Chapitre 30 : Jenna

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- Bon, on est prêt ?

Snoog avait lancé sa question à la cantonade. Nous étions tous les cinq devant le local de répétition. Ruggy venait de refermer la porte arrière de la camionnette en la claquant d'un coup sec.

- Ouaip, fit Lynn. On y va. Jenna et moi, on passe devant. De toute façon, avec la moto, on ira plus vite que vous.

- On s'rencarde à la première aire de repos, après la frontière, fit Snoog. Ca vous va ?

- Ca me va, dit Stair.

Ce dernier était venu avec sa voiture et ferait le trajet seul, car il avait été convenu que Snoog monterait dans la camionnette avec Ruggy. Mais nous avions glissé nos sacs de voyage dans la voiture du bassiste. Ce dernier passa la tête par la porte du local, encore ouverte, y jeta un dernier oeil et dit :

- C'est bon. Je ferme.

L'instant d'après, il montait dans sa voiture et démarrait. Snoog et Ruggy étaient déjà à leur place, il ne restait plus que Lynn et moi, debout près de la moto. J'enfilai mon casque et mes gants, puis j'attendis que Lynn s'installe et démarre pour prendre place derrière lui. Nous partions pour plusieurs semaines, pour une mini-tournée estivale dont les principales dates se feraient en Ecosse. Le premier concert des Dark Angels devait avoir lieu dans trois jours, à Glasgow. Puis nous nous rendrions à Edimbourg pour un autre concert, dix jours plus tard. Ensuite, quelques dates avaient pu se greffer dans des petites salles, à travers toute l'Ecosse. Snoog avait bien travaillé pour décrocher ces dates qui se feraient en marge des cinq "grands" concerts que le groupe devait donner au cours de l'été, suite à la signature d'un petit contrat avec un tourneur.

Je me sentais très excitée par ce voyage. Ma première année d'études venait de s'achever quelques jours plus tôt, j'attendais encore les résultats des examens, mais j'avais confiance : malgré les aléas du printemps et les quelques difficultés que j'avais pu rencontrer en me retrouvant à la porte de l'appartement loué par mes parents, j'avais pu suivre les cours normalement. Il m'était arrivé de rester à l'école pour effectuer des recherches sur internet, Lynn n'ayant pas de connexion à l'appartement. Je m'étais aussi rendue chez Ally lorsque nous avions des travaux en commun à rendre. Notre bînome fonctionnait bien et notre amitié en était sortie consolidée. Je l'appréciais beaucoup. Son soutien avait été essentiel pour moi, et si je parvenais à réussir mes examens, je le lui devrais en partie.

Deux jours plus tôt, nous nous étions retrouvées toutes les deux au Blue Limon, avant qu'elle ne prenne son service : elle allait y travailler tout l'été, y compris en semaine. C'était à ce prix qu'elle parviendrait à payer son inscription pour sa deuxième année. Je lui avais dit que j'accompagnerais les Dark Angels dans leur tournée, n'ayant pas trouvé de petit boulot pour l'été et ma présence n'occasionnant pas plus de frais qu'en restant à Manchester.

- C'est chouette que tu puisses les accompagner, m'avait-elle dit. Ils ne feront pas trop les cons si t'es avec eux.

- Ils sont sérieux quand il le faut, tu sais, Ally, lui avais-je fait remarquer.

- Ouais, ouais... J'dis surtout ça pour qu'ils ne dilapident pas n'importe comment leurs cachets. Il va vous falloir des économies pour la rentrée, à Lynn et toi.

- Lynn ne jette pas son argent par les fenêtres quand il en a un peu d'avance, avais-je précisé. J'en ai eu la preuve au cours des derniers mois.

- Vous avez tiré dur, mais vous vous en êtes sortis. Je vous trouve très courageux, m'avait-elle souri en me serrant brièvement le poignet. Je dis ça surtout pour toi : tu viens "de la haute" et te retrouver ainsi à notre niveau, c'était pas gagné. Tu aurais pu craquer et retourner à Londres. Le confort chez papa-maman, ça pouvait être tentant...

