Blood on Mars

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Le problème lorsqu'une mauvaise nouvelle arrive par le mauvais canal, c'est que ça aggrave la catastrophe. C'est ce qui était en train de se passer au Pentagone. La mauvaise nouvelle était arrivée par la Nasa, et elle n'aurait pas dû arriver par là, parce que ça devait déjà être en train de fuiter partout. Le Général Groove, en charge de la sécurité intérieure avait donc activé tous les groupes Facebook et autres forums d'hallucinés montés par ses services, et instillé la rumeur parmi d'autres sur les pyramides slovènes, et trucs habituels sur les extra-terrestres, bref tout ce qu'il faut pour la répandre avant, et plus vite qu'une vraie. Le taux d'appropriation montait lentement dans les réseaux depuis une semaine. Si ce taux se remettait à baisser dans un mois, on pouvait considérer la partie comme gagnée, le sujet serait définitivement noyé dans les déchets flottant à la surface des débats stériles entre complotistes et scientistes. Maintenant, il fallait affronter la réunion avec le président et tous les conseillers à la con qui lui farcissaient le crâne à longueur de journée. John Groove devait défendre pour la première fois de sa carrière, un cas sur lequel il n'avait pas d'avis, et dans le doute, ça le mettait de mauvaise humeur. - Du sang. - Oui, M. le président - Et du sang humain. - Oui, M. le président - John, vous savez bien que ce n'est pas possible. Ce putain d'entretien se déroulait exactement comme prévu, comme le général Groove s'en était passé le film dix fois depuis la veille. Il tendit un peu les orteils, serra son stylo, mobilisa tous les trucs de PNL pour se garder le contrôle, et prit le temps de respirer pour répartir d'un ton neutre. - Je sais M. le président. - Les analyses sont formelles ? - Formelles. Ils les ont refaites dix fois dans tous les sens. - Du sang. - Oui, M. le président - Et du sang humain. - Oui, M. le président - Donc John, vous me dites qu'il y a du sang humain sur une planète qui est à dix milliards de kilomètres de la Terre ? - Non, M. le président, je vous dis que le robot Curiosity, posé sur la surface de la planète Mars, à 55 millions de km de la Terre au meilleur moment, 400 au plus loin, a envoyé les résultats de l'analyse de traces d'une substance relevée sur des taches se trouvant devant lui, et que ces résultats correspondent à la substance qui est sur notre planète du sang humain. - Et quel genre de taches ? - Comme quelqu'un qui perd du sang en marchant. - Et nulle part ailleurs ? - Nulle part. - Ce n'est pas possible... - Je sais, M. le président. - Et alors, qu'est-ce qu'on fait ? - C'est à vous de me le dire, M. le président. John n'était pas fâché du retournement, ça s'était bien passé pour un coup aussi minable, mais on ne fait jamais appel en vain à l'ego d'un homme politique. Il était resté d'une humeur égale, et le président était encore sous le coup de la surprise. Il avait tout déballé, la balle était dans le camp du président, et aucun conseiller n'oserait l'interrompre à ce stade. Il fallait faire durer. - Vous avez quoi, comme preuve, John ? Parfait, c'est le genre de déroulement auquel il s'attendait. - Tout ce qu'il faut, M. Président, des tonnes d'analyse, je vous assure, ils l'ont refait dans tous les sens. De toute façon, ils continuent. Si quoi que ce soit venait à le mettre en doute, on serait avertis tout de suite. Mais pour le moment, c'est sûr, confirmé. - Du sang humain. - Oui, M. Le président. Il évitait de reprendre les mots, il les lui laissait, il lui en laissait la responsabilité, il le laissait se les approprier. - Du sang humain. Cette fois il ne répondit pas. Le ton était suffisamment assertif. Cela devait arriver, le président se tourna vers Larry, un de ses conseillers à la con qui prenaient un salaire mirobolant pour lui servir de psychanalyste politique. - Quel est le problème avec ça Larry ? - C'est que ce n'est pas possible M. le président. Là pour une fois il n'avait pas tort. - Nous ne pouvons pas annoncer quelque chose qui n'est pas possible. Et d'un autre côté, cacher une chose pareille.... Le président se tourna à nouveau vers John pour l'interroger du regard. - On a fait tout ce qu'il faut de ce côté là, on a répandu la rumeur, lancé la controverse, ça devrait marcher, on va faire passer ça pour un gros hoax. Pour le moment, la Nasa démentira si elle était interpellée, mais il y a peu de chances. - Bon, dit le président, je dois vous laisser, mais vous me préparez une réponse là-dessus en cas. Je vous laisse avec Larry. Et la salle se vida, avec ses restes habituels, touillettes de café, papiers de sucre tortillés, aucune note, pas un mot, rien. Larry pianotait sur son smartphone. - Alors, on fait quoi ? lui lança John. - Je demande à mon amie Marion Divos, une prof de philosophie français, de venir nous aider à réfléchir sur la communication... John ne dit rien. En d'autres temps, il eût levé les bras ironiquement pour mimer la réception de la grâce divine, mais aujourd'hui, il savait que l'aide peut venir des endroits les plus imprévisibles. Il attendait donc l'arrivée de la philosophe, et elle eut lieu le lendemain, le temps qu'elle vienne de son université au Québec. La quarantaine genre psychothérapeute