Chapitre 46 : Lynn

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Lynn fut le premier sur les lieux. Il gara la moto, ôta son casque et ses gants, coupa le contact. Puis il se dirigea vers la porte à battant, l'ouvrit. Le local était silencieux. Seul le ronronnement régulier du réfrigérateur lui parvenait. Comme il faisait un peu sombre, il fit alors remonter les stores des fenêtres pour apporter un peu de lumière. Puis il se retourna.

Son regard fit le tour de la pièce. Les deux amplis éteints, la batterie en ordre. Sur son support se trouvait la guitare de Ruggy. Celle qu'il ne prendrait plus entre ses mains. D'où il ne tirerait plus une seule note. Celle qui demeurerait silencieuse à jamais. Il s'approcha des instruments, effleura la guitare et ferma brièvement les yeux. L'image de Ruggy étendu sur le lit d'hôpital lui revenait, nette et précise. Douloureuse.

Il prit une profonde inspiration, se souvenant de la raison pour laquelle il se trouvait là : il devait parler sérieusement avec Snoog et Stair, maintenant que Jenna les avait mis devant leurs responsabilités. Elle comptait sur lui pour faire avancer leurs réflexions, préciser leurs choix. Il ne voulait pas la décevoir. Car il savait qu'elle avait raison : il fallait relancer le groupe. Repartir. A trois, c'était bancal. Mais à trois, ils étaient solides aussi. Et après tout, à l'origine, Ruggy avait été le dernier à les rejoindre.

Il eut une pensée pour Mme Ferew. Il se revoyait, adolescent, quelques mois après que Ruggy les avait rejoints. Alors qu'ils commençaient à travailler leurs premières chansons - Lies, more lies ! et Dark City. Il s'était rendu chez lui, avait rencontré sa mère pour la première fois. Instantanément, elle lui avait fait penser à Rosie. Pourtant, physiquement, elles étaient très différentes. Mais elles avaient toutes deux quelque chose qui donnaient envie d'être près d'elles, de se laisser prendre par la main, de les écouter. Lynn avait compris, assez vite : Ruggy avait une vraie mère. Et, comme lui, un père qui n'était qu'un géniteur. Même enfance brisée, même lutte, même violence. La différence entre eux était que Ruggy, lui, avait sa mère. Et le lien entre eux deux était fort. Lynn le savait bien : Ruggy avait du travail, régulier, comme lui-même. Il aurait pu prendre un appartement, même un petit, s'installer. Il était resté avec sa mère, car elle avait besoin de lui. Et pour rien au monde, Ruggy ne l'aurait abandonnée. Il pouvait larguer une fille, même larguer le groupe, laisser tomber la musique. Mais pas sa mère.

"Comment va-t-on l'aider ? Maintenant ? Qu'est-ce qu'on peut faire pour elle ? Et pour lui encore ?" C'étaient les questions qui lui tournaient dans la tête depuis sa discussion avec Jenna ; ils allaient devoir désormais trouver des réponses. Ensemble. Snoog, Stair et lui. Car eux seuls avaient la ou les réponses possibles. Eux seuls pouvaient faire quelque chose.

Un bruit de moteur interrompit ses réflexions. Il se rendit compte qu'il avait toujours la main posée sur le manche de la guitare de Ruggy, ce qui ne fut pas sans lui rappeler cette visite à l'hôpital, quand il lui avait brièvement serré le poignet. Il s'éloigna d'un pas lent, se dirigea vers le réfrigérateur pour sortir des bières alors que ses deux amis franchissaient le seuil. Il ne fut pas étonné que Stair soit passé chercher Snoog pour venir ensemble.

- Salut, Lynn, fit le chanteur.

- Salut, les gars, répondit-il. Une bière ?

- Salut, Lynn, ouaip, volontiers, répondit Stair.

Snoog approuva de la tête.

Ils trinquèrent ensemble, puis s'installèrent autour de la table. Lynn fut le premier à prendre la parole, après qu'ils avaient tous les trois bu quelques gorgées.

- Alors, les gars ? Vous avez réfléchi ?

- Ouais, fit Snoog. Un peu. Et toi ? Tu as des idées ? Vous en avez reparlé avec Jenna ?

