descendue pour le petit déjeuner, elle s’apercevait qu’ils la traitaient toujours comme une ado irresponsable ! La commandante de Paris avait obtenu de son père qu’ils gardent Léa au moins pendant le week-end. Un agent se déplacerait depuis Alès dans le but de faire signer à Auguste et Mathilde des papiers, une décharge en quelque sorte. Auguste buvait du petit lait en lui rapportant la suite : ce policier avait ordre d’emmener Sylvie déposer, de gré ou de force, menottée et inculpée d’entrave à la justice s’il le fallait.

Non, mais qu’est-ce qu’ils croyaient, à Paris ? Qu’elle faisait tout ça pour son plaisir ? Qu’elle allait rester là ad vitam aeternam ? Qu’elle n’avait que ça à faire, de surveiller cette gosse ? En plus, Léa s’intéressait à peine à elle, collée aux basques d’Auguste. Normal pour une môme élevée par des femmes. Franchement, Cygne n’était pas non plus attirée par cette petite bêcheuse qui jouait, au lieu de partager son deuil.

Mehdi avait téléphoné la veille. Pour « avoir des nouvelles de Léa », évidemment. C’était comme s’ils avaient tous occulté la perte de Mod. En définitive, le chauffeur s’était étendu sur ses angoisses : il sortait de garde à vue, les policiers avaient l’air de croire à un trafic de drogue. Quelle connerie ! Mod n’avait jamais rien pris, elle en était certaine, et personne ne la connaissait aussi bien qu’elle. Elle lui manquait. Pourtant sa colère envers l’amie disparue ne se résorbait pas. Pourquoi avait-elle gâché sa vie ainsi ? Pourquoi s’être encombrée de Léa, alors qu’elle avait tellement de talents ? Sur une scène, elle aimantait les spectateurs. Une grande carrière d’actrice lui tendait les bras, si elle l’avait voulue. En plus, elle était cultivée, curieuse. Elle lisait. Elle aurait pu devenir journaliste, blogueuse… tout sauf mère de famille ! Sans Léa, elle aurait pris une chambre à Paris, elle aussi, au lieu de s’enterrer en banlieue.

Bon, l’avantage, puisque les choses s’étaient organisées ici à son insu, c’était qu’elle pouvait rentrer. About time, les vieux commençaient à lui taper sur le système. Tout l’énervait. La conversation de sa mère surtout : « Tu es contente de retrouver ta chambre ? Ton travail te plaît toujours ? Tu viendras nous voir à Noël ? Tu fumes encore ? Tu n’as pas un nouveau petit ami ? » Le chic pour souligner ses échecs imaginaires. La complaisance dans la frustration. En son absence, ils avaient épinglé au mur de sa chambre des photos d’elle en tutu, sur des skis, à l’école… La suite logique eut été : un beau diplôme, un beau mariage, de beaux enfants. Pas étonnant cette sensation d’être nulle, à l’aune de la vie rêvée par ses parents. Quelquefois, à Paris, ils lui manquaient, mais ici, elle avait hâte de réintégrer son atelier sous les toits. C’est pourquoi elle avait répondu perfidement à sa mère : « Non, ma vie n’a pas changé et je ne compte pas sur un brillant médecin pour m’entretenir, moi. ».

En attendant, l’argent ne rentrerait pas tout seul, elle devait reprendre le travail. Et puis il allait falloir s’occuper de son appartement, remplir le dossier d’assurance. Heureusement, compte tenu des circonstances, on lui avait accordé un délai.

Déterminée, elle entra « Edgard » dans son moteur de recherches pour obtenir les horaires des cars d’Alès à Nîmes et s’entendit murmurer : « Voyons voir, Edgar du Gard »… Le calembour de son père lorsqu’il la descendait à l’arrêt, à cinq kilomètres de chez eux. Le train-train de son enfance loin de tout.

Une fois le trajet réservé et payé, elle migra vers son journal d’appel et appuya sur le dernier numéro inconnu affiché. La commandante Paray l’accueillit fraîchement :

— Madame, Moret, je suis surprise ! Seriez-vous devenue raisonnable ?

— Juste pour vous dire que ce n’est pas la peine de m’envoyer une escorte. Je remonte toute seule comme une grande. L’air de Paris me manque. Vous avez du nouveau ?

— Nous avons gardé votre complice chez nous toute la journée d’hier.

— Je sais. Je prendrais une chemise de nuit quand je viendrai faire ma déposition.

— Selon lui, votre appartement a été cambriolé ? Et vous estimez qu’il y a un lien avec l’enquête sur l’assassinat des Demécourt ?

— Je vous l’ai dit, ça ! Pas cambriolé, détruit ! Par un salopard de flic. Et votre chef, vous lui avez posé des questions au moins ?

— Ne recommencez pas, mademoiselle, ou je raccroche immédiatement.

— OK, je me calme. Parce que j’ai autre chose à vous dire : vos suppositions, comme quoi Mod se droguait, cela ne tient pas debout, elle était clean.

— Est-ce que nous pouvons accéder à votre appartement pour y effectuer des prélèvements ?

— Ma concierge a la clef. Faites votre boulot.

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