qui a vu de tout en matière de séminaire lui parut plutôt bien choisie pour le rôle, et John aborda la réunion avec Larry dans une humeur constructive. - Si j'ai bien compris, pour résumer l'histoire, dit Marion, vous devez statuer sur la position que devra prendre le président s'il est interrogé là-dessus ? -Exact, répondit John sur le regard de Larry, en conservant un ton aussi chaleureux que possible pour ne pas la déstabiliser. - Bien, reprit-elle, et si j'ai bien compris, le catch22, c'est que soit vous cautionnez, et, tout en passant pour des dingues, vous lancez la plus grosse controverse du siècle, soit vous niez, au risque de passer à côté de quelque chose d'énorme. - Comment cela, "de passer à côté de quelque chose d'énorme" ? dit Larry. - Vous vous attendiez à ce que je dise " au risque que ça ressorte un jour ", c'est ça ? - Un peu. - Bien, reprit Marion, je vois. Votre problème, c'est que vous ne pouvez pas, vous ne devez pas croire que cela existe. - Comment cela ? - La contradiction dans laquelle vous êtes placés, c'est que vous, nous, beaucoup de gens sur cette planète sont entourées par deux choses en matière de savoir. D'un côté la science, qui annonce ce qu'il est permis de croire. De l'autre côté la religion, les traditions, l'ésotérisme, les divers courants philosophiques, bref, tout ce qui est du domaine de " l'irrationnel". On peut y souscrire à titre personnel si ça fait du bien, mais c'est un peu honteux. Et surtout, ce n'est pas " vrai". Soudain, l'image traversa l'esprit de John. A côté de la fameuse empreinte de semelle dans la poussière, des taches de sang. Rondes, espacées, qui tassaient la poussière. - Jusqu'ici la science annonçait à tous des nouvelles que chacun pouvait tenir pour vrai. Aujourd'hui, la source de la vérité, ce que vous considérez comme indiscutable, la science vous affirme un fait que, individuellement, vous ne pouvez accepter rationnellement. Il y donc une inconfortable récusation individuelle à effectuer sur la source de la vérité que vous avez culturellement admise. - C'est bien cela ? Cela vous semble-t-il résumer la situation ? adressa Marion aux deux hommes. Ils hochèrent la tête pour dire leur assentiment, d'un air un peu vague. Appuyée des deux mains sur le bord de la table, elle les fixait, et elle reprit plus doucement. - Larry, dites-moi, il y a une chose qui me paraît bizarre, c'est que vous n'admettez pas la possibilité que ça existe, je me trompe ? - Marion, répondit Larry après s'être un peu repris. Ce n'est pas possible, dit-il en détachant chaque mot. Juste pas possible. Un être humain ne peut pas, en ce moment, se balader sur Mars en perdant du temps. Il avait appuyé sur le " en ce moment". - Et pourtant, c'est que ce que prouvent les analyses ? interrogea Marion en regardant John. - Oui, ils sont formels. Et s'ils l'ont aussi bien reconnu, disent-ils, c'est que c'est récent. C'est du sang frais. - A la façon dont vous dites cela, on sent que vous n'y croyez pas, rétorqua Marion. - Evidemment, qu'on n'y croit pas, Marion, dit John, doucement, puis plus fermement. Comme Larry vient de vous le dire, ce n'est juste pas possible. - Alors que craignez-vous ? Aïe. En entendant ce mot, en voyant la couleur rouge foncé sur le gris, comme un clignement d’œil, comme une araignée qui court, légère sur la cendre, il avait vu venir la question qu'il attendait un peu. - C'est une question d'opinion, répondit Larry pour soulager John, le président nous demande ce qu'il doit répondre si on lui pose la question. La question est de savoir ce qu'on doit dire aux gens, en public, à la face de la planète. - Si vous voulez, reprit John, le problème, c'est que si on admet que c'est vrai, on va nous demander qui est ce type et ce qu'il fait là-haut. C'est nous qui sommes en charge de ça vous comprenez ? La terre entière va nous regarder et nous poser la question, à nous : " Qui est ce type qui perd du sang, et qu'est-ce qu'il fait là haut ? - Et ce n'est pas possible que ce soit une créature quelconque... suggéra Marion. - Non, c'est du sang humain, bien de chez nous. Et je ne sais pas ce que vont aller imaginer les gens, qu'on mijote des trucs, qu'on leur cache des choses. - Je rappelle, dit Larry, au cas où, qu'il n'y a pas eu de mission humaine en dehors de la Lune et qu'il n'y a pas d'équipage sur Mars, je vous le certifie, dit-il à l'attention de Marion tout en guettant la caution de John en le regardant par dessus la table. Il s'était assis, Marion était toujours debout, et John plutôt allongé dans le fauteuil. Une fois dans le couloir, il se dit qu'il fallait qu'il parle à quelqu'un de cette histoire d'araignée, ça le tarabustait, il savait qu'en matière de psy, il ne fallait jamais laisser traîner. En regardant Marion s'éloigner, il réalisa qu'ils n'avaient même pas posé la date pour une prochaine réunion, le protocole se perd, se disait-il en marchant vers son bureau. Il prit rendez-vous avec le psy interne, mais avant d'arriver, il balisa mentalement l'entretien. Il ne pouvait pas lui parler de l'histoire de Mars. Pas de l'araignée non plus, ça l'en aurait rapproché. Il fallait transposer. - Bonjour Mr Groove, c'est la première fois que nous nous voyons je crois. Elle devait être en fin de carrière, vue son allure de