Chapitre 18 : Lynn et Jenna

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Etendu sur le dos, le visage légèrement tourné sur le côté, le regard de Lynn se perdait dans l'obscurité de sa chambre. La tête de Jenna reposait sur son torse, ses longs cheveux si fins répandus sur ses épaules, sa main caressant doucement sa poitrine, se glissant entre les poils drus. Il savourait.

Ce qui venait de se passer entre eux, il ne l'aurait pas imaginé quelques semaines plus tôt. Il n'aurait pas imaginé tomber "raide dingue" de cette fille, comme l'avait si bien dit Ruggy. Il ne pensait pas qu'il lui aurait été donné, à lui, de vivre quelque chose d'aussi intensément fort. Et ce n'était pas seulement parce qu'il serait, à jamais, le premier amant de Jenna. Même si cette pensée éveillait en lui une forme de fierté. C'était à lui qu'elle s'était donnée. Pas à un de ces petits merdeux prétentieux et pédants. Non, c'était à lui, Lynn. Le bad boy, cheveux longs, tatoué et mal rasé. Qui ne vivait que pour la musique, pour construire le groupe. Avec un but peut-être moins ambitieux que ce qu'il lui avait claironné : enregistrer un disque et donner des concerts. Rock star serait vraiment la cerise sur le gâteau.

Il vivait pour cela depuis qu'il avait huit ans. Depuis qu'il chouravait les paquets de lessive en carton, les vides dans les poubelles de l'immeuble, les pleins dans les rayons d'un supermarché. Et qu'il tapait dessus comme une brute, avec des cuillères en bois. Un mince sourire éclaira son visage en repensant au jour où il avait tapé si fort sur un des paquets pleins qu'il l'avait éventré et que la lessive en poudre s'était répandue partout. Il avait à peine dix ans, à l'époque. Et de la rage et de la colère plein le cœur. La batterie l'avait sans doute empêché de plonger. La batterie et Stair, puis Snoog. Ruggy les avait rejoints plus tard, quand Snoog avait pris conscience qu'il serait toujours un piètre guitariste et qu'il lui valait mieux se consacrer à ce qu'il savait déjà bien faire : chanter. Ils avaient construit leurs morceaux ensemble. Si Stair n'était pas très porté sur la composition, en revanche, il était un bon arrangeur. Il savait apporter de la précision, des améliorations à une partition un peu sèche, un peu brouillonne que Snoog ou lui-même proposaient. C'était un travail de groupe. Et cela lui plaisait. Et, il le savait, cela plaisait aussi aux autres. Ils avaient maintenant une bonne quinzaine de morceaux à leur actif, tenant la route. De quoi faire un disque, si, un jour, la porte d'un studio s'ouvrait pour eux.

C'était la voie qu'il voulait suivre, que le groupe voulait suivre. Tous, sans exception et avec la même envie, la même volonté farouche de "s'arracher". Comme le disait déjà un de leurs morceaux "phare", ils voulaient sortir de la boue et vivre debout.

Je suis né dans la rue,

Enfant d'un monde perdu

Mon père buvait, ma mère pleurait

Et c'était moi qui trinquais

Mon monde était petit

Morne comme une impasse

Dans l'immeuble où l'on vit

Y'a pas de rêves qui passent

Y'a juste des cauchemars

Qui me poursuivent et me foudroient

Tout là-bas, jusqu'au fond du placard

Ils m'enlacent et je me noie

Demain je s'rai un homme libre

Car le rock'roll, c'est ma vie

Demain s'ra comme un livre

C'est pour ce monde que j'écris

Je déteste l'endroit d'où j'viens

J'ai détesté l'école, les aut'gamins

Mais j'ai le droit de sortir de la boue

Mais j'ai le droit d'être debout

Et d'aller là où tout le monde s'en fout

Et d'aller là où tout le monde s'en fout

Mais voilà que Jenna entrait dans sa vie, aussi. Et qu'elle n'allait pas en ressortir comme cela, il en était déjà conscient. Même s'il tentait, souvent maladroitement à son avis, de le lui cacher. Il pensait encore, il préfèrerait encore qu'elle ne s'attache pas. Elle n'était pas de son monde et ne le serait jamais. Quant à lui... Faire des courbettes à ses parents, plonger dans ce monde qui les mettait tous à genoux, qui ne leur offrait que peu d'échappatoires, et tout juste de quoi subsister : il avait trop de colère en lui pour les supporter. Si Jenna appartenait à ce monde, il voulait croire qu'elle n'était pas comme eux, pas comme les puissants qu'il vilipendait au fil des couplets.

Il fronça légèrement les sourcils et murmura :

- Jenna ?

