Chapitre 37 : Lynn et Jenna

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Les yeux fermés, Lynn faisait le vide en lui. Dans deux minutes à peine, ils seraient sur scène. Dans une des salles les plus mythiques de Londres, le 100 Club. Là où The Clash et les Sex Pistols avaient joué. Ce concert, c'était comme une consécration. Le premier album s'était bien vendu, porté aussi par la tournée qui s'achevait ici. Et, déjà, Gordon avait programmé l'enregistrement d'un deuxième album. Il y avait matière. Car la tournée leur avait aussi permis de retravailler certains morceaux qui ne figuraient pas sur le premier. Et notamment Dark City à laquelle il tenait beaucoup. C'était une des premières chansons qu'il avait écrite et qui évoquait les bas-quartiers de Glasgow, du temps des chantiers navals, de la vie ouvrière. Et le dernier couplet était un véritable pamphlet contre Margaret Thatcher qui avait ruiné la ville et condamné des centaines, voire des milliers de familles à la misère. Cette chanson était un coup de poing aussi puissant, aussi marquant qu'un film de Ken Loach.

T'es perdu dans ta ville

Gamin des rues

Tu cours, tu pars en vrille

Tu te reconnais plus

Elle a dit, la Dame de fer

Que nous coûtions trop cher

Que notre vie, c'était de l'air

Qu'on devait s'y faire

Elle a tout détruit, saccagé

Tout ce qu'on avait de beau

Faisant de notre quartier

Un sordide tombeau

Tu sais plus où aller

Tu sais plus où r'garder

T'as plus rien dans les poches

T'as plus rien et c'est moche

Baisse pas les bras, gamin !

Te laisse pas faire

Regarde vers demain

Construis ton univers

La Dame de fer

A fait de ta vie un enfer

La Dame de fer

Nous a tous mis par terre

Mais qu'importe d'où tu viens

Qu'importe où tu vas

Tu es un frère humain

C'est ça qui compte pour moi

Regarde autour de toi

Ta ville n'est plus rien

Mais des gens comme toi

Gamin, il y en a plein

Elle finira par tomber

De son trône ordurier

Elle finira au cimetière

La Dame de fer

Et tu pourras danser

Sur les ruines de ton quartier

Et tu pourras danser

Et repartir du bon pied

La tournée les avait aussi menés en Irlande et en Ecosse. Cela faisait des semaines qu'ils étaient sur la route. Ils ne rentraient quasiment jamais à Manchester. Il voyait Jenna en coup de vent, entre deux dates. Elle le rejoignait dès qu'elle pouvait. Il avait eu tout juste le temps de trouver un nouvel appartement, et Stair aussi, avant les dates dans le sud du pays. Mais, même s'il n'y avait pas encore vraiment habité avec Jenna, au moins était-il un peu rassuré : le quartier n'avait rien à voir avec celui où il vivait avant, et il la savait désormais en sécurité. Pour l'heure, c'était elle qui les faisait vivre en faisant des petits boulots. Il était en rage qu'elle ait dû renoncer à sa deuxième année. Son connard de père et sa crétine de mère ne perdaient rien pour attendre. Il allait leur montrer de quoi il était capable.

Oui, il allait leur montrer.

**

J'étais dans la salle. Je n'aurais manqué ce dernier concert pour rien au monde. Pourtant, je m'étais promis de ne pas remettre les pieds à Londres. Mais pour Lynn, je pouvais le faire. Aucun risque que je croise un membre de ma famille ici. Rien que d'imaginer l'un de mes cousins parmi les spectateurs et j'avais envie de hurler de rire. Je n'avais pas de passe, mais j'espérais bien pouvoir rejoindre Lynn et les autres à la fin du concert. S'il pensait à rallumer son téléphone. Sinon, ça irait à un peu plus tard, dans la nuit.

Je ne lui avais pas dit que je venais. Je voulais lui faire la surprise.

En entrant dans la salle, j'avais porté mon attention sur la scène, repérant où se trouvait la batterie, puis j'avais cherché le meilleur endroit où me placer pour le voir. D'emblée, je savais que j'allais éviter le devant de la scène et une grande partie de la fosse. Les amplis n'étaient pas installés trop sur les côtés, ils ne devraient pas me gêner si je ne me mettais pas de biais. Maintenant, il fallait trouver un endroit où le public serait plus calme. Pas évident.