momie indéfinissable, se dit John. Desséchée par des années de souffrance côtoyée, avouée, dissimulée, par les divorces qui cachent des liaisons qui cachent des trahisons qui cachent des aveux qui dissimulent des secrets qui finissent par s'envoler avec des dossiers. Premier maillon d'une surveillance plus intime. Mais il ne pouvait aller voir un psy externe, trop risqué maintenant. Cela aurait passé pour une dissimulation. Il lui fallait aussi suivre le parcours bien balisé, faire attention. - Tout à fait, docteur, c'est d'ailleurs la première fois que je viens voir votre service en quinze ans de carrière, mais c'est plus par précaution, d'ailleurs. - Alors, qu'est-ce qui a motivé votre décision de demander un rendez-vous ? Si vous avez du mal à en parler, et que vous préférez que je vous pose des questions, dites-le moi, nous cernerons le sujet ensemble, si vous le voulez. Si vous préférez réfléchir un peu à la façon de le formuler, vous avez tout votre temps, je ne suis pas pressée. John hésitait en effet, mais il ne voulait pas laisser s'installer en elle le doute que ce qu'il avait à dire était plus lourd à porter que cela. - Voilà, j'ai fait une sorte de rêve bizarre, en fait. - Je vois, est-ce que vous pouvez me raconter ce rêve, est-ce que vous vous en souvenez ? - Pas exactement, pas très précisément. C'est un peu un problème avec la réalité. Une pause. Elle attendait, suspendue, en jetant un œil de temps à autre sur l'écran de son ordinateur. John se dit qu'il n'était pas impossible qu'il y ait des capteurs dans la pièce, il se détendit, après tout, il n'avait rien à cacher. Eviter aussi de répéter les choses, de relire, brouiller mais pas trop lourdement. - C'est un peu comme si vous rêviez, enfin, je rêvais qu'il y avait une girafe sur la banquise du Pôle Nord - Une girafe sur le Pôle Nord, c'est bien cela ? - Oui, enfin disons que le problème dans mon rêve, c'était surtout que je n'en étais pas sûr. On me le disait, mais je ne le croyais pas, évidemment... Ne pas trop en dire non plus. La laisser venir, elle aurait peut-être une solution, même s'il en avait douté au premier regard posé sur elle à son arrivée dans le bureau. - Ce rêve vous a-t-il réveillé sur le moment, lorsque vous l'avez fait, ou bien vous en êtes-vous rappelé le lendemain matin, ou bien encore plus tard, a-t-il resurgi dans les jours suivants ? - Non, je m'en suis souvenu le lendemain matin, il m'a paru bizarre, c'est tout, mais j'ai préféré venir vous voir tout de même pour en être sûr. Elle sentirait bien son envie de conclure, maintenant, tout cela ne servirait à rien. - Oui, vous avez raison, répondit la psy, c'est vrai que ce n'est pas un gros souci. Mais vous avez bien fait de venir m'en parler. Cela arrive à tout le monde, ce genre de rêve. Je pense que tant qu'il ne vous tracasse pas à nouveau, on peut considérer que vous allez l'oublier comme les autres. Il lui serra la main avec professionnalisme et cordialité, après tout, ils étaient de la même boîte, et leurs feuilles de paye portaient le même en-tête. Elle referma la porte en baissant rapidement la tête, déjà à son prochain rendez-vous. La première mention " P ", pour psy, apparut sur le dossier de John Groove lorsqu'elle le transmit à la commission de santé. Au mois de mars, la commission décida au vu du grade et des responsabilités de l'intéressé, qu'une action de suivi devait être mise en place sur cet incident, et une convocation fut envoyée au Général Groove un peu avant les vacances. Entre temps, et heureusement, le gars Larry avait bien œuvré pour étouffer l'affaire. Il avait réussi à bien persuader le président que tout cela était une histoire de savants déjantés qui se battent, ébouriffés autour d'un listing d'ordinateur, autour de colonnes de chiffres qui ne signifient rien. De son côté, John n'avait pas chômé. Quand on tapait " Blood on Mars" dans les moteurs de recherche, cela ne ramenait que des titres de nouvelles, et des articles sur le thème " on nous dit rien, on nous cache tout", sur des forums à fonds noir dont le logo en pyramide verte trônait au milieu des annonces des dernières exactions des extra-terrestres. Il devait revoir l'équipe du président après un déjeuner, et une visite au salon de l'armement, il lui avait couru après toute la journée. Sachant qu'il devait le retrouver, il avait pris une double ration d'antalgiques et bénissait la chimie pharmaceutique, il ne souffrait plus du dos et se sentait sur un petit nuage. " Bon boulot", lui dit Larry à la fin du cocktail après la réunion où finalement le sujet n'avait pas été abordé. Nous n'aurons bientôt plus aucune trace de cette affaire et Dieu merci. Cela me rappelle l'histoire de l'empreinte de botte sur la lune, ce qu'ils ont pu nous faire suer avec cette histoire. Au même moment, et contre toute attente, Marion et le président arrivaient vers eux. Emporté par la tourmente des badges et des voituriers, John n'avait pas remarqué que le cocktail n'avait rien à voir avec le salon de l'armement. Il avait suivi le président dans un centre culturel sur une expo où il n'avait rien à voir. Sauf que bien sûr il voyait maintenant les feuilles d'érable partout sur les drapeaux et les documents de l'expo. Il parvinrent à s'isoler plus ou moins dans un petit