Chapitre 51 : Jenna

6 minutes de lecture

Assise à la table de la salle, je faisais posément mes comptes. Les contrats que j'avais enchaînés avec une certaine régularité à la clinique me permettaient de ne plus compter que sur l'argent de Lynn pour vivre. Même s'il refusait que je parle d'égalité sur ce point, j'étais bien contente de pouvoir apporter ma petite pierre à l'édifice de notre vie commune et subvenir moi aussi à nos besoins. Certes, il touchait maintenant sa part sur les ventes du premier album, mais les retombées de la tournée avaient toutes été englouties dans son idée de me faire suivre des cours de moto, dans la location de ce nouvel appartement et dans divers autres besoins, comme l'achat d'une machine à laver ou des ajouts substantiels à sa batterie. Sans oublier la révision complète de sa moto et le rachat pour lui-même d'un équipement intégral, du blouson aux bottes. J'avais refusé de suivre les cours tant qu'il n'aurait pas racheté cet équipement et j'avais vite obtenu gain de cause : et pas uniquement parce que je savais qu'il tenait à ce que je puisse apprendre, moi aussi, à piloter, pas seulement parce que cela nous aiderait à dépasser le traumatisme de l'accident de Ruggy, mais aussi parce qu'il en avait vraiment besoin.

Nous n'étions pas dépensiers, l'un comme l'autre, au quotidien. Et je veillais à n'acheter que le nécessaire, surtout que le groupe avançait encore cahin-caha. Certes, l'arrivée de Treddy était un soulagement pour tous, et ils avaient repris le chemin de la salle de répétition, se remettant sérieusement au travail. La tournée estivale qui s'annonçait me semblait être aussi de bon augure pour permettre aux garçons de roder le groupe dans sa nouvelle formule. Et si Stair avait écrit cette magnifique chanson pour Ally, Snoog n'était pas en reste et avait repris l'écriture, versant d'abord sur le papier tout son ressenti concernant l'accident de Ruggy. En plus de Dark Night, il évoquait leur ami dans une autre chanson, même si c'était moins flagrant. Cela nous rappelait aussi, c'était vrai, ce que nous avions vécu cette nuit-là. Il était impossible pour les garçons de garder cela en eux, et même si les paroles étaient tristes, que les chansons étaient poignantes, je savais bien que cela leur faisait du bien de les interpréter. Et ça leur coûtait toujours moins cher que des séances chez le psy, même collectives.

Après les comptes, je pensais préparer un petit repas pour Lynn et moi. J'arrivais, patiemment, à lui faire manger un peu autre chose que de la "bouffe à pas cher" qui comble l'estomac à défaut de nourrir vraiment.

Je soupirai de contentement et souris : une fois les frais de l'été à venir déduits, il nous restait largement de quoi profiter de la tournée. Je voulais dire pour les à-côtés, car tout ce qui touchait aux frais-mêmes de la tournée, c'était Gordon qui gérait cela et je lui en étais vraiment reconnaissante : je n'avais pas à me préoccuper de trouver des hébergements en accord avec notre ligne budgétaire. Et je lui faisais entièrement confiance pour ne pas mettre le groupe dans le rouge. Après, si tout allait bien, si les garçons étaient contents et de leurs prestations, et du travail avec Treddy, ils pourraient envisager sérieusement le deuxième album. De toute façon, il y avait matière. Je savais bien que, pour le premier, ils avaient dû faire des choix, un peu conseillés par Gordon, par l'ingénieur du son et par un assistant de la maison de disques qui suivait particulièrement leur travail. Le premier album présentait, à mon avis, une belle unité. Mais je n'avais encore qu'une vague idée de ce que pourrait être le deuxième. Nous n'en parlions tout simplement pas.

J'abandonnai un instant l'écran de mon ordinateur pour regarder vers la fenêtre : je venais d'entendre la moto rentrer dans la cour. Lynn était de retour, ils n'avaient pas terminé trop tard pour une fois.

Quelques minutes plus tard, il entrait dans l'appartement. Je l'entendis se débarrasser de son blouson et de ses bottes en soufflant un peu - elles étaient encore neuves et il avait un peu de mal à les retirer, mais il disait que le cuir se ferait et que c'était déjà bien mieux que lorsqu'il les avait achetées. J'entendis nettement le petit "cloc" du casque qu'il posa sur les étagères - étagères qui nous servaient aussi de placard à chaussures.