- Pas beaucoup, dit-il. Elle voulait me laisser réfléchir de mon côté. Mais elle est dispo si on veut...

Stair hocha la tête, but une nouvelle gorgée. Puis il dit :

- Faut qu'on r'prenne.

Snoog et Lynn échangèrent un regard. Leur ami avait tout dit, tout résumé.

- Oui, soupira Lynn. On n'a pas l'choix. La part des ventes de l'album risque de pas être suffisante, à long terme. Ni pour la mère de Ruggy, ni pour chacun d'entre nous. On tiendra, mais pas longtemps.

- Yep, fit Snoog. Faut pas oublier qu'on a signé un contrat aussi... On est tenu de le respecter.

- J'ai un truc à proposer, fit Stair.

Les deux autres le regardèrent. Il poursuivit :

- Si on repart. Déjà, faut un guitariste. Ca... Gordon devrait pouvoir nous en trouver un. Ensuite, faut qu'on décide c'qu'on fait de l'argent. L'argent du premier album. On n'est plus que trois dessus. Pour le moment, on n'a rien changé. Mais on pourrait.

- Comment ça ? demanda Snoog un peu interloqué par ce que disait Stair.

- On pourrait modifier la répartition des parts. On laisse la moitié à la mère de Ruggy. Nous, on se partage l'aut'moitié. Ca nous suffira pour tenir jusqu'au prochain album. Même s'il sort pas tout d'suite. Et après... Après, on peut soit continuer comme ça, soit lui laisser tous les droits. Sur l'premier album.

Snoog hocha lentement la tête. Lynn demeura silencieux, mais l'idée faisait son chemin dans son esprit.

- Pas bête, fit-il. Perso, ça suffira. Même si Jenna bosse pas. J'ai mis d'côté pour sa rentrée. Ses cours de moto sont payés. Et j'me suis racheté c'qui fallait aussi. Et vous ?

- Pas d'besoins particuliers, répondit Stair. J'peux payer le loyer sans souci pour les prochains mois, donc...

- Pareil, fit Snoog. J'avais dans l'idée un nouveau tatouage, mais ça attendra. Y'a plus urgent.

- C'était quoi, ton idée ? fit Lynn, vivement intéressé.

- Une grande toile d'araignée dans le dos, répondit son ami avec un large sourire. Les filles détestent les araignées, mais elles kiffent grave les tatouages. Mélange attirance-répulsion...

- Ca fait presque le titre d'une chanson, fit remarquer Stair.

Snoog le fixa :

- T'es pas con, toi. En plus, t'as raison. Faut qu'j'me remette à écrire...

- Moi aussi, soupira Lynn. Sauf que pas d'idées. Jenna pense qu'on a de quoi pour le deuxième disque.

- C'est pas faux, fit Snoog. Rien que Dark City, plus quatre-cinq autres qui tiennent la route et qu'on n'avait pas pu mettre sur le premier. No man's land, même s'il faut travailler la mélodie et les arrangements.

- Et c'que t'as écrit sur Ruggy, fit Stair.

- Oui, répondit Snoog d'un ton ton grave, le visage soudain fermé. Oui. Mais, là, les gars, faudra m'aider. Pour la mélodie et tout.

- On la f'ra ensemble, t'inquiète, fit Lynn.

Snoog hocha lentement la tête, son regard se perdit vers la guitare de Ruggy.

- Oui, on l'écrira ensemble, renchérit Stair.

- Bon, fit Snoog en se reprenant. On a fait l'tour ?

- Yep.

- On s'boit un coup dans un pub ? Ca nous changera un peu...

- Ok, répondirent les deux autres.

Et ils sortirent du local. Lynn laissa là sa moto, montant en voiture avec les deux autres. Ils n'allèrent pas bien loin, s'installèrent dans le premier pub venu. Ils ne parlèrent plus de Ruggy, ni de la proposition de Stair concernant la répartition des parts. Mais discutèrent de musique, des chansons. Quand ils se quittèrent, ils se donnèrent rendez-vous pour revoir Gordon.

Avec cette fois, des propositions à lui faire.

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