Chapitre 40 : Jenna

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Un pâle soleil hivernal me tira du sommeil. Avant même d'ouvrir les yeux, je sus que j'avais pleuré au cours de la nuit. Je parvins à décoller mes paupières, les frottant doucement. Je me tournai dans le lit : Lynn était à mes côtés et dormait encore, un mince sourire éclairait son visage.

Je me glissai près de lui, posai ma tête sur son torse, la main sur son ventre. Son cœur battait lentement, régulièrement. Que ce son était rassurant pour moi ! Surtout que les images de mon cauchemar me revenaient à l'esprit. Je n'arriverais décidément pas à m'en défaire. Mais, au moins, cette nuit, je n'avais pas hurlé comme une folle.

Lynn poussa un long soupir, grogna légèrement. Son bras se souleva, passa par-dessus mes épaules et me rapprocha de lui. Je glissai ma jambe sur la sienne, puis entre ses deux jambes. J'étais presque couchée sur lui désormais. Un câlin au réveil achèverait certainement de chasser mes peurs. Je posai doucement mes lèvres sur sa bouche et sa main se glissa dans mes cheveux, plaquant mon visage contre le sien alors que sa langue forçait la barrière de mes lèvres qui, je devais bien l'avouer, s'ouvrirent sans vraiment résister. Son baiser était à la fois si tendre et si aimant, qu'il fit naître une onde chaude dans mon ventre.

Mes mains glissèrent sur son corps, le réveillant en douceur, alors que nous nous embrassions toujours. Puis il fit basculer mes hanches sur les siennes et vint en moi avec tendresse. Hum, que j'aimais cela. Et lui aussi.

Son sourire et son regard pleins d'amour, après le plaisir, me réconcilièrent avec la vie, avec ce début de journée.

- Alors, baby, t'avais une petite faim de ton homme, ce matin ? me demanda-t-il d'un ton coquin, alors que je reposais toujours sur lui, le gardant au creux de moi aussi longtemps qu'il m'était possible.

- Oui... Et j'avais besoin de toi aussi, répondis-je.

J'aurais mieux fait de me taire. Lynn qui, l'instant d'avant, était si calme et presque joueur, devint soudain très sérieux et fronça les sourcils.

- T'as encore fait ce cauchemar, baby ? s'inquiéta-t-il aussitôt.

- Oui... avouai-je d'une toute petite voix.

- Bon, soupira-t-il. Ca commence à bien faire. Ca te fait tourner en rond, ce truc, et j'aime pas, ça te rend malheureuse.

- Je n'y peux rien... Et j'ai peur, oui !

- Tu n'as aucune raison d'avoir peur, m'assura-t-il d'une voix conciliante. Je ne ferai pas le dingue, avec la moto. Et si ça peut te rassurer, je ne sortirai pas par mauvais temps. Sauf urgence.

- Ca ne me rassure pas. Je ne veux plus que tu remontes sur la moto, c'est tout, insistai-je, un rien boudeuse.

- Oh, tu vas pas m'emmerder avec ça ! grogna-t-il en me faisant glisser sur le côté. J'aime faire de la moto, c'est pratique et ça fait partie de ma vie. C'est pas parce que Ruggy a fait le con que je fais la même chose !

- Mais c'est quand même dangereux ! m'écriai-je pour tenter de lui faire entendre raison et de lui faire comprendre aussi mon point de vue.

- T'as pas à me dire ce que je dois faire ou pas !

- Lynn, t'es complètement fou ! Je veux pas que tu remontes sur la moto ! C'est tout !

- Tu me prends pour un dingue, c'est ça, hein ?

Il était hors de lui maintenant, mais moi aussi.

Il se leva, furieux, et se dirigea vers la salle de bain sans ajouter un mot. Je restai dans le lit, à la fois en colère moi aussi et très dépitée. J'aurais mieux fait de me taire : j'avais gâché notre réveil. En entendant l'eau couler, j'oubliai ma colère et me levai. J'entrai dans la salle de bain à mon tour, la buée commençait à recouvrir les parois de la douche. Je me dirigeai vers elle d'un pas résolu, puis fis glisser la porte :

- Je peux la prendre avec toi ?

Lynn, dont je ne voyais que le dos, se tourna. Son regard était encore chargé de colère, mais il s'apaisa aussitôt.

