Chapitre 86 : Jenna

4 minutes de lecture

J'étais assise sur le muret, face à la mer. Une longue houle venue du large et un vent soutenu étaient mes seuls compagnons. Des larmes roulaient sur mes joues, lentement, silencieusement. La vue était magnifique, mais cela ne m'était d'aucun réconfort. Je me demandais encore comment j'avais fait pour parvenir jusque-là, pour retrouver ce loch où nous avions passé un si bel après-midi, Stair, Ally, Lynn et moi, plus de trois ans auparavant.

Lynn... Lynn...

Lynn était loin, si loin...

Et les deux autres aussi.

Je portai la main à l'échancrure de mon corsage. Entre mes seins reposait la longue larme qu'il m'avait offerte avec le premier cachet du premier album. Je la fis glisser entre mes doigts et elle fut comme une présence rassurante, réconfortante.

"Il n'y a personne... Vraiment personne..."

Tu crois marcher dans la brume

Le ciel est noir

Le vent est froid

Rien et personne

Tu n'es rien et personne...

"Pour eux, tu n'es rien et personne. Mais pour moi..."

**

De gros nuages gris s'approchaient. Il serait plus raisonnable de rentrer. Je retins un soupir.

Rentre à la maison, baby

Je t'attends

Rentre à la maison, baby

Tu pars toujours

Tu t'en vas loin

Tu pars toujours

Mais reviens


Les paroles de Reviens ! me tournaient dans la tête. Cette si magnifique chanson que Stair avait écrite pour Ally. La seule, à ce jour, à porter sa signature. Allais-je être capable de rentrer à la maison ?

Je ne savais vraiment plus où aller. Et encore moins, ce que je devais faire. J'étais paumée. Je ne trouvais pas d'autre mot pour décrire ce profond sentiment d'impuissance qui m'étreignait depuis plusieurs heures déjà.

Je me décidai finalement à abandonner la plage, je ne me voyais pas rester ici jusqu'à la nuit. Je refermai d'un coup sec la fermeture de mon blouson de cuir. En me retournant, le vent emporta mes cheveux devant mon visage, m'aveuglant à demi. Il me fallut me battre quelques minutes avant de pouvoir enfiler mon casque, puis mes gants. J'enfourchai la moto et je démarrai. Le ronronnement éloigna un instant le bruit du vent et je n'entendis plus les cris des mouettes. Mes larmes avaient séché, laissant de longues traînées sur mes joues.

La pluie me rattrapa bien avant que moi, j'attrape la grande route. Je roulais prudemment. Je n'étais pas une dingue. J'essayais de ne pas penser à Ruggy. Dans ma famille, on dirait de lui "un jeune écervelé. Il aurait dû y passer. Maintenant, c'est la société qui paie pour ses conneries". Enfin, ils n'utiliseraient pas le mot "connerie". Non, j'essayais de ne pas penser à Ruggy, mais par un temps pareil, sur une route sinueuse, c'était difficile.

Voilà, j'avais rejoint la route nationale. Je filais vers le sud-est. Ca roulait un peu, dur en moto, avec les voitures qui me doublaient, les camions qui projetaient des giclées de pluie. Je jetai un œil à la jauge, j'allais devoir m'arrêter. Première station, clignotant à gauche, je stationnai près d'une pompe dont le toit offrait un maigre abri. Enlever le casque, me servir. Puis je garai la moto près de la station et j'y entrai pour payer. Je m'offris un chocolat chaud aussi. Une autre chose raisonnable aurait été de me caler l'estomac, mais la vue des sandwichs sous plastique et des bonbons colorés me donnait la gerbe. Je fermai les yeux. Non, je ne devais pas laisser mon estomac se retourner.

- Ca va, jeune fille ?

Je rouvris les yeux. Je m'étais accoudée à une petite table ronde et haute, histoire de reposer mes bras aussi. Face à moi se tenait un homme d'une bonne trentaine d'années, peut-être frôlant la quarantaine. Un blouson de cuir lui aussi, des gants de moto déjà posés sur la table. Il s'installait ou quoi ? Bon, après tout, il n'y avait pas tant de place que ça, dans ce bouge...

- Oui, dis-je simplement.

J'avais noté la bonne qualité du blouson. Et ce n'était pas un "Hell's". C'était déjà ça.

- Tu vas vers où ?

- Le sud, dis-je simplement, sans avoir envie d'en ajouter plus.

- Je peux t'ouvrir la route si tu veux. C'est plus facile.

Je hochai simplement la tête. Ca, je le savais. Les premières fois que j'avais conduit ma moto, Lynn m'avait ouvert la voie. Histoire que je prenne la mesure de la route. Maintenant, ça allait. Enfin, j'aurais bien aimé qu'il soit là et me trouver simplement à l'arrière de la sienne, le tenir entre mes bras alors qu'il conduisait. Et pas devoir mener la mienne sous cette pluie battante. Le bruit contre les vitres m'indiqua qu'elle redoublait de force. Putain de pays...

Le type avala son thé au lait. Beurk. Nouvelle danse de mon estomac. Il reposa son gobelet vide sur la table. Un vague effluve parvint à mes narines. Je levai les yeux, repérai les toilettes.

- Alors ? Tu viens ?

Je fis non de la tête et me précipitai vers la porte battante. Deux minutes plus tard, je me sentis mieux. Enfin, je ne savais pas...

Le type était dehors. Je l'aperçus qui enfourchait sa moto et mettait les gaz. Je traînai nonchalamment entre deux étagères de revues fatiguées et de cochonneries à grignoter. J'optai pour des gâteaux écossais, c'était mieux que les friandises au chocolat. Un thé en plus, je me réinstallai. Fallait pas que je m'éternise. Lynn serait fou de me savoir à cet endroit, alors qu'en plus de la pluie, c'était la nuit qui allait tomber. Je regardai l'heure, à une grosse horloge ronde au-dessus du comptoir. Une voiture s'arrêta dehors, deux types en descendirent. Ok, j'allais filer.

Je fus saisie par l'humidité et le vent et je regrettai un instant de ne pas avoir accepté la proposition du motard. Ce monde-là était une grande famille. On était solidaire et on s'entraidait. En général.

La mort n'a pas voulu de toi

La vie ne voulait plus de toi

Plus d'famille, plus d'amis

Plus de toi parmi nous, ici

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0