salon, mais on pouvait venir à tout moment. Marion marchant vers eux pile au moment où Larry allait parler de l'empreinte de la botte, son pas surtout, si décidé, si campé sur ses deux jambes. Pas comme ce flageolet de président, toujours en train de déballer sa soupe. Heureusement, il avait l'air sérieux, et John un peu calmé. - Général Groove, dit le président d'un ton un peu grave, Larry a pris la liberté d'informer Mlle Divos du cas dont nous avions parlé à propos du rapport de la Nasa, vous voyez ce que je veux dire ? - Je considère cela comme une faute, reprit le président. John était un peu abasourdi. En matière de sécurité nationale, on ne prend jamais assez de précautions, et je suis étonné que vous ne lui ayez pas conseillé immédiatement après notre conversation de restreindre plus sévèrement le cercle des personnes informées. C'était de votre devoir. John revit les taches rouges, essaya involontairement de les compter, et imagina un type plié en deux se tenant le ventre, là-haut, non c'était n'importe quoi, vraiment n'importe quoi. Mais il ne pouvait pas comprendre que le président revienne là-dessus aussi brutalement. En plus cela ne collait pas avec ce que lui avait dit Larry, pas du tout. Il se tourna un peu vers lui sans avoir l'air de cesser d'écouter le président, et le vit distant comme étranger à l'affaire. Il était en train de se faire étriller, et il semblait écouter le bulletin météo d'un coin du Kansas. Il ne pouvait détourner son regard plus longtemps et passa sur Marion. Il y reviendrait plus tard. - Je vous serai reconnaissant de me retrouver tous les trois demain avant le déjeuner au Congrès, et d'ici là, pas un mot à personne. Il disparut vers la salle de réception avec Larry. Il lut finalement un peu de détresse dans l'attitude de Marion lorsqu'il la regarda longuement avant de prendre la parole. Elle n'était pas si méchante finalement, mais plutôt désemparée. L'image de la psy lui revint parce qu'elles étaient associées à la journée où il l'avait vue. Elle était beaucoup plus jeune. Mais non, ce n'était pas le même jour. Enfin, pas du tout le même style. C'est la façon de s'habiller, sans doute, des choses qu'on peut se permettre. Il se demanda s'il fallait en parler. Elle sentit son hésitation. Elle aussi balançait entre le désir d'une explication et la peur de se lancer dans une question de toute façon insoluble. Finalement, le besoin de préparer un front uni pour le lendemain l'emporta, et elle attaqua le sujet, sans agressivité. - Je ne sais pas pourquoi il fait tout un foin de cette histoire. - Cela fait partie de son boulot, mais il vrai que j'ai été étonné aussi, je pensais que c'était un peu fini, cette histoire. Il revit les taches. Il se souvint qu'ils avaient dit que c'était du sang frais. Cela faisait peut-être plus coquelicot sur coquille d’œuf que brun sur gris, finalement. Il avait l'impression d'ouvrir un calendrier de l'avent, d'autant plus inutile que ce n'était pas possible. Elle le regardait, et il se demanda si elle voyait qu'il vacillait un peu intérieurement. - Cela vous a touché à un endroit particulier ? Moi j'avoue que oui, reprit-elle sans attendre la réponse, mais en marquant un temps tout de suite après. - C'est à dire que si c'est vrai... Il regretta de s'être aventuré jusque là. - Oui, si c'est vrai ? dit-elle. - Franchement, lui répondit John, tentant de mettre tout le poids de son étiquette de général dans le ton, aucun de nous n'a intérêt à ébruiter, ni même à considérer cette histoire, ce n'est pas possible, un point c'est tout. - Je suis bien d'accord avec vous, répondit Marion avec franchise, en souriant. Si c'est pour ça qu'on la paye ou qu'on nous la conseille en communication pensa John, happé par le large sourire communicatif de Marion, qu'il sentait commencer à gagner son visage. - Je vous propose qu'on tienne cette ligne demain matin avec le président, reprit John. Elle était d'accord, et il pensa au vent du large. Il pensa à ce que l'on éprouve à la vue des gens qui se promènent au bord de la mer, balayés par le vent du large. Il pensa au mot " pardon", il pensa que c'était un mouvement. - Tout va bien, alors ? Et la question de Marion visait autant le récapitulatif de leur entretien qu'à secouer John d'une torpeur qu'elle ne partageait visiblement pas. Il choisit le versant de l'entretien comme s'il se résumait là-dessus, et reprit son assurance pour lui indiquer les grandes lignes qu'ils adopteraient en commun. Le lendemain, en sortant du rendez-vous avec le président, John avait rajeuni de dix ans. Larry avait expliqué qu'ils avaient eu besoin de l'aide de Marion pour mettre au point un plan de communication, et qu'elle ne pouvait rien conseiller sans être un minimum au courant de la situation. Marion avait ensuite repris la parole pour dire que la situation était en fait extrêmement simple, c'était tout bonnement impossible, et donc, il n'y avait rien à expliquer ni à justifier, on ne peut pas justifier ce qui n'est pas possible. La communication serait donc simple, étant donné que c'est impossible, il y a eu une erreur dans les conclusions des analyses et l'interprétation des résultats, et voilà. John la regardait parler et se disait qu'elle était très jeune, en fait. - Bien, avait conclu le