Chapitre 10 : Jenna

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Lynn était venu me chercher pour une balade à Fleetwood. Je lui avais dit la semaine passée que j'avais envie de voir la mer, que ça faisait un moment que je ne m'étais pas promenée sur une plage. Et ni une, ni deux, ce dimanche, il avait décidé que ce serait un bon but de sortie.

Nous étions début décembre. Après plusieurs jours de tempête, le temps s'était remis au beau, mais il y avait encore du vent. Il avait dû être vigilant sur la route, pour que nous ne soyons pas déportés à cause des rafales. Sur le retour, nous l'aurions plutôt dans le dos, ce serait plus facile. Il m'avait demandé où je voulais aller, je lui avais simplement dit que je n'avais fait qu'une seule escapade, au-delà de Liverpool, depuis que j'étais à Manchester, un dimanche avec Ally et Nora, une autre amie de promotion. Je ne connaissais donc pas du tout le coin et je lui faisais confiance pour nous emmener dans un bel endroit.

Ce n'était pas la première fois que Lynn m'emmenait sur la moto, mais à chaque fois, je ressentais une poussée d'adrénaline et je me surprenais à apprécier ce mode de transport : j'éprouvais à la fois un puissant sentiment de liberté, un peu comme sur un cheval, mais aussi une excitation particulière que je ne parvenais pas à définir, à qualifier. C'était quand même très particulier de me retrouver assise derrière lui, de passer mes bras et mes mains autour de sa taille et de le tenir ainsi pour ne pas tomber. La première fois, je l'avais sans doute serré très fort, mais, depuis, j'avais pris confiance en mon assise sur la moto et je me sentais plus détendue aussi. Néanmoins, je l'agrippais toujours. En plus, je trouvais cela très agréable et j'avais pris goût aux sensations que cela faisait naître en moi, cette montée de chaleur dans mes reins, dans mon ventre. Cette sensation de légèreté aussi, comme si j'avais plané au-dessus de tout.

Cette "virée", pour reprendre le mot qu'il aimait employer, était bien plus longue que nos précédentes sorties qui s'étaient limitées à nous rendre dans un pub soit dans les alentours, comme la première fois qu'il m'avait invitée, soit à Manchester-même. Je lui avais proposé de conduire, de prendre ma voiture, mais il m'avait dit qu'il préférait la moto, d'autant que le temps nous le permettait. C'était une journée de fin d'automne ventée, mais assez fraîche, sans pluie.

Alors que nous roulions en direction du nord, je fermais parfois les yeux. Malgré le casque me parvenaient les odeurs de la nature environnante, mais aussi du cuir de nos blousons. C'était une odeur que j'assimilais déjà à Lynn, sans en avoir vraiment conscience. Disons que si je m'étais retrouvée dans le noir, c'était une odeur que j'aurais reconnue.

J'avais été surprise, dès la première sortie, de ne pas ressentir le froid : son corps et le pare-brise de la moto me protégeaient bien du vent. Et malgré l'épaisseur de nos blousons, je pouvais sentir sa musculature. Il n'y avait pas à dire, mais Lynn sur une moto, c'était quand même une vision très sexy. Quand cette expression me venait à l'esprit, je pensais aussi à mon échange avec Ally et à ses mises en garde. Cependant, le temps passant, je doutais de plus en plus de pouvoir les suivre. D'autant que Lynn se montrait quand même assez "chevaleresque", même s'il se serait très certainement moqué de moi si j'avais osé employer l'expression devant lui. Il m'aurait dit quelque chose comme : "Chuis tout sauf un prince charmant, fillette, te fais pas d'illusions..."

Ne pas me faire d'illusions, c'était ce que je m'efforçais de faire, avec de moins en moins de réussite, je le reconnaissais. Et aussi de plus en plus d'envie de franchir un nouveau cap. Car qu'étions-nous, à ce jour, l'un pour l'autre ? Des connaissances ? Des copains ? Des amants en devenir ? Je devais bien avouer que cette dernière perspective était celle qui me tentait le plus...

Aussi avais-je décidé que, à l'occasion de cette sortie, j'essayerais d'en savoir un peu plus sur ses intentions. Il avait une façon de, parfois, souffler le chaud et le froid qui était assez déstabilisante. Néanmoins, et même s'il lui arrivait de me lancer quelques mises en garde, il continuait quand même à venir me chercher à l'école et à m'inviter voir leurs prestations. J'en étais déjà, à cette date, à mon troisième concert des Dark Angels. Je me demandais donc bien ce que je pouvais représenter pour lui. Je n'avais pas reparlé non plus de lui avec Ally et je faisais celle qui n'entendait pas quand les filles chuchotaient entre elles, à côté de moi, quand elles voyaient qu'il m'attendait à la sortie de l'école.