La foule arrivait. Il y avait de plus en plus de monde. Cheveux longs, blousons de cuir. Bracelets cloutés, percings, tatouages. Je commençais à m'y habituer. Le concert au Blue Limon me parut bien loin. Les Londoniens étaient curieux de découvrir les Dark Angels. Et les Dark Angels étaient prêts à leur en mettre plein la vue.

Et les oreilles.

Je sursautai presque en entendant les premiers coups sur les cymbales. Je m'étais tant absorbée à regarder les gens autour de moi que j'en avais oublié que l'heure tournait. Je reportai mon attention vers la scène. Je ressentis un véritable coup au cœur en voyant Lynn. Et les larmes me montèrent aux yeux : deux semaines que nous ne nous étions pas vus, il m'avait tant manqué ! Mais je ne pouvais pas quitter Manchester avant ce jour-là : mon contrat ne me l'avait pas permis. Et on avait besoin de cet argent, avant que les retombées de la tournée ne puissent nous remettre à flot.

J'en déglutis et ressentis un désir très violent. Il avait intérêt à avoir encore un peu d'énergie à la fin du concert. Ou j'allais faire un massacre. Un cri résonna à mes oreilles : c'était moi. Moi la fan déjà échevelée qui avait laissé échapper ce cri du cœur. Lynn ! Mon Lynn !

Puis j'abandonnai toute raison et me laissai porter par la musique, par le rythme.

**

- T'étais là ?

Lynn me serrait fort dans ses bras après m'avoir embrassée sans la moindre retenue. Ma pudeur en prenait un coup à chaque fois qu'il agissait ainsi, devant les autres. Je ne savais pas si je m'y ferais un jour. Mais qu'importe, j'oubliai cette petite gêne passagère et lui répondis :

- Oui, j'étais dans la salle. Je ne voulais pas manquer ce dernier concert. C'était... géant !

Il sourit.

- Oui, je crois qu'on a bien assuré. Enfin, ça va faire du bien de se poser un peu. Surtout après ces derniers jours. On a enchaîné Belfast, Galway, Limerik, Cork, les deux dates à Dublin, puis ici...

- Oui, dis-je en passant la main dans ses cheveux. Oui, ça va faire du bien.

Les autres avaient le sourire aussi ; je devinai cependant qu'ils étaient tous fatigués. Ils étaient encore loin des conditions de luxe d'une tournée, avec jet privé ou autobus tout confort. Ce n'était plus la fourgonnette qui les avait menés à leurs débuts, mais ce n'était pas encore les palaces.

Lynn me serrait contre lui. J'avais une conscience aiguë du sang qui pulsait dans ses veines, de son cœur dont le rythme était encore un peu rapide. Il était en sueur, ne s'était pas changé, et avait renfilé rapidement le t-shirt qu'il portait au début du concert. Je préférais éviter de me souvenir du moment où il l'avait enlevé et que j'avais failli m'évanouir au milieu du public. Oui, je préférais éviter de m'en souvenir, car sinon, mille fois oui, j'allais faire un massacre.

En plus de moi-même, il y avait là deux filles que je ne connaissais pas et que Lynn allait qualifier, quand je lui demanderais plus tard qui elles étaient, de "supports de charme". Maggie aussi était là et se pendait au cou de Ruggy aussi bien que je l'avais fait pour Lynn l'instant d'avant. Le régisseur de la salle, Gordon et quelques autres personnes étaient également présents et discutaient de leur ressenti du concert. Je ne les entendais que d'une oreille, ne prêtant pas vraiment attention à ce qu'ils disaient.

Mais j'allais vite comprendre que les Dark Angels ne se poseraient pas bien longtemps à Manchester et que Gordon comptait bien leur faire reprendre très vite le chemin des studios pour mettre en boîte un nouvel album. Le succès allait grandissant et il fallait en profiter, occuper la scène, occuper les journalistes aussi. Et maintenir l'intérêt du public. Après avoir longtemps cherché la réussite, j'espérais juste qu'elle n'allait pas tous nous emporter. Car une chose était certaine : je ferais partie de cette aventure-là, les mots doux de Lynn au cours de la nuit qui suivit me l'assurèrent.

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