J'étais toujours assise à ma place quand il traversa directement la salle pour m'enlacer. Sa joue se posa sur mon épaule, ses lèvres effleurèrent mon cou. Je fermai les yeux, savourant autant leur douceur que le piquant de ses joues.

- Bon anniversaire, ma douce, me souffla-t-il à l'oreille avant de prendre mes lèvres pour m'embrasser plus longuement.

Il n'avait pas oublié ! Mon cœur se mit à battre plus vite. Je m'étais demandé s'il ferait attention à la date, car ce matin, quand il avait quitté l'appartement, et depuis notre réveil, pas une fois il n'y avait fait allusion.

Je rouvris les yeux et plongeai mon regard dans le sien. Je me sentis très émue : son regard était si beau à cet instant ! Sombre, mais quand même lumineux, aimant, un peu coquin, un peu doux. Heureux. Et tellement différent de celui de l'an passé, quand il n'avait rien eu à m'offrir de mieux qu'un bon fish'n chips et de délicieux gâteaux au chocolat.

- Merci, répondis-je avec un peu plus d'émotion que je ne voulais en manifester.

Puis mon regard se reporta vers la table. Maintenant, entre le clavier et moi, il y avait un tout petit paquet.

- J't'emmène au resto, baby. Prépare-toi, mais avant, ouvre...

Je ne me fis pas prier : j'avais hâte de découvrir sa surprise. C'était un petit écrin et je devinai donc avant même de l'ouvrir qu'il s'agissait d'un bijou. J'espérai qu'il n'avait pas fait de folie... J'ouvris le couvercle et découvris un collier en argent, portant une larme en pierre de lune. Elle était de forme assez allongée, d'un beau gris-blanc légèrement transparent.

- Elle est magnifique ! dis-je en un souffle. Merci, Lynn ! ajoutai-je en jetant mes bras autour de son cou.

- Elle te plaît ? demanda-t-il avec un soupçon d'inquiétude dans la voix.

- Oui, oh oui ! Mais j'espère que tu n'as pas fait de folie pour me l'offrir...

Il s'écarta à peine, prit le bijou dans l'écrin et me le passa autour du cou.

- Non, t'inquiète pas de ça, baby. Et puis... Et puis, l'année dernière, j'ai rien pu t'offrir. Alors j'me rattrape cette année...

Je souris avec un peu de compassion : oui, l'an passé, nous étions vraiment à compter sou par sou pour nous en sortir. Il n'était pas question de petits cadeaux. Même s'il m'avait offert une sortie en moto - la seule du mois - et une belle balade en bord de mer. Sans oublier une nuit pleine de tendresse. Cette année, il pouvait en effet se permettre de m'offrir un vrai cadeau. Et c'était le premier, ce qui ne lui donnait que plus de prix à mes yeux.

Et je l'embrassai à nouveau avant de me diriger vers la salle de bain pour regarder dans l'unique miroir que nous possédions quel effet elle avait sur moi.

**

- Elle te va à ravir, baby.

Je tournai la tête vers Lynn. Nous étions étendus dans le lit, face à face, et nous venions de faire l'amour. Il me regardait avec toujours le même petit air amusé et heureux, cet air que j'aimais tant lui voir !

Le pendentif en larme reposait au creux de mes seins. Il porta doucement la main vers lui, frôlant ma peau.

- J'étais pas sûr... mais c'était c'que je voulais.

- Que voulais-tu exactement ? fis-je, un peu curieuse.

- Je voulais qu'elle tombe exactement là, répondit-il en appuyant très légèrement sur la pierre, pour que je la sente un peu plus sur ma peau. Juste entre les seins. C'est magnifique, ajouta-t-il avec cette fois un air totalement émerveillé, comme s'il avait découvert un paysage à couper le souffle.

Il était si touchant ainsi ! Le bijou était magnifique, certes, et le geste encore plus. Mais que cela l'émeuve autant, c'était un cadeau encore plus précieux pour moi. Je nouai mes bras autour de son cou, le rapprochant de moi.

- Je te jure de le porter jusqu'à mon dernier souffle. Je te le jure. C'est le plus beau bijou qu'on m'ait jamais offert.

Et je l'embrassai à nouveau, d'un long baiser profond, allant chercher sa langue, l'entourant de la mienne.

- T'es sûre, baby ? J'parie pourtant que t'en as eu des plus beaux.

- Aucun offert avec autant d'amour, répliquai-je. Aucun.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0