président, c'est parfait, je ne veux plus entendre parler de cette histoire, plus jamais. Remettez-vous chacun au travail, et étouffez-moi ça à la NASA, qu'ils oublient, on enterre, on classe, ça n'a jamais eu lieu. Pas trop de monde au courant ? - Non, non, quelques jeunes ingénieurs, c'est tout. - Bien, passons à des dossiers plus productifs si vous le voulez bien. En rentrant à sa voiture, il soufflait, il expirait des mois de tension, il avait l'impression que ses épaules retrouvaient leur mobilité, il s'offrit un jacuzzi au centre sportif de la boîte, et même quelques blagues avec les anciens rencontrés ensuite au club pour le déjeuner. Il se dit qu'il avait été affecté de façon idiote par ces histoires de bottes, de pattes d'araignées, et que cela lui avait tapé sur le système, cette histoire. Et le mot " pardon". Qu'est-ce qu'on a à foutre du mot "pardon", franchement. Tant qu'on y était, il s'avoua qu'il se taperait bien la petite prof, ça devait être un sacré bon moment. La noria des dossiers reprit, avec les attaques de terroristes, de drones à la con, les cyber-hackers en tout genre qui s'infiltraient partout. Le général John Groove diligentait des enquêtes, faisait arrêter les plus dangereux, ou du moins ceux qu'il trouvait, bouchait les trous. Il disait souvent dans les dîners qu'il était juste un pompier qu'on appelait quand il y avait le feu. Cela faisait rire, les gens trouvaient cela drôle comme image. Et pourtant ce n'était pas drôle, c'était juste la réalité. Mais bon an, mal an, à reboucher les trous, l'édifice tenait. Pas de gros dégât, on était toujours à l'abri des eaux du ciel. Un an, ça passe vite, se dit John en découvrant dans sa boîte aux lettres la convocation pour une visite au service de santé. Contrôle de routine, normal un an après. Pas de nom de service, juste un nom de toubib. Un an déjà. C'était comme un nuage dans le ciel, et en fait les gens se serrent l'un contre l'autre sur la jetée pour s'abriter. Mais un nuage, ce n'est pas une tempête. Et pourtant c'était bien le service psy qui l'avait convoqué, pas le service général des contrôles de suivi. Il serait donc bon pour une seconde convocation dans pas longtemps. Cette perspective de retrouver la même lettre dans sa boîte n'était pas réjouissante, débordé comme l'était John Groove. - Avec tout le respect que je vous dois, mon général, j'ai préféré vous recontacter pour un suivi, comme c'est préconisé dans le cadre de nos procédures. Au moins ce petit gars avait le sens des convenances, se dit John, et il connaissait ses grades. Il pensa tout de même qu'il aurait pu l'avoir poussé sur une balançoire étant donné leur différence d'âge, mais préférera le regarder comme un médecin psychiatre afin de lui retourner son respect. - Alors, mon général, j'ai consulté votre dossier lorsque la date de rappel est arrivée sur mon agenda, et j'avoue que je n'y ai pas compris grand chose. Parler, se souvint John, mais non relire. Il avait oublié cette fois de préparer l'entretien, et il se souvenait qu'il avait inventé quelque chose comme contenu du rêve la première fois, mais il ne se souvenait plus quoi. L'autre avait perçu le déclic, il fallait atténuer. - Oui, vous savez, c'était une période chargée au boulot, on était tous un peu sous tension. A la façon dont il sentit le psy recevoir le " tous", il comprit qu'il savait pour Marion. Elle avait dû être convoquée aussi. Double couche à empiler. Le vent, les nuages, rien ne valait les nuages, il redoubla d'attention, et reprit très vite. - Donc j'ai préféré m'assurer qu'il n'y avait rien de grave, mais c'est passé par la suite, un coup de surcharge au boulot, simplement. - Tout à fait, je comprends, ça nous arrive à tous, ce n'est pas toujours facile, reprit le psy. Donc vous n'avez plus jamais fait ce rêve par la suite ? Non, c'était d'autres, plus simples, à la fois, plus directs. - Non, Dieu merci, dit John en étalant un large sourire. Il ne se souvenait toujours pas de ce truc bidon qu'il avait inventé. - Bien. Comment le raconteriez-vous aujourd'hui, ce rêve, vu avec le recul ? Si vous deviez décrire son contenu d'un point de vu rationnel et débarrassé des émotions générées par le stress de l'époque. Après quelques minutes passées à s'emmêler dans d'inutiles dénégations, il la sentait s'approcher avec ses petites pattes rouges si fines qu'elles ne s'enfoncent pas même dans la cendre et trouva une issue. - En fait je pense que ce rêve était une compensation pour une sorte de mauvaise nouvelle que nous avions reçue de la NASA à l'époque. - Quel genre de mauvaise nouvelle ? - C'est un dossier confidentiel sur lequel le président lui-même ne veut plus entendre un mot. Il a été assez sec avec nous lorsque nous avons mis au courant une personne, pourtant dûment habilitée. - Je vous assure, répondit le médecin d'un ton souriant que le président aurait beaucoup de difficulté à savoir quoi que ce soit de ce qui se dit ici, il lui faudrait faire appel à une commission, cela prendrait des années, il serait à la retraite bien avant. Il avait l'air aussi sûr de lui que ces jeunes cons d'ingénieurs de la NASA, avec sa commission ... Bref, il se dit qu'il pourrait peut-être arranger les affaires des autres en bouclant ce dossier une fois pour toutes. - Eh bien