Chapitre 42 : Jenna

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- C'est comme quand tu tombais à cheval, baby, quand t'étais gamine et que tes parents te faisaient faire du poney, avec ces tenues ridicules. Le meilleur moyen d'exorciser une peur, c'est de la regarder en face.

Je fixai Lynn d'un air un peu boudeur. Suite à mon cauchemar récurrent et malgré le fait que j'étais parvenue à remonter en moto avec lui, Lynn avait décidé de m'offrir des cours de conduite et de me payer une moto avec une partie de son cachet de la tournée. J'étais réticente, très réticente. Mais il m'avait secouée en me disant que je pouvais en penser et en dire ce que je voulais, lui remonterait à moto. Il me priait donc ne pas la ramener à ce sujet. J'avais ravalé ma peur ou, du moins, je tentais de le faire depuis ce jour.

L'accident datait déjà d'il y a huit semaines. Nous étions tous encore un peu sonnés. Et surtout meurtris. Ruggy avait été récemment transféré à Manchester, dans une unité de soins spécialisés. Il était toujours dans le coma.

Maggie avait totalement disparu de la circulation. Lynn se rendait dans leur salle de répétition quasiment tous les jours et tapait durant une ou deux heures comme une brute sur sa batterie. Mais il n'y avait aucune répétition proprement dite. Ils étaient encore incapables de rejouer ensemble, d'envisager leur avenir, celui du groupe. Cela viendrait, Gordon commençait aussi à les secouer. Mais ce n'était pas encore le bon moment. Dans deux jours, ils auraient dû retourner en studio, à Londres, pour enregistrer le deuxième album. On en était bien loin. Ils n'avaient pas du tout cela à l'esprit et je pouvais les comprendre. Moi-même me sentais incapable d'être éloignée de Lynn en ce moment. Heureusement que sur le plan financier, on était maintenant à l'abri pour quelques temps.

J'étais donc là, le casque à la main, le blouson sur le dos. Face à Lynn et à un moniteur prêt à me guider. Une moto d'apprentissage m'attendait.

- Je peux pas, finis-je par lâcher en remettant mes gants dans le casque.

Lynn m'attrapa aussitôt les mains, les serra dans les siennes en me fixant droit dans les yeux.

- Tu peux le faire, baby. Je sais que tu peux le faire. Et tu vas le faire. Essaye, au moins une fois.

Je soupirai, mais me résolus à ressortir mes gants du casque et à l'enfiler. Il m'aida à l'attacher, puis je mis mes gants. J'avais l'impression d'être un automate. Le moniteur ne disait rien, il avait laissé Lynn me convaincre. Il était au courant de ce qui s'était passé et agirait en conséquence : il comprenait ma peur, mais aussi le souhait de Lynn de nous la faire dépasser.

Je pris place sur la moto. Elle n'était pas très haute, je n'eus donc pas de mal à monter dessus. Puis il m'expliqua les premières consignes, les différentes manettes. Je me surpris à l'écouter attentivement, à fixer mon attention sur ce qu'il me disait et pas sur mes souvenirs de l'accident et de Ruggy étendu sur son lit d'hôpital, intubé et inconscient, tel que je l'avais vu la seule fois où j'avais accompagné les garçons pour une visite. Et, surtout, je ne pensais pas du tout à mon cauchemar.

Je mis les gaz, finalement curieuse de m'approprier les explications du moniteur, de voir si j'étais capable de mener la moto. Puis j'oubliai tout et me concentrai sur le cours, les exercices à faire. Il fallut presque m'arrêter, mais, à la fin, le sourire et le regard plein de fierté de Lynn me réconcilièrent avec cet engin. Oui, finalement, moi aussi, j'allais apprendre à conduire une moto.

**

- Pour fêter ça, je t'emmène manger chinois, proposa Lynn alors que nous remontions sur sa moto, à l'issue de mon cours.

- Ah ? fis-je simplement. Si tu veux.

Je ne dis pas non : depuis l'accident, nous n'étions pas ressortis une seule fois, pas même prendre un verre dans un pub. Alors, un petit repas en-dehors de notre cocon, ça ne ferait pas de mal. Je pensai juste que le terme "fêter" n'était pas très approprié, mais je gardai cette réflexion pour moi : Lynn devait ressentir lui aussi le besoin de sortir, et pas uniquement pour aller taper comme un malade sur sa batterie.

Nous reprîmes donc la route vers le centre-ville. En arrivant et après nous être garés, alors que nous nous dirigions vers le restaurant, main dans la main, je lui dis :

- Tu sais, j'aimerais bien dire à Ally de venir manger un soir. Ca me ferait du bien de la revoir.

Sa main serra un peu plus fort la mienne et son visage se ferma : toute allusion, tout ce qui pouvait lui rappeler l'accident de Ruggy le rendait ainsi. Et pas seulement l'accident lui-même, ses conséquences aussi, que ce soient l'arrêt des répétitions, les chiffres de vente de l'album ou le fait qu'on ne voyait quasiment plus personne. C'était difficile à vivre, je savais qu'il fallait aller de l'avant, mais ce n'était pas encore le bon moment pour lui, et pour Snoog et Stair aussi. Je les voyais assez souvent pour en avoir conscience. Et je les aidais tous les trois au mieux.

- Baby, me dit-il, je ne me sens pas encore capable de revoir du monde, de faire comme si... Mais si tu veux sortir un soir avec elle, pas de problème, vas-y. Je comprends que toi, tu en aies besoin.

Je baissai un instant la tête, puis la redressai et dis :

- Sortir sans toi ? Tu n'as pas peur pour moi ?

- J't'emmènerai et je viendrai te chercher. Et puis avec Ally pour veiller sur toi, j'ai pas trop de crainte. C'est un vrai pit-bull quand elle s'y met.

J'éclatai de rire, il me regarda un peu interloqué, puis se mit à rire lui aussi. Les larmes me montèrent aussitôt aux yeux : c'était la première fois qu'il riait depuis l'accident. Il s'arrêta en plein milieu du trottoir, prit mon visage entre ses mains et m'embrassa fougueusement.

- Oh, baby, pleure pas... souffla-t-il contre mes lèvres alors que les larmes inondaient mon visage et le sien.

- C'est... C'est la première fois que je t'entends rire à nouveau, Lynn, la première fois... parvins-je à articuler non sans difficulté tant l'émotion m'étreignait la gorge.

- J'te promets d'essayer de remettre ça, fit-il simplement en lâchant mon visage, puis en reprenant ma main et le chemin vers le restaurant.

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