Chapitre 5 : Jenna et Lynn

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- J'te ramène chez toi, fit Lynn alors que nous sortions du pub et nous dirigions vers la moto.

- Merci, je veux bien, répondis-je. Si tu me ramènes à l'école, je serai trop en avance pour mes cours.

Il sourit franchement. J'aimais bien quand il souriait ainsi. Cela adoucissait aussitôt ses traits et cela le rendait vraiment beau.

- Ok, file-moi l'adresse.

Je lui donnai les indications nécessaires, puis il me tendit casque et gants, que j'enfilai assez aisément, même s'il dut m'aider pour attacher le casque : je ne parvenais pas encore à bien placer la fixation. Je frémis en sentant ses doigts frôler mon cou. Mais il ne s'attarda pas et enfila ses affaires à son tour, puis monta sur la moto et la fit démarrer. Je pris place à l'arrière, me cramponnant autant qu'à l'aller. Etait-ce l'effet de la vitesse ? Celui de ma première bière ? Je me sentis soudain grisée et un feu incompréhensible naquit dans mon ventre. Je fermai les yeux, me serrant plus encore contre Lynn.

Je ne comprenais pas cette réaction et pourtant, je la trouvais agréable. Ce feu intérieur avait quelque chose d'interdit, de troublant, de délicieux. Tout cela à la fois. Et plus je prenais conscience du corps de Lynn entre mes bras et plus je me consumais intérieurement. Mais pour rien au monde, je n'aurais voulu que l'incendie s'arrête. Je n'avais vraiment pas envie de le lâcher.

Nous ne mîmes pas longtemps à rentrer, même si Lynn se trompa d'une rue. Je ne regrettai nullement cette petite erreur de parcours, j'aurais même aimé que le trajet dure plus longtemps. Quand je lui tendis le casque pour qu'il le range dans le coffre, il passa la main dans mes cheveux et me dit :

- On dirait qu'tu sors de la fosse après un concert de métal, fillette. T'es toute décoiffée.

- La fosse ? demandai-je : pour moi, c'était l'endroit où jouait l'orchestre à l'opéra.

- Ouais, la gueule de l'enfer, là où le public est le plus chaud dans les concerts de hard-rock, ou même de rock. T'es jamais allée dans un endroit pareil, chuis sûr.

- Non, c'est vrai, dis-je. Ca doit être impressionnant.

- P'têt que tu vivras ça un jour. Mais faudra que tu fasses gaffe à pas te faire écraser par tes voisins.

Je souris. Il avait toujours la main dans mes cheveux et lissait les mèches presque une par une. C'était agréable comme sensation, très doux et bien différent de ce que j'avais ressenti sur la moto. Mais il insista pour me passer une mèche derrière l'oreille, s'y reprenant à deux fois car elle ne voulait pas tenir en place, et je sentis alors une nouvelle langue de feu me déchirer. Et comme un élan irrépressible, une envie folle de l'embrasser.

Que c'était perturbant ! Je n'avais pas envie qu'il se montre trop familier... Ou alors si, j'en avais envie ? Par moment, je ne savais plus ce que je voulais ou ne voulais pas. Et ce n'était pas sans me rappeler cette impulsion bizarre que j'avais éprouvée samedi dernier, au Blue Limon, quand j'avais déjà eu envie de l'embrasser. Impulsion qui revenait soudainement, inexplicablement. Je tentai de me raisonner en me disant que mes parents, ma famille n'apprécieraient pas du tout que je sorte avec un gars comme Lynn. Mais une voix me disait aussi que je pouvais faire mes propres choix, sans subir leur influence.

Lynn retira sa main et je ressentis comme un manque : malgré mes doutes, malgré ces sensations bizarres, j'aurais bien aimé qu'il continue. Finalement.

- Allez, fillette. A samedi prochain si ça te tente de revenir nous voir jouer, dit-il en se détournant de moi pour remonter sur la moto.

- Je pense que je viendrai, répondis-je en voulant éviter que ma voix ne flanche trop. Merci pour cette sortie, j'ai bien aimé. Ce pub était sympa.

- Ouais, c'est un endroit cool. J'aime bien y aller de temps en temps. Allez, j'm'arrache !

Et il mit les gaz avant que je puisse ajouter autre chose. Je ne pus que lui faire un signe de la main, mais je ne fus pas certaine qu'il le vît. Je demeurai un instant sur le trottoir, jusqu'à ne plus entendre les vrombissements de la moto. Habitait-il loin de mon quartier ? Aurait-il toute la ville à traverser ?

Je finis par me secouer et par entrer dans l'immeuble. En arrivant dans l'appartement, je me déchaussai, ôtai mon manteau que j'accrochai dans l'entrée. Puis je passai dans la cuisine et me servis un verre d'eau : la bière, c'était bon, mais j'avais encore soif. Je décidai finalement de me préparer un thé. Je n'avais pas du tout sommeil.

Mes jambes étaient encore comme du coton et je portai ma main à mon front, inquiète de cette impression de fièvre qui s'était emparée de moi. Je m'appuyai contre le montant de la fenêtre, le front contre la vitre, une tasse fumante à la main. Il faisait nuit, mais les lampadaires étaient encore allumés et éclairaient d'une douce lumière les allées désertes du parc en face. Je restai un moment ainsi, songeuse, à fixer un banc sans le voir vraiment. Je m'efforçais de reprendre mes esprits, mais je ne pensais qu'à Lynn.