la NASA nous avait communiqué le résultat des analyses de substances sur Mars, et tout était truffé d'erreurs, ce qui nous a temporairement déstabilisés. - Mais pourquoi ces erreurs vous ont-elles autant déstabilisé ? Le danger s'éloignait un peu. - Parce que c'était impossible, ils nous certifiaient des trucs impossibles que leurs capteurs avaient analysés. - Et quelque chose vous avait particulièrement choqué, sans doute, pour que vous fassiez ce rêve ? John soupira, il n'allait pas le lâcher, il commençait à avoir envie de lui en donner pour son argent. Il soupira à nouveau. - Les ordinateurs disaient que le robot avait envoyé des données correspondant à du sang. Voilà, il l'avait, il était content. Pas plus avancé, maintenant, lui non plus. - Je crois que j'en avais entendu parler sur Internet, dit le toubib d'une voix neutre. - Pas étonnant, j'avais fait circuler la rumeur pour mieux l'étouffer, répondit John un peu fermement, mais d'un ton justifié par le côté professionnel de la mesure. Il était dans son rôle, ses responsabilités, il n'y avait rien à redire. Un silence s'installa. Voilà, comme ça, c'est lui qui avait le bébé, maintenant. On allait voir s'il était si malin. - Et qu'est-ce qui vous gênait tant là-dedans ? Un instant, John hésita entre plusieurs points de vue, celui du patient qu'on évalue, et celui de l'expert qui relate le cas. - Ce qu'il y a de gênant, c'est que ce n'est pas possible, et que le président nous demandait comment il devait communiquer là-dessus au cas où on viendrait à lui poser la question. - Mais les analyses étaient formelles ? Du sang sur Mars... - Oui. Bon Dieu, ça allait recommencer. John veilla à ne pas crisper les poings, et se força à prendre une pose détendue. Si ce jeune con recommençait les tours de manège auxquels il avait eu le droit avec le président, on n'était pas sortis. - Mais vous, est-ce que vous l'avez cru ? - Non, bien sûr, dit John, épousant trop vite la communication officielle. Il n'y avait rien à croire, ce n'est pas possible, dit-il en détachant les syllabes. - Et pourtant, tout l'appareil scientifique de nos capteurs et de nos analyseurs l'affirmait ? - Oui. Du sang humain, même, annonça-t-il pour devancer la question suivante. " Pas d'erreur possible", " des taches de sang humain", il récitait, il revoyait les ingénieurs de la NASA avec lesquels ils s'était pris le bec avant de claquer la porte, refusant même d'emmener les résultats, il revoyait le rapport sur la table, avec ces photos, et les trois taches, qui couraient sur le sol, pas complètement circulaires, parfait, vraiment tout ce qu'il faut, et les petits spectrogrammes de machin à côté... Il soupira à nouveau, il secouait légèrement la tête, le regard fixé au sol, puis se reprit et affronta le regard du toubib pour y lire quelque chose. - C'est donc la contradiction apparente entre d'une part ce qui dit la vérité, ce qui est source de vérité, et ce que vous considérez comme une autre vérité indiscutable, c'est le fait qu'elles sont incompatibles qui vous perturbe. - Voilà, c'est ça qui me perturbait, rectifia John. Voilà, c'est ça tu as trouvé, bravo, on va se taper dans le dos, plus qu'à se débarrasser de ce truc. - Je n'y pense plus, j'ai vraiment d'autres chats à fouetter avec les attentats en ce moment... Le rebrancher sur l'actualité. - Et puis c'est un ordre, dit-il dans un éclat de rire. Le président ne veut plus en entendre parler, alors c'est terminé, dossier clos. - Pour lui, oui, mais pour vous, et justement au niveau de responsabilité où vous êtes, avec les tensions au milieu desquelles vous êtes... Elle avait bougé une patte, elle avait une petite tête d'épingle rouge au centre de ses pattes comme des aiguilles... John se ferma d'un bloc, releva la tête vers le psy avec un rien de défi dans le regard. - Eh oui, c'est mon métier, cela fait 30 ans que je fais cela, et tout va bien. La tension était montée d'un cran malgré cet arrêt que John aurait voulu définitif. Il avait soif, mais se demanda s'il fallait le dire. - Mon général, je n'en suis pas tout à fait sûr. Je pense que cet événement vous a mis face à une sorte de dissociation intérieure à laquelle vous n'étiez pas forcément bien préparé, malgré votre personnalité très structurée, votre grande expérience, et votre énergie à maintenir cet ensemble cohérent dans le cadre de vos activités. John ne voyait plus où il voulait en venir avec son blabla. - Pour vous, du fait de votre éducation, de vos études, de votre contexte social, et même de votre entraînement et des événements que vous avez eu à gérer, la science fonctionne comme une sorte de divinité dont les arrêts sont l'unique reflet d'une unique réalité. Sa voix est LA voix, ce qui sort de sa bouche est l'unique vérité, image exacte de ce qui se produit dans la réalité... - Oui... dit John en acquiesçant vaguement, d'un geste évasif des mains ouvertes. Cause toujours, c'est du temps de gagné. - Or la vérité que vous aviez entendue alors contredisait tout ce que vous pouviez savoir alors. Vous vous trouviez en conflit, dans la position de devoircroire quelque chose que vous ne pouviez pas croire. Ceci a provoqué chez vous une tension perturbatrice qui s'est ensuite retrouvée dans le contenu de rêves inhabituels. - Oui... - Vous