Chapitre 22 : Lynn et Jenna

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Le festival de Liverpool se déroulait sur deux jours, vendredi et samedi soir. 5 groupes jouaient chaque soir et il y avait quelques animations en journée. Les Dark Angels passaient le vendredi, jour des découvertes, le samedi étant réservé à des groupes déjà plus confirmés, du moins sur la scène britannique. Ils avaient chargé les instruments et les amplis dès le matin, fait la route et étaient à l'heure pour les balances. Ils passaient le soir en deuxième place, après un groupe aussi débutant qu'eux et avant un autre qui se faisait déjà un petit nom dans les alentours. Ils se connaissaient d'ailleurs un peu, entre musiciens, et les avaient déjà vus se produire. Les deux autres groupes de fin de soirée leur étaient inconnus. Mais ils avaient bien l'intention de les écouter. Chacun des musiciens avait droit à un passe et Lynn avait donné le sien à Jenna. C'était important pour eux de jouer ce soir-là et elle voulait assister à ce concert.

Le concert débuta donc par un autre petit groupe. Au bout de deux morceaux, Lynn lâcha l'affaire et sortit de la fosse. Le public était encore rare, il se demandait s'ils parviendraient à mettre le feu ou pas. Une chose était certaine cependant : ce ne serait pas ce premier groupe qui y parviendrait. Trop amateur. En sortant de la salle, il consulta son téléphone : Jenna lui avait envoyé un message l'informant qu'elle prenait la route. Elle n'allait pas tarder. Il se dirigea vers l'accès au parking, surveilla les alentours. Il la vit peu après se diriger vers l'entrée et la rejoignit bien vite alors qu'elle se trouvait au milieu de spectateurs qui, comme lui, avaient déserté la salle. Il entendit quelques sifflets appréciateurs quand elle passa, cela lui mit le sang en ébullition. Il ne l'avait pas vue depuis trois jours, car ils avaient répété tard pour se préparer pour ce soir, et entendre les réflexions de quelques gars pas finauds le faisait bouillir. Il se dépêcha de la rattraper, alors qu'elle s'avançait, un rien bravache, vers l'entrée. Elle ne l'avait pas encore vu.

- Jenna ! appela-t-il.

**

Je levai les yeux, cherchai Lynn et un grand sourire s'afficha sur mon visage en le reconnaissant. Quelques secondes plus tard, il était à mes côtés, me prenait dans ses bras et m'embrassait fougueusement.

- Ca va ? demanda-t-il en prenant mon visage entre ses mains. Tu as fait bonne route ?

- Oui, ça va, répondis-je. Je me suis garée un peu loin... Je ne savais pas trop comment c'était... Et j'avais peur d'être en retard.

- C'est bon, l'autre groupe en est à la moitié à peu près. Enfin, on va vite rejoindre les autres, parce que je crains qu'il n'arrête avant l'heure prévue. Faut qu'on soit prêts, nous.

- Ok.

Nous nous dirigeâmes alors rapidement vers le côté de l'ancien entrepôt et nous arrêtâmes devant les vigiles qui contrôlaient l'accès des artistes et organisateurs. Entrer ne fut qu'une formalité et nous nous engageâmes dans un long couloir. Sur les côtés, il y avait quelques loges et bureaux. Puis une grande pièce ouverte, dont la porte, très large, permettait de faire passer sans difficulté le matériel. Des roadies s'y trouvaient, pour aider les musiciens à apporter leurs instruments sur scène. Les amplis, eux, étaient déjà en place.

Snoog et Stair étaient assis là, sur des chaises. Stair était adossé nonchalamment sur la sienne, la tête un peu en arrière et le regard perdu au plafond. Comme une parfaite concordance, Snoog avait une position inverse : tête penchée en avant, bras appuyés sur les cuisses et poings fermés. Tout aussi concentré que le bassiste. Maggie était assise sur une chaise haute, balançant négligemment ses jambes chaussées de bottes. Elle portait une mini-jupe en cuir, un top ajusté et des bas-résilles. Son blouson était posé à côté.

- Tiens, vous v'là, vous, fit-elle. T'as trouvé le chemin, petite ?

- Oui, sans problème, répondis-je.

Je ne savais toujours pas quoi penser de Maggie. C'était la copine de Snoog, la "régulière" du moment. De ce que j'avais compris, elle était déjà sortie avec Stair. Pas longtemps, mais cela ne semblait pas gêner ce dernier. Maggie mâchouillait un chewing-gum et faisait éclater de temps en temps une grosse bulle. Je retins un haut-le-cœur et fis un petit salut général.

