Chapitre 64 : Jenna

4 minutes de lecture

Alors que nous montions à bord du ferry qui allait nous conduire en Ecosse, je me sentis soulagée de quitter l'Ulster. Je garderais cependant un très bon souvenir de cette tournée irlandaise, des rencontres que nous avions faites. Les deux concerts donnés en Irlande du Nord avaient quant même été alourdis par les interrogations du groupe autour de la chanson No man's land. Tout s'était bien passé, mais nous avions senti qu'il fallait peu de choses pour que cela dérape. Néanmoins, à Belfast, nous avions eu l'occasion d'échanger avec plusieurs personnes et certains témoignages avaient fait chaud au coeur. Un jeune homme qui travaillait à l'hôtel était venu parler, après un petit déjeuner, avec le groupe. L'un de ses oncles avait combattu aux côtés de l'IRA et avait été tué lors d'affrontements. Il exprima son émotion quand il avait entendu les paroles de la chanson pour la première fois et rappela combien il était heureux d'avoir pu passer les années de son adolescence dans une ville pacifiée. Il n'aurait pas aimé devoir faire le choix des armes. Il préférait faire évoluer les choses autrement.

La traversée se déroula sans souci et nous fûmes heureux de retrouver Glasgow quelques heures plus tard. Là, l'ambiance était toute autre : la ville était pavoisée de drapeaux écossais et le logo bleu du Yes s'affichait quasiment partout. Certes, on voyait, ici et là des drapeaux britanniques et le No pointait son nez, mais assez timidement. Treddy nous avait prévenus que la ville était toute acquise à la cause de l'indépendance. Que c'était aussi, pour ses habitants, comme une revanche sur des années de misère et une nouvelle espérance.

Nous pouvions demeurer quatre jours à Glasgow, ce qui permit à Treddy de voir Coleen, sa fille. Ally, Stair, Lynn et moi-même retournâmes nous balader dans les environs et nous poussâmes même jusqu'à la vallée de Glencoe. L'été touchait à sa fin et les toutes premières couleurs d'automne commençaient à apparaître dans les paysages. En pleine saison, cela devait être magnifique. Nous fîmes aussi une belle promenade sur une des rives du Loch Lomond. Si j'avais aimé les balades irlandaises, les paysages sauvages qu'on pouvait y admirer, je devais bien reconnaître que j'avais un petit faible pour l'Ecosse. Peut-être parce que c'était là que les Dark Angels avaient pu donner leurs vrais premiers concerts, que le groupe avait aussi fait la conquête d'un public exigeant, mais chaleureux. Toujours était-il que j'étais certaine d'être toujours heureuse d'y revenir.

Le jour du concert, après avoir effectué les balances et comme il restait du temps, nous décidâmes d'aller arpenter les rues aux alentours de la salle de spectacle. Snoog était très attentif à l'ambiance, nous échangeâmes avec des militants des deux camps, même si nous eûmes un peu de mal à en trouver défendant le No. La campagne électorale était entrée dans sa dernière ligne droite et les gens se donnaient vraiment à fond. C'était très impressionnant. Cela rejoignait aussi ce que Treddy nous en avait dit.

Environ deux heures avant le concert, nous rejoignîmes toute l'équipe pour un repas léger, puis les garçons s'isolèrent chacun dans leur loge, avant de se retrouver tous ensemble comme ils en avaient l'habitude. Ally et moi-même éclatâmes de rire quand Snoog nous accueillit avec un : "Vous êtes toutes décoiffées, les filles ! Qu'est-ce qu'ils ont fait avec vos ch'veux, vos mecs ?" Lui, c'était certain, était parfaitement bien coiffé. Sa crinière de lion brillait et je ne doutai pas un seul instant qu'il aurait encore beaucoup de succès ce soir et bien du mal à faire son choix parmi les groupies.

Après la plage de concentration, le groupe monta sur scène, Lynn le premier comme d'habitude. Ally et moi avions décidé de faire de même qu'à Hambourg ou à Dublin, car la salle offrait la possibilité d'aller auprès de l'ingénieur du son comme de rester en coulisses. L'ambiance était déjà électrique parmi le public, cela se sentait et j'avais vraiment très envie de me retrouver au milieu de la foule ou presque.

Pour une fois, Snoog avait décidé de changer son arrivée sur scène. Mais il lui fallut attendre un peu, que le public se calme très légèrement après l'entrée de Treddy. A peine celui-ci avait-il commencé à jouer qu'il s'était tourné dos au public pour montrer son t-shirt et les cris avaient alors redoublé. Mais dès que Snoog apparut sur scène, il déclencha une longue ovation ce qui obligea les quatre musiciens à prolonger leur introduction : il avait décidé de jouer franc-jeu et arborait, comme Treddy, un t-shirt aux couleurs du Yes. Je me fis d'ailleurs la réflexion que le public, en quelques instants, était déjà tout acquis au groupe et qu'ils allaient pouvoir assurer un grand show.

Nul n'était besoin de signaler que, lorsque le groupe entama Mort Ghlinne Comhann, l'ambiance fut toute autre qu'à Belfast ou Londonderry pour No man's land. Le public s'égosilla à tout rompre pour marteler le refrain en même temps que Snoog, celui-ci tendant régulièrement le micro vers la fosse en hochant la tête en rythme. A la fin de la chanson, il faillit déclencher un mini-incident en retirant son t-shirt et en le jetant dans la foule : les spectateurs se précipitèrent pour s'en emparer. Heureusement que le service d'ordre veillait.

- Tant pis pour la fille qui va dormir avec lui cette nuit, glissai-je à Ally. Ce n'est pas elle qui va profiter du t-shirt.

- Celui-là, il est vraiment "collector", pouffa Ally en réponse.

Lynn fit durer la chanson autant que possible, tant le public était embarqué. A la fin, les applaudissements frisèrent les records du groupe en durée. Difficile d'interrompre une telle ovation alors que le concert était pourtant loin d'être terminé. A voir la façon dont Snoog se déplaçait sur scène, je pouvais dire qu'il jubilait : cette chanson, interdite d'album par la maison de disques, était devenue un véritable emblème pour les partisans de l'indépendance. C'était au-delà de ce qu'il avait jamais espéré, une belle revanche sur une décision totalement inique.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0