en avez transféré une partie de la responsabilité sur le président, avec ceux qui ont participé à le conseiller sur la communication, ce qui vous a soulagé temporairement , mais sans pouvoir alléger la pression qui était liée, à l'origine, à la distorsion. Partagé entre le bénéfice d'une explication qui valait ce qu'elle valait, mais qui semblait satisfaire ce brave jeune homme en blouse blanche, et l'inquiétude de qu'il allait en déduire le concernant, John restait quasiment immobile. Il hésita à dire quelque chose comme " Mais tout de même, ce n'était pas possible " et tenta une autre formulation pour reprendre la main. - Et qu'auriez-vous fait à ma place ? Pas terrible, en fait, une fois sorti, se dit-il, mais bon, ça va le relancer. Il ne doit pas être loin de cinq heures, avec ses horaires de fonctionnaire, il va bien me lâcher. - Pour être franc, à votre place, j'aurais essayé, en toute discrétion, de savoir si c'était vrai. John voyait une grande étendue d'eau, qui aurait pu être du sable." Incommensurable " lui vint à l'esprit, puis l'idée de charité, une sorte de devoir, d'expliquer, finalement. - Mars était, et est toujours, totalement inaccessible à un voyage habité, docteur, dit-il doucement, gentiment avec une bonté profonde qui s'était installée en lui. Aucun être humain ne peut avoir été sur Mars, et par conséquent aucun être humain n'avait pu, et ne peut saigner sur Mars, reprit-il, laissant cette fois le " docteur" en suspens. - C'est ce que vous pensiez à l'époque et c'est pourquoi vous avez été autant perturbé. Bien. Il n'y avait plus grand chose à faire, essayer de s'en sortir au mieux, et laisser ce type derrière lui dans son bureau. - Effectivement, et cela me semble assez normal. J'avoue que je n'ai pas d'explication, mais je suis persuadé que nous la trouverons un jour en révisant les analyses avec de nouveaux logiciels. En attendant, vous pensez que cela a vraiment tant d'importance ? Là, il l'avait coincé. Il l'avait retourné. Le toubib conclut l'entretien, griffonna rapidement les signatures d'usage, et referma le dossier. Poignée de main cordiale, rapide, terminé, ce coup-là terminé, qu'ils aillent se faire foutre avec leurs analyses à la con, leurs ordinateurs à la con, ce soir, le week-end, le bateau, la mer, les nuages. Il volait presque en sortant de l'ascenseur au rez-de-chaussée, et avait dragué les infirmières tout au long du trajet de retour dans les couloirs, se perdant en riant et demandant son chemin à tous les carrefours avec des mimiques. Il passa devant les boutiques du rez-de-chaussée, se demanda s'il lui manquait des piles ou des bonbons, et son regard tomba sur la une d'un quotidien barrée d'un énorme " BLOOD ON MARS ! " John arriva en titubant au portique de sortie, où on lui fit remarquer que la fiche de visite n'était pas signée par la personne indiquée et que cela était nécessaire pour le laisser sortir, étant donné le niveau de sécurité de l'enceinte et des procédures que etc. On lui dit qu'il devait faire signer la fiche par la personne qui l'avait reçu. Il savait que s'il donnait cours à la rage qui le soulevait, cela ne ferait qu'empirer son cas. En faisant demi-tour, il vit que la boutique de presse était au-delà de l'enceinte de sécurité, ce qui était logique. Dans le même mouvement, il réalisa que l'homme qui était en train d'acheter un magazine là-bas était le docteur qu'il venait de visiter. En posant le pied, il comprit que le type était en train de partir de son boulot, qu'on était vendredi soir, et que John Groove n'allait nulle part. Il ralentit le pas pour se donner le temps de la réflexion, et visualisa la fiche de visite restée dans le dossier là-haut, sur laquelle était inscrit le nom du service, l'étage, la salle, informations d'autant mieux effacées de sa mémoire par son retour en fanfare vers le rez-de-chaussée du bâtiment, ponctué de nombreuses errances. Rebroussant chemin, il revint vers les vigiles pour leur expliquer son cas. On lui répondit qu'ils allaient essayer de trouver quelqu'un, mais qu'en attendant, il essaye de récupérer les informations sur la borne interactive à sa disposition. Laquelle borne n'était rien de plus que l'écran tactile d'un navigateur sur un vague diaporama de présentation des lieux, un prétendu moteur de recherche menant aux trois mêmes pages, et un étalage en boucle des consignes de sécurité, et lui répondit que sa carte n'était pas à jour. Après un temps qui lui parut très long, il abandonna. Sa colère était tombée, il ne restait plus qu'une immense tristesse. Il se dit que la console pouvait tout aussi bien avoir diffusé quelque substance vaporisée par le meuble, il se reprocha d'avoir été aussi stupide mais il était trop tard. Il se reprocha encore d'être parano, on était pas en terrain ennemi, là. Lorsqu'il se retourna les vigiles avaient changé, et l'un d'entre eux parlait en le regardant de John à une infirmière, avec des gestes qui disaient " Occupez-vous de ce type, moi je ne peux pas le laisser sortir ". Il préféra aller à sa rencontre. Il lui expliqua son problème, elle l'écouta et lui demanda une pièce d'identité, puis elle le pria d'attendre dans une petite salle attenante au hall. John finissait par se demander si elle l'avait bien compris, à cause du fort