- Oui, je le reconnais, mais ce confort, ce n'est pas la liberté. Et le prix à payer était trop élevé pour moi. Mes parents ne supportent pas Lynn. J'ai fait mon choix. Et mon choix, c'est lui.

- Je sais, avait-elle dit avec un petit sourire un peu triste qui s'était vite effacé. En tout cas, profite bien ! Vous allez voir du pays et il paraît que c'est beau, là-haut.

J'avais acquiescé, puis nous avions fini nos consommations, avant de nous quitter peu après.

**

Si nous étions les derniers à quitter le local, nous dépassâmes très vite la camionnette et la voiture de Stair, avant même de nous retrouver sur l'autoroute. Le début du trajet ne m'était pas inconnu, puisque nous l'avions emprunté pour nous rendre à Fleetwood. Mais ensuite, ce fut la découverte pour moi. Plus nous nous éloignions des grandes métropoles qu'étaient Liverpool et Manchester, et plus la circulation se raréfiait au point qu'on pouvait douter de l'intérêt d'avoir construit une autoroute dans ces lieux désertiques. Les collines succédaient aux collines, jusqu'à cette région accidentée de la frontière qui nous donnait comme un avant-goût de ce que nous allions trouver en Ecosse.

Nous fîmes l'arrêt à l'endroit prévu et Lynn envoya un message à Snoog. Celui-ci confirma qu'ils roulaient bien, Stair les suivait à vue. Je compris que le bassiste avait préféré rester dans le sillage de Ruggy au cas où la camionnette aurait eu quelques ratés. Elle n'était plus de première jeunesse et avait avalé bien des kilomètres. Une panne serait vraiment ennuyeuse et pourrait mettre le voyage en cause. Sans compter que tous les instruments et le matériel se trouvaient dedans, hormis la basse que Stair avait gardée dans sa voiture. Se séparer de son instrument était difficile pour lui, il veillait dessus avec une attention vraiment toute particulière, comme si elle était un véritable trésor. Mais Lynn m'avait expliqué qu'elle était une semi-collector, que son ami avait trimé pour se la payer. Je mesurais pleinement les sacrifices que Stair avait pu faire pour se l'offrir un an plus tôt. Auparavant, il jouait sur une basse des plus classiques, une imitation de Fender. Mais là, il avait pu se payer une vraie Fender et son attachement n'était pas que financier. Il avait eu le coup de coeur pour cet instrument. Lynn m'avait dit aussi que, du jour où Stair avait commencé à jouer avec cette basse, tout son jeu avait évolué. Son ami avait encore gagné en précision, en rapidité et en maîtrise du jeu.

Comme les garçons étaient encore un peu loin derrière nous, Lynn et moi entamâmes une petite promenade tout autour de l'aire de repos, pour nous dégourdir les jambes. Quand le reste de la troupe nous rejoignit, nous mangeâmes un morceau, puis reprîmes la route. Il nous restait approximativement deux heures de route avant d'atteindre Glasgow. Le trajet se fit sans difficulté et nous nous retrouvâmes tous sur le parking de l'auberge de jeunesse. C'était là que nous logerions pour les quatre nuits à venir, puisque le groupe ne repartirait ensuite que le surlendemain du concert pour deux prestations dans de petite salles à Stirling et à Perth, avant de jouer au festival d'Edimbourg.