- Ok, baby, viens... me dit-il d'une voix douce.

Je me sentis soulagée : lui aussi était triste de s'être mis en rogne. Et il voulait tout mettre en œuvre pour qu'on fasse la paix. Mais on fit plus que la paix. On refit l'amour très tendrement. Je devais bien avouer que, depuis la première nuit que nous avions passée ensemble, j'adorais me retrouver sous la douche avec lui et y faire l'amour. Je trouvais cela terriblement sensuel et excitant, ce qui, à bien y réfléchir, était le fait que c'était dans ce genre de position que je pouvais le mieux mesurer la force musculaire de Lynn, car c'était lui qui me soutenait, me portait, et même si nos orgasmes étaient intenses, il ne me lâchait jamais.

Nous restâmes un moment, collés l'un à l'autre, enlacés étroitement, alors que l'eau continuait à couler lentement sur nos corps maintenant apaisés. Nous n'avions pas échangé un seul mot, et je retrouvais petit à petit mon calme. Etre dans les bras de Lynn avait toujours un effet réconfortant pour moi, quand je ressentais une peine, une crainte, une tension. Et là, ce que je ressentais à cause de mon cauchemar récurrent, c'était un peu tout cela à la fois.

**

Il me tendit ma grande serviette dont j'entourai mon corps bien vite : après nos ébats, la température de la pièce me parut fraîche et je frissonnai en m'essuyant. Puis je nouai la serviette tout autour de moi alors que Lynn quittait la salle de bain dans le plus simple appareil. Je l'entendis fouiller dans l'armoire pour prendre ses affaires et quand je le rejoignis dans la chambre, il avait déjà enfilé son pantalon et s'apprêtait à passer un t-shirt.

Je me glissai près de lui, il passa son bras autour de mes épaules et me garda à nouveau un moment contre lui. Il sentait ma peur, je le savais. Il me devinait toujours si bien ! Et cela m'impressionnait toujours, même depuis tout ce temps que nous étions ensemble. Je savais que j'aurais beaucoup de mal à lui cacher quelque chose. Même quand je voulais lui faire une surprise, il le devinait.

J'aurais pu être un peu déçue de cet aspect des choses dans notre relation, de ne pas au moins réussir à le surprendre, de temps à autre, mais pas du tout : j'appréciais énormément ce que je considérais comme une marque, une preuve d'un amour profond et sincère. Notre harmonie m'aidait aussi tenir debout, à grandir, à assumer mes choix. A vivre, tout simplement.

- Je te prépare le thé, baby ? fit-il d'une voix douce.

- Je veux bien, répondis-je.

Il me lâcha et fila dans la cuisine. Je pris un peu de temps pour choisir mes affaires. J'hésitai entre jupe et pantalon, je choisis finalement des jeans confortables, un t-shirt et un petit pull. Je rejoignis Lynn déjà attablé. Le petit déjeuner m'attendait : il avait préparé le thé, ainsi que des œufs, du bacon et une deuxième tournée de toasts était en préparation dans le grille-pain.

Je le remerciai d'un sourire et il me sourit en retour. Nous commençâmes à déjeuner. Malgré les émotions de notre réveil, malgré mon cauchemar, j'avais faim et je dévorai. Lui aussi. Il était loin le temps où nos petits déjeuners se limitaient à une tasse de thé et deux biscottes chacun.

Il attendit cependant que j'aie avalé mon jus d'orange pour reprendre notre conversation au sujet de la moto. Je sentis mon estomac se contracter, mais je gardai mon calme. Lui aussi était calme et me parlait d'une voix posée : je me devais de l'écouter jusqu'au bout. Bien sûr, il reprenait des arguments qu'il m'avait déjà assénés : il serait prudent, la moto faisait partie de sa vie, il ne voulait surtout pas faire comme Ruggy : ce dernier avait vraiment fait le con, malgré les conseils que lui-même lui avait prodigués, à savoir ne pas s'acheter un engin trop puissant. Enfin il me fit part d'une idée qui me laissa totalement sans voix :

- Baby, c'est comme une chute de vélo. Faut remonter dessus, sinon c'est foutu. T'en refais jamais. Donc, tu vas monter avec moi.

J'ouvris des yeux ronds. Autant je pouvais me laisser attendrir par ses arguments, par le fait que lui voulait remonter sur la moto. Autant moi... Il poursuivit :

- On va remonter ensemble. Toi et moi.