- Hum ? fit-elle en réponse, sans cesser de caresser doucement son torse, de cette caresse lente et prégnante qui lui faisait déjà beaucoup de bien.

- Ca va ?

Il s'inquiétait un peu pour elle. De ce qu'elle ressentait maintenant, après cette première fois qu'il n'aurait pas imaginée aussi intense, aussi brûlante. Et, autant le dire, aussi passionnée.

Elle redressa la tête, le fixa en souriant. Un sourire simple, heureux, chaleureux. Et aimant.

"Bordel !", songea-t-il. "Elle est en train de tomber amoureuse..."

- Oui, répondit-elle. Ca va. Et toi ?

La question, simple, le désarma. Que pouvait-il répondre d'autre à part la franchise la plus évidente ?

- Oui.

Elle fit glisser ses jambes le long des siennes, se lova contre lui et rapprocha son visage du sien. Elle était maintenant totalement face à lui. Ses cheveux, un peu ébouriffés, les isolaient du reste du monde. Il eut le sentiment qu'ils ne faisaient à nouveau qu'un, comme l'instant d'avant, quand il s'était perdu en elle, qu'il s'était fondu en elle. Elle ne dit rien et se pencha simplement pour l'embrasser. Un baiser tendre, profond, qu'elle fit durer. Il la laissa faire, s'étonna quand même quand il perçut qu'elle devenait plus passionnée. Il pouvait sentir son cœur battre plus vite contre sa poitrine, les pointes de ses seins durcir contre ses propres mamelons. Puis quand ses mains le caressèrent, il sut qu'il allait perdre tout contrôle encore une fois.

**

Quand j'ouvris les yeux, ce matin-là, ma première pensée fut "Lynn...". Je me tournai dans le lit, il n'y était plus, mais les draps étaient bouchonnés et j'étais un peu entortillée dedans. Je levai la tête et le vis, assis en tailleur au pied du lit, écrivant ou griffonnant quelque chose sur la table basse. Une tasse fumait à ses côtés.

Je me redressai un peu. Il avait l'air très concentré et je ne voulus pas l'interrompre, d'autant que, de ce que je pouvais percevoir, c'étaient des feuillets de partition qu'il noircissait ainsi, écrivant fébrilement des notes ou des mots, je n'aurais su dire avec précision. Un instant, il releva la tête, fixa la fenêtre, le carré de ciel gris qui s'y encadrait. Le regard lointain, les sourcils un peu froncés, il se replongea dans l'écriture. Silencieusement, je me rallongeai et refermai les yeux. Son image emplissait mon esprit et je souris simplement.

Ce fut un doux baiser sur le bout de mon nez qui me fit rouvrir les yeux. J'eus conscience d'avoir somnolé, après mon réveil. Le regard de Lynn plongea dans le mien. Un léger sourire éclairait ses traits de cette lumière que j'aimais tant y voir, mais qui, je l'ignorais, n'y apparaissait que si peu. Et finalement, surtout pour moi.

- Un thé, baby ?

- Hum, volontiers, répondis-je en m'étirant lascivement.

J'avais soif. Et un peu faim aussi, je devais bien l'avouer. Je ne savais pas quelle heure il était, et le repas de la veille, ces petits sandwichs avalés sur le pouce au pub, me semblait bien lointain. Du moins, c'était ce que mon estomac m'envoyait comme information. Lynn se redressa et gagna la cuisine. Il ne portait qu'un caleçon et je me mordis les lèvres à le voir s'éloigner, les muscles de son dos qui roulaient doucement, ses longues jambes qui se déployaient pour ces quelques pas. Il était beau. Et pas seulement de visage. Tout son corps aussi.

Il revint avec un grand mug bien chaud. Son thé était bon. Je m'étais assise dans le lit, les jambes couvertes par le drap, mais le torse dénudé. Il se glissa à côté de moi et me dit :

- T'es provocante comme ça, baby. Tu m'donnes des idées...

Je lui souris par-dessus mon mug. Il avait le regard doux, amusé, mais un rien tenté aussi. Et tentateur. Je lui demandai, en désignant les partitions sur la table :

- Tu faisais quoi, à l'instant ?

- J'écrivais. Une nouvelle chanson. Ou plutôt, l'ébauche d'une nouvelle chanson. J'ai toujours de quoi écrire sur moi, même pour griffonner. Je m'y retrouve. Quand l'inspiration surgit, il faut pouvoir la retenir. La mémoire n'enregistre pas toujours tout.

- Hum, je comprends, répondis-je. C'est toi qui écris vos chansons ? J'imaginais que c'était Snoog. Un a priori, sans doute, précisai-je.