Snoog releva la tête et demanda à Lynn :

- T'as vu Ruggy ?

- Non.

- J'espère que ce crétin n'est pas trop loin. Ca va pas tarder à être à nous.

- C'est bien ce que j'avais deviné, fit Lynn. Je suis prêt.

En effet, le premier groupe jouait maintenant son dernier morceau. Ruggy fit son apparition alors que les membres quittaient la scène et que les roadies entamaient le ballet des instruments. Lynn se plaça dans le couloir, veillant à la façon dont sa batterie était installée. Pour les autres, c'était plus simple. Alors que la scène était à peine éclairée, il s'approcha, replaça légèrement un tom. Pour le reste, ça semblait bon. Puis il rejoignit les autres. Son visage s'était déjà fermé, il était concentré sur la prestation à venir. Je retrouvai là l'attitude qu'il avait eue lorsqu'ils avaient joué au Blue Limon ou dans les autres bars où ils s'étaient produits depuis notre rencontre. Il était loin de tout, loin de moi, déjà totalement habité par le concert.

L'un des organisateurs se dirigea vers le micro central et les présenta rapidement. Il n'y avait pas foule dans la fosse, et c'étaient en grande majorité des connaissances qui les attendaient. Quand l'organisateur regagna les coulisses, Lynn s'engagea le premier comme à son habitude et se dirigea vers la batterie. Il n'eut pas un regard pour la salle, mais s'assura que tout était bien en place pour lui : c'était seulement une fois assis qu'il pouvait vraiment s'en rendre compte. Il avait deux paires de baguettes de secours à portée de main : un batteur qui ne laissait pas échapper une ou deux baguettes au cours d'un concert, ça n'existait pas.

Comme à son habitude, il commença à jouer doucement, les cymbales, puis les toms. La pression montait lentement, comme pour interpeler l'intérêt du public. Quelques sifflets se firent entendre, puis le nom de Snoog fut scandé. Oui, c'était assuré, les amis étaient bien là. Stair et Ruggy firent alors leur entrée et commencèrent à jouer. Snoog, comme toujours, fit une apparition surprise, bondissant sur la scène et donnant déjà le la du concert.

Je m'étais appuyée contre le mur du couloir qui menait à la scène. Je ne perdais pas une miette du spectacle, heureuse de pouvoir les voir donner une prestation dans un endroit plus important qu'un pub. Je ne quittais quasiment pas Lynn du regard, mais me permettais quand même, de temps en temps, de regarder ce que faisaient les autres. Une chose était certaine, les Dark Angels assuraient un meilleur show que le groupe précédent et, déjà, après deux morceaux, le public revenait dans la salle, abandonnant l'extérieur ou le bar. A la moitié du concert, il était conquis.

J'avais déjà entendu la plupart des morceaux qui furent joués ce soir-là. Mais quand Lynn se lança dans un solo de batterie, à la fin du concert, j'en fus très surprise : je ne m'attendais pas à ce qu'il joue ainsi, prenant le risque de planter le concert. C'était une chanson que je ne connaissais pas du tout et il était totalement dans son jeu, totalement à la musique et totalement décidé à faire de cette première sur scène pour ce nouveau titre un moment fort. Un signe discret à Stair et celui-ci embraya, avant d'être rejoint par Ruggy. Complètement déchaîné, le guitariste assura là une très bonne prestation. Quant à Snoog, il mit beaucoup de chaleur et d'émotion dans son interprétation. Les paroles me donnèrent des frissons : et c'était aussi la première chanson positive du groupe. Et pas seulement l'expression d'une colère, la dénonciation d'injustices ou un hommage à des groupes dont ils étaient fans.

J'étais un mec sans rien

J'étais très loin, plus bas que terre

Mais sans toi, je ne suis rien

Rien qu'un mec en colère

Baby, tu es ma rédemption

Quand se lève la tempête

Dans mon crâne, dans ma tête

Que la colère me pousse et que je plonge

C'est ta main, c'est ton cœur

Qui me tirent de l'abîme

Baby, tu es ma rédemption

Ton corps, c'est ma maison

Ton cœur, c'est mon asile

Ton sourire, mon espérance

Moi qui ignore le sens du mot chance

Baby, tu es ma rédemption

**

Je ne gardai qu'un vague souvenir de la route du retour jusqu'à Manchester. Lynn était assis à côté de moi, une vraie pile électrique. Lui d'habitude un rien taciturne, il était comme libéré. Il fallait dire que la soirée et le concert avaient été au-delà de leurs attentes : un type était venu les voir, après la prestation, et leur avait proposé de tourner dès la fin du printemps dans plusieurs festivals, jusqu'à l'été. Cinq dates au total, cinq contrats francs et l'assurance de jouer sur des scènes d'une certaine envergure. Ce n'était pas encore Wembley, mais c'était déjà au moins aussi bien que Liverpool. Je me réjouissais pour eux. Tous avaient le sourire quand nous avions quitté la salle, après avoir écouté les deux groupes jouant après eux. On ne resta pas pour le dernier.