C'était aussi pour un festival que les Dark Angels étaient venus jusqu'à Glasgow. Il se déroulait dans le grand parc de Kelvingrove et avait débuté le soir de notre arrivée. Comme le groupe s'y produisait, les quatre musiciens avaient un passe leur permettant d'accéder à l'ensemble des concerts. Mais il n'avait pas été possible d'en avoir un pour moi et Lynn avait seulement acheté une place pour le jour où ils se produiraient. Pour les autres soirs, ils avaient convenu qu'à tour de rôle, Ruggy, Stair et Snoog me prêteraient le leur pour que je puisse les accompagner. En fonction de la programmation, ils avaient fait leur choix et, ce premier soir, ce fut Ruggy qui demeura à l'auberge de jeunesse. Il n'en était visiblement pas mécontent car il avait conduit toute la route, ce qui, en camionnette, demandait une certaine vigilance. De plus, cet arrangement permettait qu'il demeure toujours un des membres du groupe pour veiller sur le matériel, même si le parking était fermé et sécurisé.

**

Le jour du concert des Dark Angels, j'accompagnai les garçons tout au long de la journée. Les réglages divers et balances avaient lieu le matin, dans un ordre bien précis. Nous devions être à 10h pile en coulisse. Le tourneur qui leur avait fait signer le contrat des cinq concerts de festivals pour l'été était présent et il leur avait dit que c'était une bonne chose de passer tôt pour les réglages : il n'était pas rare que, pour certains groupes, cela déborde du temps imparti et mieux valait faire cela de bonne heure pour ne pas se retrouver à attendre.

Vers 11h30, ils en avaient terminé et après avoir mangé un morceau, nous nous baladâmes dans le parc. C'était vaste, très arboré et la promenade fut agréable. Les garçons ouvraient la soirée et passaient à 18h. Nous fûmes de retour dans les loges vers 17h. Ils étaient un peu tendus : c'était la première fois qu'ils allaient jouer dans de telles conditions. En effet, pour ce festival, il n'y avait qu'une seule scène et que l'on soit connu ou pas, on avait droit aux mêmes avantages : roadies, ingénieurs du son, éclairagistes. Si certains groupes venaient avec leurs propres techniciens, cela ne posait pas de problèmes, mais pour ceux qui n'en avaient pas comme les Dark Angels, c'était vraiment profitable. De ce que j'en perçus, c'était très professionnel.

L'heure tournait, Stair avait sorti un jeu de cartes de sa poche et enchaînait les réussites. Ruggy était parti explorer les alentours, comme incapable de rester en place. Snoog s'était plongé dans une profonde réflexion ; quant à Lynn, il s'était assis dans un coin et m'avait prise sur ses genoux, me faisant de petits câlins tendres, mais très décents. Par moment, je sentais que le sang accélérait dans ses veines, surtout quand on voyait des techniciens ou des organisateurs se diriger vers nous. Puis, une dizaine de minutes avant de monter sur scène, il me dit :

- Va prendre ta place, baby, on ne va pas tarder.

- Ok, dis-je avant de l'embrasser profondément.

Je les laissai donc tous les quatre - Ruggy ayant rappliqué -, quittai les coulisses et gagnai le grand espace dégagé devant la scène. Je fus surprise de voir qu'il y avait déjà du monde, mais je me fis la réflexion que cela faisait un moment que j'étais en coulisses avec les garçons et je n'avais pas eu conscience de l'arrivée du public. Lors de notre promenade, nous avions repéré un endroit un peu éloigné de la scène, mais offrant une vue plongeante sur cette dernière. Il n'y avait que quelques spectateurs à s'y être installés et je me dépêchai de m'y rendre. J'ôtai ma veste, l'étendis au sol et m'assis dessus en attendant que le concert commence. Non loin de moi, à ma gauche, se trouvait tout un groupe de personnes plus âgées que moi, d'une bonne trentaine d'années environ. De ce que je compris, il s'agissait de plusieurs couples et c'étaient des habitués. A ma droite, il y avait deux familles, avec des adolescents. Devant la fosse, le public était mélangé, je distinguai cependant de nombreux fans de hard-rock, cheveux longs et blousons de cuir, et je m'en réjouis : au moins, une partie du public serait intéressée par le show des Dark Angels.

