Le regard de Lynn se portait de droite à gauche en un rapide mouvement, balayant la grande salle du pub. Cela faisait déjà deux fois qu'il en faisait le tour complet et il n'avait toujours pas vu Jenna. Le concert était terminé, ils avaient bien donné et il était content de leur prestation. Il avait hâte, maintenant, de la retrouver et de passer les heures à venir avec elle. Mais encore fallait-il qu'il la trouvât...

Certes, il y avait beaucoup de monde, leurs concerts attiraient de plus en plus de spectateurs au point que, ce soir, le pub avait dû refuser quelques entrées. Et pourtant, il était plus grand que le Blue Limon. C'était de bon augure. Il vit que Stair et Ruggy s'étaient installés à une table, avec quelques amis. Snoog était entouré de son habituelle nuée de groupies. Mais toujours pas de Jenna en vue. Il sortit son téléphone de sa poche, vit un petit message clignoter. Il écouta le répondeur, ne comprit rien à cause du bruit ambiant, pesta, et finit par sortir pour le réécouter plus nettement.

Le message était cependant quasi-inaudible. Cela grésillait. La seule certitude qu'il eut, c'était que c'était bien Jenna qui l'avait appelé. Mais où était-elle et pourquoi n'avait-elle pas pu venir alors qu'ils s'étaient mis d'accord à ce sujet la veille, qu'elle avait même repéré l'adresse ? Il ne comprenait tout simplement pas pourquoi elle n'était pas là.

Il la rappela aussitôt, tomba sur le répondeur. Il s'agaça, mais s'inquiéta à la fois. Où était-elle ? Il commença à se demander s'il ne lui était pas arrivé quelque chose et il sentit alors son cœur se mettre à battre plus vite, le sang ne faire qu'un tour.

A cet instant, on lui tapa sur l'épaule :

- Hé, Lynn, qu'est-ce tu fous ?

Il se retourna vivement. C'était Stair. Son ami était sorti, ne le retrouvant plus dans le pub, alors qu'ils avaient l'habitude d'échanger tous les deux à peine le concert terminé. Il l'avait vu sortir précipitamment et se demandait bien pourquoi.

- Jenna est pas là, fit-il en réponse.

- Ah ? Tu l'as appelée ?

- Elle m'a laissé un message. Inaudible. J'viens d'essayer d'la rappeler, mais chuis tombé sur le répondeur.

- P'têt qu'ça passe pas bien, là où elle est... fit Stair d'un ton compatissant.

- Ouais, p'têt. Mais ça m'dit pas où elle est...

- Elle devait v'nir ce soir ?

- Ouaip. C'était prévu, calé. M'inquiète, ça... ajouta-t-il en maugréant.

Stair le regarda faire quelques pas sur le trottoir, puis revenir vers lui, la tête baissée, fixant son téléphone. Lynn soupira, puis se redressa, passa devant son ami et fit encore quelques pas, recomposa le numéro de Jenna. C'était encore le répondeur. Il revint vers Stair, s'appuya contre le mur à ses côtés. Le bassiste fixait le bâtiment en face, sans trop savoir quoi dire.

Stair allait ouvrir la bouche, quand le téléphone de Lynn sonna.

- Jenna !

- C'est moi, Lynn. T'as eu mon message ?

- Le truc qui faisait chrr, chrr, sur mon répondeur ? Si c'est ça, ouaip, baby, j'l'ai eu. T'es où ? débita-t-il d'une voix inquiète.

- En panne. La batterie, je crois.

Il poussa un long soupir de soulagement. Puis demanda :

- Quelle rue ? Où ?

Jenna lui expliqua et il conclut :

- J'arrive.

Sans un regard pour Stair, il rentra aussitôt dans le pub, récupéra ses affaires. En ressortant, il croisa son ami et dit simplement :

- J'vais chercher Jenna.

- T'inquiète, dit Stair. On se débrouille pour remballer.

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que Lynn était déjà parti et moins de deux minutes plus tard, il vit la moto passer devant le pub.

- Il va où ? demanda Ruggy alors que Stair rejoignait le guitariste à la table où ils étaient installés précédemment.

- Chercher Jenna, répondit-il. L'est en panne de bagnole.

- Ah ? Elle d'vait v'nir ?

- Yep.

- L'était bien pressé d'y aller, en tout cas, l'gars Lynn...

- L'est amoureux, que veux-tu... fit Stair avec une pointe d'envie et le regard légèrement voilé.

**

Etendu sur le lit, les yeux grands ouverts, Lynn fixait le plafond. Il n'arrivait pas à trouver le sommeil, malgré le concert et les montées d'adrénaline qui avaient suivi. Blottie contre lui, Jenna s'était endormie du sommeil du juste, après un câlin des plus intenses. Malgré cela, malgré le fait que cette mésaventure se terminait bien, malgré la fatigue, les pensées lui tournaient dans la tête.

