Chapitre 19 : Lynn

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- Alors ?

Un peu anxieux, Lynn regardait tour à tour ses trois amis. Il venait de leur exposer sa dernière création et se demandait bien ce qu'ils allaient en penser. Les dernières idées qu'il avait amenées avaient toutes été retenues et appréciées, mais là, il doutait vraiment. Surtout après la répétition foireuse du vendredi précédent.

Stair regarda Snoog, puis Ruggy. Il les sentait tous un peu hésitants.

- Hum... commença Snoog sans terminer sa phrase : il était encore en pleine réflexion, Lynn le perçut d'emblée.

- C'que j'en pense, dit Ruggy d'un ton beaucoup plus assuré, c'est qu'si c'est c'te fille qui t'fait écrire des trucs pareils, Lynn, alors... Hum, alors, faut la garder.

Lynn sentit la pression qui lui broyait les tripes s'échapper d'un coup. Il soupira, secoua la tête, puis regarda Stair. Ce dernier avait un petit sourire en coin :

- Ouaip. Chuis d'accord avec Ruggy. En plus, y'a quasiment rien à reprendre sur c'que tu nous donnes, là. J'veux dire... J'trouve que le morceau tient déjà sacrément bien la route. J'apporterais juste une remarque : j'crois que le solo de batterie, faut pas le mettre au milieu. Faut commencer par lui. C'est toi qui dois attaquer direct. Snoog ?

Trois paires d'yeux fixaient maintenant le chanteur. Il n'avait pas encore dit un mot depuis que Lynn avait commencé à leur présenter le morceau. Il avait tout écouté avec attention, lu les paroles, la partition. Il croisa les bras sur son torse, cachant ainsi en partie le dessin du zombie et de la walkyrie qui se faisaient face sur son t-shirt. Et asséna la sentence finale :

- Un tube. Je crois que ce sera un tube.

**

Si Lynn était arrivé ce jour-là avec une nouvelle création, Redemption, Ruggy, lui, apportait une autre nouvelle : le groupe était retenu pour participer à un mini-festival de métal à Liverpool dans deux semaines. Une occasion inespérée de se produire devant un public plus large, amateur, et peut-être aussi d'être repérés par un producteur, ou, au mieux, par les organisateurs d'autres festivals qui peaufinaient leur programmation pour les mois à venir. Le festival se déroulait sur les docks, dans un ancien bâtiment des chantiers devenu l'antre de la musique avant-gardiste. Ruggy, qui était originaire de Liverpool et avait migré vers Manchester-la-sœur-ennemie suite au divorce de ses parents, connaissait bien la ville et avait noué de nombreux contacts dans son milieu musical. Tous les quatre se réjouissaient de cette chance qui s'offrait à eux. Cela signifiait aussi qu'il allait leur falloir redoubler de travail et de persévérance au cours des deux semaines à venir pour peaufiner leur show. Il ne s'agirait plus, là, de jouer pour un public conquis d'avance, pour une bande de potes. Il faudrait convaincre.

Lynn n'avait pas parlé plus en détail de sa nouvelle composition à Jenna, en-dehors des quelques questions qu'elle lui avait posées au réveil, ce samedi-là. Ils venaient de passer deux jours ensemble, deux journées complètement folles à faire l'amour. Il ne pouvait pas s'éloigner d'elle. La laisser ce matin-là, dans l'aube fraîche, au pied de son immeuble pour qu'elle puisse se préparer pour sa journée de cours avait été un véritable défi pour lui. Il s'était trouvé du courage en la regardant franchir la porte de l'immeuble, se disant qu'il avait maintenant un tout autre challenge à relever : convaincre le groupe pour sa chanson.

C'était donc chose faite et ils travaillèrent le nouveau morceau jusqu'au soir. Il prenait vraiment forme et, une fois de plus, Lynn se dit que Stair avait raison : ouvrir par le solo de batterie serait original et lui permettrait de donner le vrai tempo du morceau, soit très énergique, soit un poil plus lent, plus doux. Tout dépendrait de son état d'esprit. Mais il se demandait cependant si c'était judicieux de le prévoir à leur prestation, pour le prochain festival. Deux semaines pour le mettre au point, sans aucun concert pour le tester sur scène, ce serait casse-gueule.

A la fin de l'après-midi, les principales phases du morceau étaient déjà en place. Stair avait vite trouvé les éléments complémentaires pour la ligne de basse, Ruggy commençait à maîtriser la mélodie. Snoog avait fait quelques essais pour chanter le premier couplet. Cela augurait bien. Ils décidèrent de s'arrêter là pour ce soir, de se retrouver le lendemain après-midi.

Comme bien souvent, Lynn et Stair furent les derniers à partir. Stair avait toujours du mal à arrêter de jouer. Il s'amusait encore à faire quelques gammes alors que Lynn remettait un peu de matériel en place.

- Bon, tu la lâches, ta gratte ! lança-t-il à son ami.

- Hum, pas tout de suite... Remets-toi en place, vieux, j'ai une idée, là.

Lynn soupira, mais fit comme le demandait Stair : quand ce dernier tenait ce genre de propos, il valait mieux obtempérer. Car quand Stair avait une idée, elle était rarement mauvaise. Il se laissa guider par son ami :

- A la fin du premier couplet, reprends là.

- Ok.

Il joua les dernières mesures, puis Stair embraya, concentré. Lynn savait exactement ce qu'il devait faire dans ces moments-là : jouer toujours la même chose pour que Stair puisse se caler, vérifier si son idée tenait la route.

- Là, ouais, cette suite-là, je pense que c'est pas mal. On ouvre une petite respiration, Snoog se reprend et on attaque ensuite le deuxième couplet. Allez, c'est bon, on arrête.

Et il coupa son ampli, débrancha le fil et passa la basse par-dessus sa tête. Lynn abandonna son siège, ramassa ses baguettes et récupéra son pull qu'il avait ôté pour jouer.

Stair rangeait la basse dans sa housse. Lui et Ruggy ne laissaient jamais leurs instruments sur place, seuls la batterie et les amplis demeuraient dans le hangar, soigneusement fermé.

- T'as d'la chance, Lynn, fit-il en fixant les attaches de son étui, l'air concentré.

- Hein ? demanda le jeune homme, un peu étonné.

- Ouais. T'as d'la chance d'avoir rencontré une fille pour laquelle tu as écrit une telle chanson. Les belles choses, dans la vie, faut savoir les saisir quand ça passe à notre portée. Garde-la bien. Veille bien sur elle.

Il avait prononcé cette dernière phrase en relevant la tête et en fixant Lynn droit dans les yeux. Ce dernier opina simplement. Ils prirent leurs dernières affaires en silence, sortirent, verrouillèrent les lieux. Lynn se dirigea vers sa moto alors que Stair démarrait sa voiture, un dernier signe de la main en sa direction. Il mit son casque, démarra à son tour et prit la direction de l'école d'infirmières. Il serait à l'heure pour la sortie des cours.

Garder Jenna. Veiller sur Jenna. C'était bien ce qu'il avait l'intention de faire.

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