Chapitre 71 : Jenna

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- Allo, maman ?

- Jenna ? Oh, ma chérie...

- Bonjour, maman, comment allez-vous, papa et toi ?

- Nous allons bien, mais... Mais nous sommes tellement inquiets pour toi...

Je retins un léger soupir et, à la place, un mince sourire s'afficha sur mes lèvres. J'avais choisi de téléphoner à ma mère ce matin-là, sachant que mon père serait très certainement absent et que nous pourrions parler tranquillement et posément toutes les deux. Si, durant grosso modo la première année qui avait suivi le clash avec eux et mon choix de suivre Lynn, nos contacts avaient été quasi inexistants, depuis un peu plus d'un an, je leur donnais plus souvent des nouvelles. Je profitais de dates symboliques, leurs anniversaires, Noël... pour le faire. Avec mon père, la discussion était brève : "Bon anniversaire, papa. - Merci, Jenna. Je te passe ta mère.". Avec maman, en revanche, les échanges étaient un peu plus longs, même si je m'arrangeais pour que la conversation ne s'éternise pas car il était bien des aspects de ma vie qu'elle ne parvenait toujours pas à comprendre, à admettre. Il ne servait donc à rien, du moins pour le moment, de tenter de la convaincre que j'avais fait les bons choix. Mais la rassurer sur ma santé me semblait le minimum.

- Je vais très bien, maman. Je voulais t'annoncer deux nouvelles, dis-je puis j'enchaînai aussitôt pour ne pas lui laisser le temps de m'interrompre : je viens d'obtenir mon diplôme d'infirmière.

- Oh ! Mais... Mais tu ne nous avais pas dit que tu... Comment ?

- Non, maman, je ne vous avais pas dit que j'avais pu reprendre mes études, car je ne voulais pas que papa intervienne à nouveau et me prive de mon projet professionnel. Je tenais à suivre cette voie, à exercer ce métier. J'ai travaillé durant un an comme aide-soignante, pour subvenir à mes besoins, j'ai beaucoup appris, j'ai pu mesurer aussi que c'était vraiment cela que je voulais faire. Et maintenant, je suis diplômée. Et c'est grâce à Lynn, ajoutai-je.

- Que... ? Lynn ?

Sa voix s'était faite un peu plus grave et j'imaginai sans peine que son visage s'était fermé : mentionner Lynn était toujours délicat, je ne le faisais pas à chacun de mes appels, mais là, cela me semblait essentiel, surtout avec la deuxième nouvelle que je voulais lui apprendre. Je repris d'une voix ferme, mais posée, assurée :

- Oui, maman. Lynn a payé mes inscriptions pour mes deuxième et troisième années, grâce à son travail et à l'argent gagné par la vente des disques et des tournées du groupe. C'est la première chose qu'il a faite quand il a touché les subsides de la vente du premier album : mettre cet argent de côté pour mes études. Sans lui, je n'aurais pas pu continuer.

Elle demeura silencieuse, puis soupira et dit :

- J'imagine que tu vis toujours avec lui...

- Oui, maman. Je l'aime et il m'aime aussi très fort. Il prend soin de moi, me soutient dans mes projets, m'accompagne à chaque étape. Mais je fais de même et justement, je voulais aussi te dire que nous allions dans le courant de juillet déménager à Glasgow.

- Qu'est-ce que vous allez faire là-bas ? s'exclama-t-elle d'une voix un peu aiguë, et je la devinai à la fois outrée et peinée.

- Le groupe de Lynn connaît un vrai succès. La salle de répétition de Manchester ne leur suffit plus, n'est plus adaptée à ce qu'ils veulent faire. Ils ont trouvé un endroit qui leur convient vraiment à Glasgow, et d'autant plus que leur nouveau guitariste est originaire de cette ville. Nous allons nous y installer et je commencerai à travailler là-bas. J'ai déjà envoyé des courriers dans tous les hôpitaux et centres médicaux de la ville. J'espère très vite trouver du travail, même si ce ne sont que des remplacements pour débuter.

- Tu vas t'éloigner encore plus... fit-elle.

Je levai les yeux au plafond. Oui, j'allais m'éloigner physiquement d'eux, mais j'étais adulte, non ? Je ne pouvais pas rester dans son giron jusqu'à la fin des temps ? Certes, j'avais sans doute pris mon envol tôt, comparativement à d'autres jeunes de mon âge, mais ils m'y avaient contrainte aussi. S'ils avaient accepté Lynn, nous n'en serions pas là. Lui faire comprendre que nous pourrions être plus proches, au moins dans nos contacts téléphoniques, voire pour des visites, c'était encore un autre défi que je décidai de reporter à une autre fois.

- Ce n'est pas si loin que cela, dis-je d'un ton conciliant. Le groupe aurait pu décider de partir s'installer aux Etats-Unis, tu sais.

- Non ? fit-elle.

Et là, j'imaginai très bien qu'elle avait ouvert tout grand les yeux.

- Oui, mentis-je. Mais ils n'y tenaient pas. Ils veulent rester en Grande-Bretagne. Tout le monde a des attaches ici. Mais voilà les nouvelles, maman. Et vous ? Et grand-mère ?

- Elle va bien, mais elle aimerait tellement te revoir...

Je restai sourde à cette supplique : j'aimais beaucoup ma grand-mère et si j'avais profité de quelques déplacements du groupe à Londres pour lui rendre visite, je n'avais vu qu'elle. J'avais refusé de voir mes parents tant que ceux-ci n'accepteraient pas Lynn. C'était très clair pour moi. C'était Lynn ET moi, ou rien.

Nous poursuivîmes notre conversation sur des sujets plus légers, elle me parla d'elle-même et me donna aussi des nouvelles de mon père. Puis elle termina en me demandant :

- Est-ce qu'on te verra dans le courant de l'été ? Avant que tu ne partes à Glasgow ?

- Si vous acceptez que je vienne avec Lynn, oui. Sinon, non.

- Je... J'essayerai de parler à ton père. Mais je pense que ce ne sera pas possible. Je... Il...

Elle marqua une petite pause, je l'entendis déglutir. Et je la revis face à Lynn, cette unique fois dans mon ancien petit appartement d'étudiante, quand j'avais dû lui rappeler que Lynn avait un prénom. Elle reprit, et je pus considérer la suite comme une petite victoire :

- Lynn... Lynn est trop... différent, Jenna. Je crains... que papa ne l'accepte vraiment pas.

- Très bien, soupirai-je. Alors, restons-en là, maman. Je vous embrasse tous les deux. A bientôt.

- A bientôt, ma chérie. Je... Prends soin de toi. Fais attention à toi. Je t'embrasse.

Et je raccrochai. Je fixai durant quelques secondes l'écran de mon téléphone, la photo de Lynn qui s'y affichait. Puis, redressant la tête, je jetai un regard par la fenêtre. Dans la pièce, derrière moi, commençaient à s'entasser les cartons du futur déménagement. Dans quelques semaines, ce ne serait plus la cour et le toit des garages que je pourrais voir, mais les quais de la Clyde et la promenade qui les longeait. Dans quelques semaines, nous ouvririons une nouvelle page de notre vie, de la vie du groupe.

En Ecosse.

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