Chapitre 9 : Jenna

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La conversation avec Ally allait me rester longtemps à l'esprit. Mais quand je revis Lynn le samedi suivant, pour ce deuxième concert, que nous passâmes encore la soirée à discuter, j'eus bien du mal à demeurer derrière les barrières protectrices que j'avais soigneusement érigées. D'autant qu'il s'engagea très vite dans une sorte de rituel qui consistait à venir me chercher à l'école, un soir par semaine, jamais le même, et que cela fit vite le tour de notre promotion, voire des deuxièmes et troisièmes années.

Je ne savais que penser de tout cela. A chaque fois que je le voyais, mon cœur sautait dans ma poitrine, un puissant sentiment de joie m'inondait. Je craignais cependant un peu les conséquences. Etre un cœur brisé de plus parmi une liste de conquêtes dont il devait ignorer le nombre exact, ce n'était pas tellement dans mes objectifs.

Quant à nos différences... Elles existaient, c'était indéniable. Mais elles ne se trouvaient pas forcément là où nous aurions pu les attendre. J'avais très vite senti et compris son aspiration pour vivre libre et je partageais cet élan. Ne dépendre de personne. Mener sa vie comme on l'entendait, sans être obligé de marcher sur un chemin tout tracé. Faire ses propres expériences, heureuses ou malheureuses. Mais en tirer profit, pour grandir, mûrir. Vivre tout simplement. Mais vivre debout, libre, heureux si possible.

Au fur et à mesure aussi que je découvrais leurs chansons, je me sentais touchée par les paroles. Par ces cris de colère, par leur révolte, mais aussi par les constats terribles qu'ils dressaient de notre société, de notre façon de vivre. Tout ce qu'ils dénonçaient éveillait en moi un écho. Même si j'avais grandi bien loin de certaines réalités, cela sonnait juste. La misère, la rage, le courage, tout cela, ils savaient ce que c'était. "S'arracher" aussi. Et j'en étais touchée. Beaucoup. D'autres étaient vraiment très sombres, très noires. L'une de ces chansons, No Future, en faisait partie. Même sans connaître encore vraiment le monde de la musique métal, je l'avais d'emblée assimilée aux t-shirts que Lynn portait souvent, avec ce personnage de mort-vivant grimaçant. J'ignorais encore que c'était Lynn qui l'avait écrite.

Comme un chien galeux

Fuyant et malheureux

Abandonné sur un trottoir

Là où y'a pas d'espoir,

Je traîne dans la rue

Avec mon spleen et mes rêves tordus.

La nuit est mon domaine

Dans les rues sombres je traîne

Là où l'herbe ne pousse jamais

Entre les mailles du filet

Y'a que des vieilles cannettes

Au bout de mes baskets

J'fais peur aux braves gens

Qui vivent tranquilles, confiants

En cette putain de société

Qui oublie ceux qu'elle a blessés

Les moins que rien, les petits,

Ceux qu'ont rien appris

Ou juste à se défendre

Coup pour coup à rendre

Avec les pieds, avec les poings.

Mais rêver de partir loin

Est toujours une chimère

Grimaçante et vulgaire

Quand se lève le jour

Dans mon antre je retourne.

Dormir est un artifice

C'est dans ces ténèbres que je glisse

Pour oublier la nuit

Et tous mes rêves maudits

Je ne pouvais pas repousser Lynn. Alors même qu'il n'y avait rien eu entre nous, je ne pouvais déjà plus le sortir de ma vie. Chaque moment passé ensemble m'apportait bien plus que ces réceptions ennuyeuses auxquelles je devais assister avec mes parents, ces soirées organisées pour des œuvres caritatives qui n'allaient jamais plus loin que le bout de la rue. Qui n'avaient jamais mis les pieds dans les quartiers ouvriers des villes d'Angleterre. Qui n'avaient jamais entendu parler de ces enfants qui ne mangeaient qu'un seul repas par jour, celui de la cantine de leur école. En commençant à côtoyer Lynn, puis, plus tard, les autres membres des Dark Angels, je découvris cette réalité-là. Et je me fis vite le serment de travailler pour ces gens-là. De leur apporter ce que je pourrais. Etre infirmière dans un des dispensaires de ces quartiers. Pas pour faire les piqûres ou soigner les petits bobos des privilégiés. J'avais été une privilégiée, j'en avais pleinement conscience et j'en prenais de plus en plus conscience au fil des semaines. Et si, parfois, je ressentais cela comme un fardeau, je voulais surtout en tirer profit. Pour les autres.

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