accent espagnol de l'infirmière. L'administration respectait admirablement les quotas sous la pression des lobbies ethniques, et il devenait difficile de parler à quelqu'un qui comprenne vraiment ce qu'on lui disait, mais il paraît qu'on allait introduire sous peu des interfaces vocales sur tous les uniformes de l'administration. La parole serait captée sur un micro près du col, est restituée, traduite, dans une oreillette portée par l'interlocuteur. John avait vu quelques uns des prototypes fonctionner, et malgré ses réticences, il avait dû admettre que les résultats étaient impressionnants. Le seul inconvénient était que pour que la personne puisse entendre distinctement, il fallait s'en détourner pour ne pas interférer avec l'oreillette. Comme le signal était échangé par radio, cela marchait au mieux quand les deux personnes étaient de part et d'autre côté d'une vitre... John se dit que cela serait drôle, quand toutes les machines seraient séparées par des vitres pour mieux se comprendre, et, au moment où l'infirmière entra, qu'on serait comme des mouches sur les fenêtres, essayant de rejoindre l'autre côté. Elle lui dit qu'elle lui confirmait qu'il avait bien eu rendez-vous aujourd'hui avec un des médecins-psychiatres de l'établissement, mais qu'elle n'était pas arrivée à le joindre, qu'elle essaierait de nouveau, et qu'elle était désolée, mais que les procédures ne lui permettaient pas de signer elle-même la fiche, ni personne dans l'équipe de permanence actuellement, même compte-tenu du grade du général. Elle lui indiqua un distributeur de boissons pour s'il désirait un thé ou un café, et s'éloigna dans le couloir. Comme de juste, le réseau de téléphonie mobile était inaccessible John se rappelait du programme au cours duquel cette mesure avait été intégrée. Dans tous les lieux sensibles où des informations etc. etc. Il avait contribué à mettre tout cela en place, il avait supervisé les réunions, revu les versions finales des normes, il avait tempêté pour que tout cela soit signé, appliqué, et la mise en oeuvre contrôlée, auditée... Et maintenant... De là où il était, il ne pouvait même pas voir sa voiture sur le parking. Elle devait être la dernière à cette heure. Le soleil se couchait et il pensa au lac où il aurait dû être, à sa maison au bord de l'eau, à son bateau. Les voisins se diront qu'il n'a pas pu venir, débordé de travail comme d'habitude... L'infirmière revint pour lui dire que le médecin avait pu faxer une autorisation de sortie, et que tout allait s'arranger. John lui demanda si le vendeur de journaux était encore ouvert à cette heure tardive. Il ne se sentait pas terrible du tout et avait hâte de rentrer. Le lendemain, une dépanneuse vint enlever la voiture. Le lundi, lors de l'archivage hebdomadaire, le fichier des sorties comportait une ligne avec la référence de sa fiche, vers 23 heures. Sa famille fut avertie et put venir se recueillir devant le corps transféré à l'hôpital militaire le plus proche. - Bon alors, on va voir les enfants ce week-end, oui ou non, décide-toi. C'est l'anniversaire de Jane et si on veut lui trouver un cadeau nous-même, c'est maintenant ou jamais. Sinon je peux demander à Kelly de s'en occuper. - Laisse, répondit Marion, elle a assez à faire à organiser le goûter des copines de Jane, qui a plus d'amis que le sénateur du coin. On va y aller. - Tiens à propos d'amis, ton général Groove, il doit être content. - Non, ça, non. Il est décédé il y a vingt ans - Ah oui, exact. Déjà... Pour un gars qui faisait tant de sport, décéder au cours d'une visite de contrôle, c'était pas de pot. - Et alors, pourquoi il aurait dû être content. ? - Parce que j'ai entendu qu'ils ont trouvé qui avait mis le souk dans les rapports de la Nasa à l'époque. Un vrai gag. - Ah oui comme ça ? Et alors c'est qui ? - Une araignée ? Marion se transformait en glace intérieurement. Elle sut qu'elle allait se remettre à fumer dans les prochaines minutes. Tout son corps fut secoué et elle sentit sa transpiration. - Oui, une minuscule araignée qui a déréglé les programmes informatiques, elle est arrivée à perturber toute la chaîne, depuis les capteurs, jusqu'aux logiciels d'analyse, en passant, le plus fort, par les images envoyées par la caméra. Marion ne bougeait plus. Elle voyait les nuages fuir sur l'horizon, les merveilleux nuages. Elle se dit qu'elle n'avait pas attaché assez d'importance aux nuages jusqu'ici, et qu'elle allait se maquiller très soigneusement pour aller chez leur fille demain. Elle entendit, très loin, comme à travers une cloison, son mari qui reprenait. - Tu penses que quand j'ai lu ça, j'ai appelé Larry pour voir s'il savait déjà. Il m'a dit que cela faisait quelques années déjà. Et le plus dingue c'est qu'ils ont demandé au système de lister les causes possibles de la panne du système qui avait causé cela, et il a répondu " pour faire une farce". - " Le problème lorsqu'une mauvaise nouvelle arrive par le mauvais canal, c'est que ça aggrave la catastrophe." - Comment ça ? - C'est John qui disait ça à propos de cette histoire. Bon, il va falloir y aller, non ?

- Tu crois que c'est possible, toi ?

- Quoi donc ?

- Ben qu'il y ait du sang humain sur Mars.

- C'est pas ça, le problème.

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