Il y avait d'abord eu son inquiétude en ne la trouvant pas dans le pub, alors qu'elle était toujours présente, n'avait manqué aucun concert et aucun rendez-vous, qu'elle était toujours très ponctuelle. Ce n'était pas dans ses habitudes. Ensuite, il y avait eu l'absence d'explications jusqu'à ce qu'elle parvienne à le contacter. Son soulagement n'avait cependant été que de courte durée, car quand il était arrivé sur place, il l'avait trouvée debout à côté de sa voiture, entourée par deux gars qui visiblement s'intéressaient beaucoup plus à elle qu'à sa batterie en panne. Ils n'avaient pas l'air de voyous, mais leurs regards appuyés étaient sans équivoque. Son sang n'avait fait qu'un tour et il avait arrêté la moto juste à côté de la voiture. Jenna l'avait vu arriver et avait déjà dû dire aux deux types qui il était, mais ils n'avaient pas bougé pour autant.

Il se revoyait encore, ôtant son casque alors qu'il se dirigeait droit vers Jenna. Elle lui avait souri et il avait pu lire du soulagement dans son regard. Elle l'avait même embrassé avant qu'il fasse le moindre geste en ce sens et il s'était demandé si c'était parce qu'elle était heureuse de le voir ou si c'était pour montrer aux deux types qu'ils pouvaient bien la laisser tranquille maintenant. Il les avait ignorés, dans un premier temps, lui demandant ce qu'il lui était arrivé.

C'était au fond très simple. Elle avait quitté son appartement une heure environ avant le début du concert pour se rendre au pub, mais sur la route, elle avait fait un petit arrêt au supermarché pour faire quelques courses pour le week-end. En sortant, impossible de faire démarrer la voiture et le voyant de la batterie clignotait. Elle avait vite compris le souci et l'avait appelé, sans savoir que son message serait inaudible. Sans réponse de sa part et comme l'heure tournait, elle s'était douté que le concert commençait et qu'il ne pourrait rien faire avant la fin. Elle avait donc attendu et calculé l'heure de fin approximative pour le rappeler. Elle avait bien pensé à téléphoner à Ally, mais cette dernière travaillait au Blue Limon ce soir-là et ne lui aurait été d'aucune aide. Le plus simple lui avait paru de patienter, même si elle avait fait un peu de marche à pied dans les alentours pour voir s'il n'y avait pas un garage pour la dépanner. Faisant chou blanc, elle était revenue à sa voiture. Le parking du supermarché était quasiment désert et elle avait fini par attirer l'attention des deux gars venus faire le plein d'essence à la borne de service.

Alors qu'il allait monter dans la voiture pour voir ce qu'il en était et ouvrir le capot, l'un des deux avait dit :

- C'est la batterie. On n'a pas de pinces, mais on proposait à mademoiselle de revenir...

- J'vais m'en occuper, merci, avait-il aboyé.

Du moins, il reconnaissait bien avoir aboyé. Il avait vu les deux gars hésiter un peu, puis les saluer et repartir. Il avait alors dit à Jenna qu'il verrait avec Stair le lendemain, qu'il viendrait avec sa voiture et des pinces et qu'ils rechargeraient ainsi la batterie. Il lui faudrait peut-être prendre un rendez-vous chez un garagiste dans la semaine au cas où. Bref, mécaniquement, tout pourrait se régler aisément. Et l'essentiel était qu'elle n'avait pas eu d'accident. Ils étaient alors rentrés avec la moto, réussissant à caser les courses dans les coffres.

Non, vraiment, Lynn ne parvenait pas à s'endormir. Il s'interrogeait fort sur ses réactions, la peur qu'il soit arrivé quelque chose à Jenna et ce mélange de jalousie et d'angoisse quand il l'avait vue entourée par les deux gars. S'il était arrivé plus tard, que lui serait-il arrivé ? Une jolie fille comme cela, toute seule en pleine nuit sur un parking de supermarché, elle pouvait tomber sur des mecs vraiment relous. Même s'il devait bien reconnaître que sa réaction était sans doute excessive et que les deux gars n'avaient peut-être pas de mauvaises intentions, qu'ils étaient simplement prêts à la dépanner, même s'ils en profitaient grandement pour la reluquer.

Il ferma les yeux, resserra un peu son étreinte autour de l'épaule de Jenna. Ses cheveux coulaient sur son torse, en une douce caresse. Sa main reposait sur son torse, c'était un poids léger et agréable. Mais il sentit son cœur se serrer : il ne voulait pas qu'il lui arrive du mal. Il ne voulait pas qu'elle soit blessée, physiquement ou mentalement.

Et il ne voulait pas la perdre.