Des sifflements se firent entendre, le public commençait à s'agiter, impatient que la soirée commence. Au bout de quelques minutes, je vis Lynn s'installer à la batterie. Je croisai les doigts, fermai les yeux un instant, puis les rouvris bien vite pour ne rien manquer. Sans surprise, il attaqua avec les premières mesures de Lies, more lies ! Stair et Ruggy le rejoignirent bien vite et je souris lorsque Snoog bondit sur scène et donna très vite le "la" du concert : énergique.

En deux morceaux, le public se modifia un peu : les hard-rockers avaient tous colonisé les abords de la scène, les poings se levaient et sur le refrain de la troisième chanson une mini-vague se forma. Un public plus âgé, plus cosmopolite, se retrouva relégué en arrière, demeurant cependant à suivre le concert, signe que même s'il n'était pas familiarisé avec le hard-rock, le groupe lui plaisait. Je me fis la réflexion que c'était encourageant.

Les garçons enchaînèrent leurs morceaux, laissant peu de temps au public de souffler. Snoog se baladait sur la scène comme s'il avait toujours fait cela, comme s'il avait toujours chanté sur un plateau aussi grand et devant un public aussi nombreux. Lynn avait tombé son t-shirt dès la fin du deuxième morceau et ses cheveux lui collaient déjà au front et au cou. Ruggy fut plutôt bon dans ses solos et Stair se permit d'en faire un sur la chanson Vivre debout. Quand elle s'acheva, j'entendis un de mes voisins de gauche siffler d'admiration :

- Wahou ! Le bassiste, il assure ! Tin, ça f'sait longtemps qu'on n'avait pas entendu jouer comme ça !

- Je trouve, pour ma part, que tout le groupe assure. Le guitariste est pas mauvais et ses solos sont assez originaux. Pas mal pour une ouverture de soirée, compléta un autre.

- Oui, renchérit une des femmes, à la chevelure rousse, c'était un bon choix, Willy, tu as bien fait d'insister, je crois.

- Bah, j'avais pas trop le choix... sourit celui qui portait visiblement ce nom : Sam m'aurait tué si j'avais choisi un autre concert que celui de la belle Diana...

- C'est Micky qui va te tuer pour avoir mis Karen Matheson de côté...

- Pas grave, elle vient au moins une fois par an à Fort William, répondit le dénommé Micky.

- Et elle vient au restaurant, forcément... compléta une autre femme, aux longs cheveux blonds.

- J'crois même qu'elle a décidé d'y donner au moins une fois par un an un concert, rien que pour manger chez nous, fit celui qui avait parlé le premier.

- Bon, sérieux, les gars, ce groupe, faut qu'on achète leur disque. Ils ont vraiment la pêche ! Comment ça enchaîne !

Je souris et reportai mon regard vers la scène : la fin du concert se profilait et Lynn ne tarderait pas à attaquer son solo de batterie. Je me demandai ce que mes voisins allaient en penser. Et, visiblement, quand il commença à jouer Redemption, alors que Snoog échangeait quelques mots avec Stair, puis avec Ruggy, il impressionna tout le monde. Les remarques ne manquèrent pas à la fin du concert, alors que le groupe quittait le scène. Voulant écouter jusqu'au bout, je demeurai encore à ma place :

- C'est un grand le batteur. S'il continue comme ça... siffla le Sam.

- Quelque chose me dit, les gars, qu'on a assisté à la prestation d'un groupe qui ne va pas tarder à faire parler de lui... dit celui qui s'appelait Micky.

- Yep, répondit Sam. Un bassiste qui joue presque aussi bien que Steve Harris, c'est sûr... Il ira loin.

- C'est clair qu'on sent l'influence de Maiden, dit Willy. Mais ils ont déjà un son bien à eux. Quant au chanteur, je pense qu'il doit avoir du succès, si j'en crois l'air de nos chères et tendres qui ne l'ont pas quitté des yeux...

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