Tenir aussi longtemps sur la moto, c'était au final assez fatigant et je ne fus pas mécontente d'arriver enfin à Fleetwood. Mes bras me tiraient, je commençais à avoir mal aux fesses, et surtout, je me sentais un peu fébrile. Rester ainsi, à tenir Lynn entre mes bras, était perturbant.

Mais aussi terriblement excitant.

**

- Ca va, Jenna ? me demanda-t-il alors que je faisais quelques pas, titubante, sur le trottoir, à côté de la moto.

Je venais d'en descendre et mes jambes étaient un peu flageolantes. Mais je ne pourrais pas jurer que c'était à cause de la durée du trajet.

- Oui, ça va, dis-je en retirant mon casque que je lui tendis.

Je connaissais bien le rituel, maintenant. Le casque, les gants, dans le coffre arrière. Et son propre casque, qu'il attachait à l'une des manettes, avec un deuxième antivol, le premier étant là pour bloquer la roue arrière. Il rangea ses affaires et me saisit d'emblée la main pour nous diriger vers la plage. Cela n'arrangea pas l'état de mes jambes, ni celle de mon cœur battant plus vite dans ma poitrine. Et je pouvais assurer que j'avais tout sauf froid.

Nous entamâmes la promenade d'abord le long du front de mer, puis descendîmes jusqu'à la plage. Le vent soufflait assez fort, j'avais les cheveux dans les yeux en permanence. Je finis par lâcher la main de Lynn, fouiller dans mes poches pour en sortir un élastique et les attacher sommairement. Lui ne semblait pas gêné par ses cheveux, pourtant assez longs. Mais ils ne lui tombaient pas sur le visage comme les miens. Je repris sa main dès que j'en eus terminé avec ma chevelure. Pas question de le lâcher.

**

- Me regarde pas comme ça, fillette. Tu t'en rends pas compte, mais...

- Mais ? demandai-je un peu étonnée.

- Tu peux pas savoir tout c'que ça m'fait. L'effet qu'tu m'fais.

Je déglutis. Nous étions face à face. Dans mon dos, la mer roulait ses vagues, creusées par la récente tempête. Le vent balayait nos cheveux. Malgré ma queue de cheval, quelques mèches s'étaient échappées et se promenaient sur mon visage. Ceux de Lynn étaient au contraire rejetés en arrière.

Il posa ses mains sur mes hanches, me rapprocha de lui. Il fronçait légèrement des sourcils. J'aimais son regard sombre, ce regard brûlant qu'il avait planté dans mes pupilles, me rendant incapable de regarder ailleurs.

- T'as l'droit de dire non, baby... souffla-t-il alors qu'il rapprochait son visage du mien.

- Mais j'ai envie de dire oui... répondis-je dans le même souffle.

Et sans plus attendre, je posai mes lèvres sur les siennes, car je le sentais encore hésitant. Comme s'il n'avait pas compris que j'avais dit oui. Comme s'il ne savait pas que j'en avais autant envie que lui. Puis il m'embrassa vraiment. Je fermai les yeux pour savourer. Je ne voulais rien oublier de ce premier baiser. Me souvenir de tout.

Oui, je voulais me souvenir de la douceur de ses lèvres, de sa langue qui s'enroulait autour de la mienne, la caressant, doucement, encore et encore. Oui, je voulais me souvenir de ses mains, maintenant dans mon dos, de ses bras qui m'entouraient, me tenant étroitement contre lui, mais me protégeant aussi. Du vent, du soleil, de la pluie. Du danger, de la peur, des incertitudes.

Oui, je voulais me souvenir de cet incendie qui m'embrasait, de ces papillons qui voletaient en moi, de mon cœur en émoi.

Oui, je voulais me souvenir du vent dans nos cheveux. De l'air frais et humide qui rosissaient nos joues. De cet air marin qui emplissait mes narines, donnant à ce baiser un petit goût salé.

Mais je voulais aussi me souvenir de mon cœur qui battait fort d'émotion, du sien que j'entendais cogner dans sa poitrine. J'avais déjà embrassé des garçons, mais là, j'étais embrassée par un homme.

J'étais embrassée par Lynn.

Et ça faisait toute la différence.

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