Chapitre 15 - Chasse

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Je regrette cette pensée qui m’a traversé l’esprit, quatre semaines auparavant, alors que ma main me brûle atrocement. Mes forces me lâchent et je m’effondre au sol. Que sont quelques heures d’acharnement en plus pour réaliser son rêve ? Imbécile de Sūta. Une larme m’échappe alors que je retire lentement le gant de plastique de ma main droite.

Ooka s’approche timidement et me dépose le pot d’onguent spécialement concocté par une soigneuse de Tolfī. Je m’en badigeonne les mains tout en poussant un soupir de satisfaction. Depuis huit semaines, je vis pour cette pommade, si douce et apaisante. Le sédatif que la soigneuse a ajouté pourrait anesthésier un Strīx, m’avait rapporté Vīian, dès son retour de la ville.
Ma main a déjà absorbé toute la crème et je la sens revivre doucement.
Je remercie mon adorable chienne d’une caresse et reprends mon exercice.

Assis en tailleur, j’enfile un nouveau gant fourni par le maître. La gymnastique est toujours la même. Sentir mon élément. Réveiller mon Aptitude. La discerner autour de moi. La concentrer dans ma main, sous le gant, jusqu’à ce qu’il éclate. Cette fois, c’est la bonne. Je passe facilement les trois premières étapes et je suis sur le point de maîtriser la dernière.

Les flux semblent heureux de me voir aujourd’hui et disposés à me faciliter la tâche. Les courants sont clairs, doux et aucun tumulte ne vient perturber leur course. Je n’ai aucun mal à les inviter à s’insinuer sous le gant, autour de ma main. La quantité critique s’est rassemblée à l’extrémité de mon membre et je canalise toute mon attention sur ce moment.
Ça y est. Une dernière lampée de vent vient s’ajouter à l’air concentré autour de ma main. Le gant éclate dans un unique bruit sec. Un morceau de plastique m’arrive en pleine face. Un silence. Le fragment se décolle doucement de ma pommette et dégringole au sol. Silence.
Ne pouvant plus me retenir, j’éclate d’un rire tonitruant qui a le mérite de rassurer Ooka, surprise dans sa sieste par l’explosion. Je roule sur le dos les bras tendus. L’Astre est beau aujourd’hui. C’est une belle journée.

**

5 42 3290. Malgré la plénitude que j’ai ressentie ce jour-là, il m’a fallu huit autres semaines pour maîtriser le mouvement. De longues semaines.
Aujourd’hui, j’ai réussi ma première attaque sur un mannequin de chiffon.
Aujourd’hui, Vīian m’a annoncé qu’il ne m’aidera plus à chasser dans la forêt du mont.
Aujourd’hui, il m’a aussi précisé que je n’aurais pas d’autre arme que mon Aptitude et un couteau.
Aujourd’hui, je ne sais que penser. Exalté d’avoir réussi un nouveau mouvement. Terrifié de ne peut-être plus manger pendant quelques jours. Avide de découvrir ce que demain me réserve. Et d’autant plus motivé d’en apprendre davantage sur mon Aptitude.

**

L’air est frais, ce matin. L’Astre est au minimum de sa taille et la lumière bleutée qu’il dégage vacille doucement à travers les feuillages des géants.
Il est 6 heures. Déjà une heure que je guette, tapi dans un fourré, la sortie de mon dîner. Son terrier est juste en face de ma cachette, mais la bête ne daigne pas sortir.

Je suis étrangement calme quand j’aperçois enfin une oreille indécise passer l’entrée du trou de terre.
L’air afflue autour de ma main, prêt à l’action. Je me remémore, avec un frisson, tous les détails de l’exercice du gant, prémices douloureuses de mon attaque à venir. Mes mains craquelées au sang, il y a de ça quelques semaines, sont enfin guéries. La peau réparée accueille les lampées de vent qui tourbillonne autour d’elle.
D’un mouvement ample et rapide du bras droit, du cœur vers l’extérieur, je relâche toute la puissance emmagasinée en un point, sur le pauvre lapin. L’onde de choc prend une forme de demi-lune, calquée sur l’élan de ma main, et emporte la bête qui s’assomme contre le tronc suivant.
Raté.
Je suis partagé entre joie et déception. Je vais pouvoir manger, mais tout ne s’est pas déroulé comme je le voulais. Ayant récupéré la carcasse, je commence à la dépecer en réfléchissant à mon mouvement.
Pas assez condensé. J’ai canalisé l’élément autour de ma main, mais lorsque que j’ai déclenché l’onde de choc, le vent s’est dispersé. Mon but est de former une lame si dense qu’elle trancherait au lieu de repousser ma cible.

Je pourrais tuer quelqu’un avec une telle technique. Je frissonne. Ce n’est pas mon but et de toute façon, je ne maîtriserai pas cette technique avant des années.
Rasséréné, je me replonge dans ma tâche laborieuse et peu ragoûtante.

Perdu dans mes pensées, je surveille à peine mon repas sur le feu, quand une idée, que je trouve ridicule, mais tout à fait géniale, me vient.
J’aimerais développer mon Aptitude jusqu’à la limite de mes capacités. J’ai déjà commencé à documenter mes avancées. Vīian m’a même acheté un cahier à la ville, la semaine dernière, en me défiant de bien le cacher pour ne pas qu’il lise mon « journal intime » par inadvertance.
C’est pourquoi, je trouve tout à fait logique de nommer mes techniques afin de mieux les organiser. Je rougis et laisse échapper un rire gêné, en ruminant cette idée si risible, mais si classe à la fois.
Je finis par approuver ce projet et me jure que ces noms n’appartiendront qu’au domaine de mon cerveau.

De retour à la maisonnette, le ventre plein et quelques réserves de baies, de légumes sauvages et de viandes, précieusement rangées, je me pose à mon petit bureau et commence mon carnet intitulé « 2 Air ».
J’inscris et détaille les techniques que je connais pour le moment. ‘Vol’, ‘Transe, ‘Choc’ et ‘Lame’. Je m’empourpre à nouveau lorsque je me relis. J’écris vraiment comme un enfant. Suivi d’un : mais tu es un enfant, crétin. Je rigole doucement du dialogue de ces voix dans ma tête, de toute façon personne ne lira ça.

**

« Oh, le petit s’est mis à écrire son autobiographie. Tu te sens déjà célèbre ? Regardez tous, c’est le sage Sūta qui a inventé la technique Choc. Et Lame aussi. Quel savant cet enfant ! » me singe mon maître bien trop pénible.
Quand a-t-il piqué mon carnet ? Caché sous mes draps, rouge de honte, j’attends qu’il finisse sa représentation.
Le silence. Je sens qu’on s’assoit au bout du lit.
« Tu sais, j’ai beau me moquer, je trouve que l’initiative est très intéressante et je t’invite à continuer. Retracer tes expériences peut t’aider à innover dans ta manière de développer ton Aptitude. Et puis les noms sont géniaux. » ajoute Vīian avec un clin d’œil. Je suis sorti de sous ma couette et mes joues refroidissent enfin.
« En plus, dans quelques semaines, tu pourras ajouter Barrière à tes capacités. »

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