Chapitre 16 - Au revoir

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Mes maigres affaires sont rangées. Je sors de la maisonnette et me retourne pour la regarder s’enfoncer à travers le portail de Vīian.

« Où l’emmenez-vous ? » je demande.

Le maître m’explique que la cabane dort dans un hangar, sur l’une ses propriétés, lorsqu’elle n’est pas utilisée. Il part la ranger et viendra me chercher après.

Il passe le portail, je suis seul. J’ai deux heures de liberté avant qu’il ne revienne.

J’ai déjà planifié ce temps libre la veille.

J’entame ma petite ascension vers le plateau d’entraînement. Arrivé en haut, je m’aplatis au bord de la falaise et guette l’oiseau, une dernière fois.

Demain débutent les épreuves nationales des écoles d’Aptitude. Des milliers de jeunes Aptes seront regroupés dans l’immense arène de la capitale, Colosseum. Nous serons jugés sur notre maîtrise de l’Onde, mais aussi sur nos liens parentaux, avait ajouté Vīian avec un rictus sarcastique.

Une pensée me traverse l'esprit. Omnubilé par mon élément, j’ai complètement oublié de questionner le maître sur mes parents, ces deux dernières années. Tant pis, ce n’est pas urgent.

Tranquillement allongé sur le quartz doux, je ne suis pas stressé. Je n’ai pas chômé cette dernière année et je suis satisfait de ma maîtrise de l’air. Pour le moment, bien sûr. Je ne vais certainement pas m’arrêter en si bon chemin.

Je tends ma main gauche au-dessus du vide et admire le bracelet de quartz, cadeau de mes dix ans, de Vīian et Papi. L’anneau est orné de délicates décorations finement sculptées dans la pierre. L’objet est somptueux. Papi a dû y passer plusieurs semaines. Je souris en me rappelant la fierté que j’ai lu dans ses yeux quand il me l’a offert.

Mon regard se pose sur la minuscule marque laissée par Vīian, mon portail de rangement.

Je concentre mon Onde dans le bijou. Ses ornements ondulent doucement comme des vagues, ou plutôt comme du vent. Un portail, à peine plus grand qu’Ooka, se forme, j’y glisse ma main gauche et en ressort un carnet de cuir. Plus de dix semaines sont passées depuis que le maître a apposé ce « sceau d’anniversaire », et je suis toujours aussi émerveillé devant son fonctionnement.

Je retire mon Onde, non sans admirer une dernière fois les courbes mouvantes du bracelet, et l’accès au stockage se referme.

Je jette un rapide coup d’œil en aval, toujours aucune trace de l’oiseau. Soyons patient.

J’entame la relecture de mes notes sur le concours. Il durera deux semaines, soit vingt jours.

La première étape, demain, est éliminatoire. De cinq mille, nous finirons à deux mille Aptes. Les suivantes ont pour unique objectif de donner aux sélectionnés l’opportunité de montrer leurs Aptitudes. Ceux qui réussissent la première épreuve auront forcement une école.

J’espère être choisi par un bon établissement.

Résolu, je continue ma lecture.

Un léger fourmillement, reconnaissable entre mille, titille mon Aptitude.

La forêt des géants, sur la droite, il arrive.

Je range mon cahier, et m’avance juste au bord du précipice.

Je surveille l’orée du bois quand, fidèle à lui-même, le Strīx en surgit dans un battement d’aile fluide et puissant. Aujourd’hui, c’est un herbivore à quatre cornes, un Caprā, que la bête a choisi comme repas. Aussi haute qu’un des chevaux de Papi, elle ne bouge déjà plus, solidement empalée dans les serres du rapace.

Je ne le quitte pas des yeux alors qu’il entame sa remontée majestueuse vers le nid.

Arrivé à bonne hauteur, il s’extirpe du courant ascendant. Contrairement à ses habitudes, il se stoppe dans les airs et lève son immense tête vers le sommet du mont. Nos regards se croisent, se fixent, un instant. L’Onde en moi, bouillonne. Puis ses aigrettes s’agitent et il entre dans son repère en un ultime battement d’aile.

Il me dit au revoir. J’en suis certain. Mon Aptitude s’est agitée quand j’ai ressenti la connexion avec l’oiseau.

Immobile, sidéré par ce qui vient de se passer, je m’aperçois que je flotte légèrement, toujours à plat ventre. Un lit de vent me soulève de quelques centimètres. L’effet se dissipe et je tombe lourdement au sol. Évidemment, à chaque fois que je fais quelque chose d’instinctif ...

J’ai beau râler, les quelques bleus que je garderai de cette expérience ne sont rien au regard de la douce chaleur que je ressens dans la poitrine. Le Strīx m’a laissé un souvenir.

Lorsque le maître émerge du portail, je m’empresse de lui raconter les faits. Lui qui doutait de cette affinité particulière dont je lui parlais sans cesse, ces deux dernières années.

« Je te tire mon chapeau gamin. Il semblerait que tu aies fait la connaissance d’un Légendaire. » s’enthousiasme Vīian.

Ne sachant pas de quoi il parle, je le questionne.

« Les légendaires sont des animaux dotés d’une intelligence et d’une puissance supérieure à leurs homologues. Certains les qualifient de divin. Ils sont très rares et ne se différencient pas parmi les individus de leur race. Seul un lien, comme celui que tu as expérimenté, permet de les identifier.

— Et à quoi sert ce lien ?

— Ça, je n’en sais rien. » avoue-t-il. « Le cas est si rare et ses utilisations documentées si diverses que je te conseille de le découvrir par toi-même. »

Nous avons quitté le Mont-Blanc il y a deux heures. Assis autour d’une jolie table en bois, assortie aux meubles de la maison du maître, nous venons de terminer le repas. Il s’applique maintenant à me noyer d’informations sur la journée de demain.

Jugeant que ma tête est assez pleine, il me montre enfin la petite chambre, à l’étage, où je logerai les vingt prochains jours.

De ce que j’ai cru comprendre, nous sommes dans l’une des résidences de Vīian, située assez proche d’Azūr, la capitale, pour que nous puissions nous y rendre en un seul portail.

J’ouvre la fenêtre de la pièce et prends une grande respiration. J’aime cet endroit. Je suis presque sûr que le maître l’a choisi pour m’éviter la ville. Il a laissé échapper durant le repas, qu’il avait aussi un appartement dans la cité. Pourquoi a-t-il tant de résidences, ce bonhomme ?

Je me perds dans la contemplation de l’Astre. Je suis heureux d’être de retour au milieu de la nature verdoyante et ondoyante. Un courant d’air vient me chatouiller le cou, je souris et profite pleinement de ce lien particulier que j’ai développé avec l’air.

Tu seras avec moi demain, n’est-ce pas ? La bise se glisse doucement entre mes doigts, remonte mon bras et vient pousser doucement ma joue. Je laisse échapper un rire. Merci !

Allongé dans un lit douillet, je tarde à m’endormir. La chaleur du Strīx s’est atténuée, mais subsiste dans un recoin de mon cœur. Exalté par cette nouvelle découverte, je me promets de fouiller de fond en comble chaque bibliothèque à laquelle j’aurais accès, dès le début de mes études. Encore faut-il réussir demain !

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