Car il était déjà tard et je songeai que je devais conduire pour rentrer. Les gars avaient chargé la camionnette, avec les instruments et leur matériel, plus la voiture de Stair. Ils avaient profité de l'entracte juste après le concert du troisième groupe pour le faire. Lynn dut me voir retenir un bâillement et dit :

- On rentre. Vous n'avez pas besoin de moi pour conduire. A demain.

- Ok, Lynn, Jenna. A demain, fit Stair.

Ils se serrèrent la main, une bise pour moi et nous partîmes. Malgré la fatigue que je ressentais principalement dans les jambes à être restée beaucoup debout et à piétiner, je parvins à nous ramener sans dommages. J'avais conduit jusque chez moi, car je connaissais la route.

- Oh, on dort chez toi, baby ? fit Lynn d'un ton un peu amusé.

- Oui, j'ai pas réfléchi... J'ai pris la route machinalement. Ca te gêne ?

- Nan... C'est très bien ainsi. Je vais faire hurler tes voisins demain quand ils me croiseront dans l'escalier, c'est tout...

- Ou leur faire peur, fis-je remarquer.

- Yep, dit-il en se détachant avant d'ouvrir la portière.

Nous gagnâmes rapidement l'appartement. L'immeuble était silencieux, la rue calme : il était plus de 2h du matin. A peine nous fûmes entrés, que j'enlaçai Lynn et l'embrassai. Il me répondit tout aussi passionnément et lorsque nous rompîmes notre baiser, je dis, un peu essoufflée :

- J'en avais envie depuis un bon moment.

- Fallait t'arrêter sur le bord de la route. Ca m'aurait pas déplu que tu me fasses le coup d'la panne !

J'éclatai de rire et glissai mes mains sous son t-shirt, pour le lui ôter.

- Faut qu'je prenne une douche, baby. Je pue la mort. Un concert, c'est mortel.

Je le savais bien pour l'avoir déjà vu faire, après les derniers petits concerts auquel j'avais assisté. Il fila dans la salle de bain, je passai rapidement dans la chambre, tirai les rideaux. Puis j'allumai la petite lampe de chevet, sortis des préservatifs du tiroir. Je me recoiffai rapidement puis me tournai vers la porte de la salle de bain lorsque Lynn en sortit, nu. Son regard de braise, le dragon dansant sur son bras, ses cheveux encore humides, sa démarche de fauve me firent me ruer sur lui, le prenant par surprise.

- Affamée, baby ?

- T'es juste... complètement... inconscient... dis-je en m'interrompant à peine de picorer son torse, ... complètement... fou... de te balader... devant moi... comme ça...

- Tu préfères que j'me rhabille ? fit-il moqueur.

Mais je le bâillonnai de ma bouche pour l'empêcher de dire d'autres bêtises. Nous tombâmes sur le lit et mes vêtements volèrent à travers la pièce sans que je me pose la moindre question sur l'endroit où ils allaient tomber. Il me couvrit de baisers et j'attrapai le petit sachet mauve, le déchirai d'un geste sûr.

- Viens... gémis-je à bout de souffle. Viens vite...

Il obtempéra sans protester et ce fut une étreinte encore une fois très intense. Il m'arracha un cri de plaisir qui, je pouvais le craindre, aller réveiller les voisins. Mais je m'en fichais complètement. Seuls comptaient Lynn, sa fougue, la mienne, son désir, le mien. Seule comptait cette envie sauvage qui était née au creux de mes reins lorsqu'il était sorti de scène, après la nouvelle chanson, et qu'il m'avait lancé un regard brûlant. Son baiser, alors, n'avait rien calmé.

Quand nous reprîmes - un peu - nos esprits, alors que je le serrais fort contre moi, comme pour imprimer plus encore la marque de son corps au mien, je lui dis doucement, à l'oreille :

- Elle était belle, la nouvelle chanson.

Il écarta son visage de mon cou pour me fixer, droit dans les yeux. Il eut alors un regard d'une douceur incroyable, comme je crois que je ne l'avais encore jamais vu.

- J'l'ai écrite pour toi, baby. C'est toi, ma rédemption.

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