Pourquoi ce garçon m'émouvait-il autant ? Pourquoi pensais-je autant à lui ? Qu'est-ce qu'il avait donc de si particulier ? De me retrouver à nouveau avec lui, ce soir, avait réveillé en moi, avec plus d'intensité, les impressions qu'il avait suscitées la semaine passée, lorsque nous avions discuté après leur concert. Je me sentais comme... comme la proie d'une araignée prise dans sa toile ? Non, quand même pas. Comme le lapin qui reste figé sur la route, ébloui par les phares d'une voiture ? Pff... Non plus.

Enfin, si... un peu.

**

Appuyé sur le rebord de son lavabo, les yeux fermés et la tête baissée, Lynn tentait de reprendre le contrôle de ses émotions. Il venait de se prendre une douche presque froide, mais cela semblait ne pas suffire.

"Bordel, qu'est-ce qui m'arrive ? Lynn, tu déconnes complètement..."

Il ne savait pas comment il était parvenu jusque chez lui, après avoir abandonné Jenna sur le trottoir devant son immeuble. Dire qu'il avait manqué la rue et avait dû faire un tour un peu plus long, pour la déposer. Il s'en serait bien passé. Déjà, la sentir dans son dos, collée à lui, ses bras autour de sa taille le serrant fort, le mettait au supplice. Alors faire durer ce supplice... Il fallait être complètement dingue.

"Qu'est-ce qu'elle a, cette fille ? Bordel, qu'est-ce qu'elle a ?"

C'était la question lancinante qui lui tournait à l'esprit et dont la mélodie le hantait depuis samedi dernier. Et cette petite sortie, au pub, ne lui avait pas permis de trouver la réponse.

Il se redressa, fixa son reflet dans le petit miroir accroché au-dessus du lavabo. Il avait l'air d'un fou. Son regard était brûlant et perdu à la fois. Un curieux mélange qui l'étonnait presque autant que cette mélodie qui lui tournait dans la tête. Cette question, sans cesse répétée, et cet air, quelques enchaînements d'accords qu'il avait griffonnés sur un bout de partition. Rien de neuf à ce sujet. Pas de mot pour y correspondre. Pas encore.

Il passa la main dans ses cheveux et ce fut comme un rappel de sa malheureuse tentative de recoiffer Jenna. Qu'est-ce qu'il lui avait pris de lui passer la main dans les cheveux ? Mais ils étaient si doux, si fluides... Il n'avait pas pu résister à le faire encore, et encore.

Et le pire, c'était qu'il serait prêt à recommencer.

"C'est une fille comme une autre, Lynn. Comme toutes les filles..."

Il secoua la tête : non, Jenna n'était pas une fille comme les autres. Et ce n'était pas parce qu'elle venait "de la haute". Ce n'était pas la bonne explication, cela, il avait pu le déterminer ce soir, lors de leur discussion. Et ce qui le touchait, beaucoup, il le reconnaissait sans hésitation, c'était la confiance qu'elle lui portait. Elle n'avait pas hésité à accepter son invitation, n'avait pas paru effrayée par le fait de partir seule avec lui, alors qu'il aurait pu avoir de mauvaises intentions. Il fronça un instant les sourcils, se demanda si elle ferait de même avec n'importe qui. Et cela l'inquiéta. Ou alors peut-être avait-elle simplement plus confiance en lui qu'en quiconque ? Cela lui sembla absurde et il en repoussa l'idée.

Non, ce que Jenna avait de différent, c'était qu'elle ne cherchait pas à l'allumer, il se consumait déjà tout seul. Elle ne cherchait pas à juste coucher avec lui, à juste lui demander de la faire grimper aux rideaux. Enfin, peut-être qu'elle en avait envie... Mais il était certain d'une chose : elle n'avait pas envie que de cela. Elle s'intéressait réellement à lui, à ce qu'il faisait, à la musique. Le hard-rock, il l'avait compris dès leurs tous premiers échanges, au Blue Limon, c'était une découverte pour elle. Elle aurait pu rejeter cette musique, si différente de ce qu'elle jouait ou chantait. Au contraire, elle était curieuse de comprendre "comment ça marchait". Et quand il lui parlait accords, tonalité, elle comprenait ce qu'il lui disait. Il n'avait jamais pu mener ce genre de discussion avec les simili-groupies qui avaient fini dans son lit.

Non, décidément, Jenna n'était pas comme une de ces filles. Elle était intelligente, belle - oh oui, comme elle était belle ! -, souriante, curieuse, vive. Un peu intrépide aussi. Il imaginait très bien qu'elle serait prête à sauter dans les flaques, à courir comme une folle en riant sur une plage ou à danser, toute échevelée, dans la fosse alors qu'ils joueraient. Et qu'elle ne demanderait rien d'autre qu'il la recoiffe...

Il rugit en se laissant tomber sur son lit, porta le poignet à son front. Il était vraiment trop con de repenser à la douceur de sa chevelure, à son regard... Ses yeux marrons, deux billes qui le fixaient tour à tour avec curiosité, étonnement, joie, rire.

Et désir.

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