Comme le lui avait dit Stair une fois, il devait prendre soin d'elle et la garder. Et il avait bien cela à l'esprit depuis ce jour où il avait écrit Redemption pour elle. Oui, Jenna était sa rédemption. Celle qui faisait ressortir le meilleur de lui-même, plus encore que la musique. Celle qui comprenait ses choix et ses envies, ses aspirations. Celle qui ne le rejetait pas pour ce qu'il était, pour être sorti d'une gangue putride et stérile. Même si elle ne connaissait encore rien de son enfance blessée, de son adolescence louvoyante, il se sentait devenir un homme meilleur, avec elle.

Il abandonna le plafond et porta son regard vers elle, vers son joli visage endormi. Elle était apaisée et apaisante, sereine et rassurante. "Je l'aime", songea-t-il. "Oui, c'est cela. Je l'aime. Et je veux l'avoir avec moi, toujours. C'est ça, l'amour."

**

Même s'il s'était endormi finalement très tardivement, Lynn fut le premier réveillé. Jenna s'était tournée dos à lui dans la nuit, lui dévoilant son dos jusqu'au bas de ses reins. Cette vision l'enflamma et il se dit qu'il allait leur faire commencer la journée de la façon la plus agréable qu'il connaissait : en lui faisant l'amour. Mais il voulait aussi la réveiller doucement, tendrement, et il commença par se rapprocher d'elle, s'emboîter à elle et passer ses bras autour des siens. Elle frémit à peine, et il commença à lui caresser la main, celle qui reposait sur le drap. Il s'amusa à dessiner chacun de ses doigts, puis son poignet et remonta ensuite le long de son bras, jusqu'à son épaule. Il y déposa plusieurs petits baisers, jusqu'à effleurer son oreille. Il avait très envie de lui mordiller le lobe, mais se dit que cela la réveillerait trop vite. Il préféra alors jouer avec sa chevelure.

Jenna soupira, étira ses jambes, bougea son bras, dévoilant un peu plus sa poitrine. Lynn en profita pour faire descendre sa main jusqu'à son sein et caresser doucement le téton jusqu'à le faire durcir.

- Hum... Lynn ?

- Oui, baby ?

- Hum...

- Je continue ?

- Hum... Moui...

Et il continua d'autant mieux qu'elle finit par se tourner vers lui et lui offrir tout son corps. Il n'en revenait pas de ce cadeau-là, de pouvoir profiter de sa beauté, de sa tendresse, de la douceur de sa peau et de tous ces trésors merveilleux qu'elle ne donnait qu'à lui. Il l'embrassa longuement, fouilla sous l'oreiller, trouva le sachet du préservatif qu'il y avait glissé auparavant. Il était toujours extrêmement prévoyant pour cela et Jenna n'était pas encore parvenue à le prendre de court. Quand il vint en elle, elle se cambra et gémit, puis cria. Dieu que c'était bon. Dieu que c'était bon de lui donner autant de plaisir. Elle retomba sur le lit, essoufflée, déjà vaincue. Il l'embrassa à nouveau, la bâillonnant de ses lèvres au moment où le plaisir les saisissait. Puis ce fut lui qui s'abandonna, à toute sa douceur, à toute la chaleur de ses bras, de son corps. Là, il était chez lui. Là, il était lui-même. Autant que derrière sa batterie, autant que sur scène à se défoncer et à jouer, à lâcher toute son énergie. C'était une autre forme de bien-être et d'épanouissement.

Les yeux fermés, il savourait la tendre caresse des doigts de Jenna dans ses cheveux. Il aurait pu rester ainsi, immobile, des heures durant. Lui qui ne tenait jamais en place auparavant, qui avait toujours besoin de se dépenser, de s'agiter. Cela lui semblait inutile, vain. Maintenant. Maintenant qu'il y avait Jenna dans sa vie.

Il resserra son étreinte, comme pour prolonger encore cet instant de douce béatitude. Et lui murmura à l'oreille :

- Je t'aime.

**

Lynn s'était endormi. Je le regardais avec beaucoup de tendresse et d'émotion. Son visage reflétait une nouvelle touche de sérénité que je n'y avais encore jamais vue. Pourtant, le sommeil lui apportait en général de la détente et quelque chose de bienfaisant, d'agréable. Il y avait désormais quelque chose d'autre. De nouveau.

Il m'avait avoué ses sentiments. Quand j'avais entendu les trois petits mots magiques, j'étais restée figée, interdite. Avais-je bien entendu ? Mais la voix de Lynn était si chaude, sa présence si marquée, son corps si étroitement lié au mien... Je ne m'étais pas trompée. Non, c'était impossible.

Je n'en revenais toujours pas. Mais c'était aussi un cadeau merveilleux et je me sentais légère et heureuse, si heureuse ! Jamais je n'oublierais cet instant et encore moins, quand j'avais pris sa tête entre mes mains, que je l'avais doucement écartée de mon cou pour pouvoir le regarder droit dans les yeux. Son regard, sombre, était magnifique. Je m'étais alors sentie bouleversée jusqu'au plus profond de moi-même.

Et je lui avais dit que je l'aimais, moi aussi.