Je soupirai.

- T'entends que j'ai peur ?

- Oui, je l'entends. Je l'entends très bien et je dirais même que je n'entends que ça depuis des jours et des nuits. Et je voudrais que tu dépasses cela, car moi, ça m'aiderait aussi à dépasser l'accident.

Je le fixai, un peu incrédule. Je n'avais pas pensé à ça. Je m'étais focalisée sur mes peurs, pour lui, sur les images de mon cauchemar de le voir mort, en sang, le corps désarticulé sur un bout de bitume. Je n'avais pas pensé que mes peurs l'empêchaient d'avancer.

- D'accord, réussis-je à déglutir. Je comprends.

Il tendit alors la main par-dessus la table pour me prendre le poignet.

- On va aller faire un tour. Il fait beau, la route est sèche. Juste le tour du quartier.

Il sentit le frisson remonter de mon bras et agiter tout mon corps, mais il ne me lâcha pas, ni de la main, ni du regard. Je pris une profonde inspiration et dis :

- Juste un tour du quartier. Et si ça va pas, tu t'arrêtes aussitôt.

- Promis, baby. Promis, je m'arrête aussitôt.

**

Nous nous préparâmes et descendîmes au garage. Lynn sortit la moto du box et manœuvra. Il laissa le moteur tourner, le temps qu'on enfile nos casques et nos gants. Mes mains tremblaient et je pestai contre la fermeture éclair de mon blouson que je ne parvenais pas à remonter. Lynn s'approcha de moi, repoussa mes cheveux sur mes épaules et remonta tranquillement la fermeture. Puis je plaçai mon casque et il m'aida à en refermer la fixation. Ses gestes étaient lents, assurés. Cela me calma et je pus enfiler mes gants moi-même. Il remonta sur la moto et attendit, le visage tourné vers moi. Sa visière était encore relevée et je pouvais croiser son regard. Je déglutis, puis m'approchai et pris appui sur lui, comme j'en avais l'habitude, pour m'asseoir.

- Prête, baby ?

- Oui, réussis-je à articuler.

Nous avions convenu que si cela n'allait pas du tout pour moi, je tirerais un peu sur son bras gauche. Il mit les gaz et sortit tranquillement du parking, puis s'engagea dans la rue. Je le serrai fort contre moi, plus fort que d'habitude, comme si j'avais voulu m'agripper à lui, comme si en le serrant ainsi, je pouvais le protéger. Il roula tranquillement, un peu plus lentement que la vitesse ne l'y autorisait : il voulait que je me calme, que je réapprenne les mouvements de la moto, les sensations. Mais il était possible aussi que lui ressentît ce même besoin.

Nous parvînmes à faire un tour du quartier sans que je lui agrippe le bras et il s'arrêta à nouveau devant notre immeuble. Il coupa les gaz et me demanda :

- Ca va ?

- Ca a été.

- On fait un deuxième tour ou tu préfères t'arrêter là ?

- Je préfère m'arrêter là et toi ? répondis-je.

- J'ai envie de continuer. Mais je peux y aller seul.

Je m'écartai un peu de lui pour descendre, puis, prise d'une impulsion, je me réinstallai :

- Je vais avec toi.

- Ok, baby.

Et il repartit. Nous fîmes un plus grand tour, dans les rues alentour. Il roulait toujours prudemment et ne s'engageait pas dans des grandes artères. Nous restions dans les petites rues des quartiers autour de chez nous. Le but n'était pas de partir en balade, mais de se réapproprier la moto, pour lui comme pour moi. Au bout d'une bonne demi-heure, il revint vers chez nous et s'arrêta devant le garage :

- Ca va aller pour aujourd'hui, baby.

- Oui, dis-je simplement.

Je descendis de la moto et me rendis compte que mon cœur battait à tout rompre, comme si j'avais couru un 100 m. Je le regardai ranger la moto dans le box, en descendre, fermer la porte et me rejoindre. Il avait encore son casque sur la tête, alors que j'avais enlevé le mien. Il l'ôta, puis m'attira contre lui et m'embrassa.

- T'es la fille la plus courageuse que j'aie jamais rencontrée, baby. C'est pour ça que j't'aime aussi.

Puis il essuya doucement la larme qui coulait sur ma joue.

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