- En fait, on est deux principalement à écrire les chansons. Snoog et moi, m'expliqua-t-il. Quand on les présente aux autres, elles sont plus ou moins abouties. Parfois déjà bien construites, que ce soit pour les textes ou pour la musique, parfois moins, mais on sent qu'il y a du potentiel. Stair apporte beaucoup en général, pour la ligne de basse, bien sûr, mais pas uniquement : il a souvent une vision globale de ce que sera le morceau. Quant à Ruggy, il nous aide à préciser la mélodie, il suggère quelques variations : le morceau se construit alors tous ensemble. C'est une étape que j'aime bien. Même si, à chaque fois que tu apportes une ébauche de morceau, tu ressens une forme de pression.

- C'est arrivé que des ébauches finissent à la poubelle ?

- Oui, rit-il. Et plutôt deux fois qu'une ! Mais en fait, ce n'est pas tout à fait vrai. Il y a parfois des éléments intéressants, un bout de mélodie, une ligne de basse, un passage à la batterie ou quelques éléments du texte. Et alors, on les écrit, soigneusement, pour les réutiliser plus tard. Ca sert toujours. Parfois aussi, le texte est bon, mais la musique ne va pas du tout. Ou l'inverse. Mais, avec le temps, on a de moins en moins de déchets. Disons plutôt qu'on ne se ramène pas devant les autres avec un truc trop bancal. Snoog et moi avons appris à peaufiner notre intuition, à la travailler, à présenter quelque chose qui soit déjà vraiment construit. Ca permet aussi de gagner du temps.

- Hum, je comprends. Et ça te plaît, tout cela.

- Oui. Oui vraiment, baby.

Il déposa alors quelques baisers sur mon épaule, le regard plongé dans le mien. J'avais fini mon thé et il se redressa pour me prendre le mug des mains et le reposer sur la table de nuit - un simple cube avec deux tiroirs.

- Mais toi aussi, baby, tu me plais.

Je le fixai, amusée. Puis je posai un doigt sur ses lèvres et je dis :

- J'aimerais bien prendre une douche. Je peux ?

Il leva brièvement un sourcil étonné, mais répondit :

- Ok, baby. No soucy. Viens par là.

Il était déjà debout et me tendait la main, me tirant du lit jusqu'à lui. Je ris un instant et lui aussi, avant qu'il ne pousse la porte de la salle de bain. Comme le reste de l'appartement, elle était un peu vieillotte, mais fonctionnelle : après tout, c'était tout ce qu'on demandait. Lynn me mena sous la douche, c'était un simple bac avec un rideau d'un bleu passé pour la fermer. J'allais tirer le rideau lorsque je le vis ôter son caleçon et me rejoindre. Il me prit dans ses bras, se collant à moi et dit :

- Je la prends avec toi, ça te tente ?

Impossible de répondre à la négative. Son regard sombre plongeant dans mes pupilles ralluma le brasier. Ou peut-être était-ce son corps chaud collé au mien ? Ou son sexe dressé contre mon ventre ? Sans doute tout cela à la fois. Le jet d'eau froide tombant sur moi me fit pousser un cri de surprise, mais ne fit nullement baisser la température de nos deux corps déjà enfiévrés. Son baiser me plaqua contre la paroi carrelée, sa langue tournoya en un lent ballet dans ma bouche. L'instant d'après, ses mains, couvertes de savon, commencèrent tout à la fois à me laver et à me caresser. Je ne pus retenir un gémissement contre ses lèvres, qui se transforma en râle profond quand ses mains s'amusèrent à exciter mes tétons. Il exerçait déjà un pouvoir tel sur moi, sur mon corps, que c'en était jouissif et libératoire.

- J'vais t'faire un truc, baby, chuis sûr qu'tu vas aimer... me dit-il à l'oreille d'une voix grondante, comme celle d'un fauve.

Et il se laissa glisser lentement tout le long de mon corps en continuant à le couvrir de savon. Ses mains étaient d'une douceur divine et il se montra très tendre avec mon intimité. Une vague trace rougie se perdit dans la mousse, à mes pieds. Mais je n'eus pas le temps de m'y attarder, car Lynn colla son visage contre mon ventre et commença à embrasser mon pubis. Puis ses lèvres se perdirent plus bas, dans ma toison, effleurant, suçant mes lèvres intimes. Je hoquetai de surprise, puis de plaisir. Mes jambes flageolaient, je crus que j'allais tomber et me retins à lui, mes ongles plantés dans ses épaules, griffant sans le vouloir la tête du dragon, alors que je succombais à un nouvel orgasme.

Mes jambes ne me portèrent plus et je m'écroulai sur lui, mais Lynn me retint dans ses bras. Et sa voix me transperça presque autant que le plaisir :

- Tu tomberas pas, baby. Pas avec moi.

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