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Retourner au Temple angoissait Arian. Palys attacha son masque sur son visage, veillant à ce que la corne soit bien ajustée. Arian l’aida à enserrer sa poitrine dans un linge, pour mieux en dissimuler les formes. Le naturel avec lequel la jeune fille lui offrait le spectacle de son corps le perturbait. C’était comme si sa masculinité n’existait pas. Mais comment ne pas la dévorer des yeux, jusqu’à s’en brûler les iris ? Insouciante, elle enfila sa toge d’apparat et disparut sous les plis du vêtement.

— Est-ce que je ressemble à un garçon ?

Arian acquiesça. Le velours pourpre luisait dans le feu des lanternes. On ne voyait plus d’elle que son sourire.

— Calme-toi, Arian. Tout va bien se passer.

L’idée d’affronter sa mère et le Maître de Chasse le rendait anxieux.

Ils quittèrent l’auberge à la nuit tombée, attirant les saluts des rares passants qu’ils croisaient. À Bagradïn, tout le monde savait reconnaître un Héritier en route pour sa Chasse.

À la porte du Temple, les zélateurs leur barrèrent la voie. Arian montra la chevalière de baptême qui attestait son identité. Le garde s’effaça. Palys leva la sienne et annonça :

— Louis de Valorne.

Le zélateur hocha la tête. Arian sentait son cœur tambouriner sous ses côtes. Ils suivirent le garde le long des péristyles aux colonnes torsadées, jusqu’à une porte ferrée. À l’intérieur, après une volée de marches usées, ils s’enfoncèrent dans une crypte humide et voûtée. Une dizaine d’Héritiers, tous couverts de masques de licornes et de toges sombres, attendaient en cercle l’arrivée du Maître de Chasse. La pièce empestait la moisissure et la graisse des torches qui crépitaient aux murs. Au fond, deux cathèdres ciselées de bas reliefs trônaient sur une estrade.

Un géant à la barbe rousse, couvert d’un tabard frappé d’une licorne cabrée, prit place dans le premier fauteuil.

— Chers Héritiers ! Vous vous inquiétez sans doute des sombres événements qui ont marqué les préludes au rituel sacré de la Corne. La mort tragique d’Osvald du Chanfrein, les contretemps liés à la désignation de la Vierge et autres tourments. Soyez rassurés, la Chasse aura bien lieu !

Des murmures de soulagement parcoururent l’assemblée. Aussitôt une porte s’ouvrit sur une délégation de prêtresses. La zélatrice Tara marchait en tête, ses yeux fouillant l’assemblée des Héritiers. Quand son regard croisa celui d’Arian, le jeune homme trembla. Elle ne pouvait le reconnaître sous son masque, capuche rabattue sur le visage, mais elle savait qu’il était là.

Suivait la Gardienne des cornes, en robe de cérémonie, son crâne cornu luisant sous l’éclat des torches.

— Le rituel commencera la semaine prochaine, reprit le Maître de chasse. Si quiconque a une réclamation ou une demande à soumettre, qu’il parle maintenant.

— Moi ! Palys de Valorne !

Elle rejeta sa capuche et leva son masque, déclenchant une série de couinements outrés. Le Maître de Chasse se contenta de sourire en lissant sa moustache.

— Parle, Palys, Héritière de Valorne. Indépendamment du fait que tu n’étais pas conviée à cette réunion, j’entendrai ta requête, si elle est justifiée et respectueuse de la tradition.

— Ma Maison mérite son Cornu ! Valorne ne compte aucun héritier mâle, aussi, je réclame le droit de passer le rituel de la Corne, comme les hommes !

Le Maître de Chasse dédia un sourire entendu à la Gardienne des cornes.

— Bien sûr… Quel prix es-tu prête à payer pour l’entorse outrageuse à la coutume que tu réclames ?

Fouillant sous sa robe, elle déploya un linge et en déversa une dizaine de cornes factices devant la cathèdre, suscitant un bruissement de murmures indignés. Le Maître de Chasse se massa la barbe.

— Et tu comptes nous amadouer avec ces contrefaçons honteuses ?

— Les authentiques sont à Valorne. Laissez-moi vous prouver que je peux faire aussi bien qu’un homme, et vous aurez les vraies.

— Intéressant, mais nous, ce que nous voulons, c’est une Vierge.

Palys accusa le coup.

— Je ne peux offrir ce que je ne possède pas…

Un sourire déforma les lèvres du Maître de Chasse.

— Je viens demander à participer à la Chasse ! cria Palys. Pas offrir ma virginité !

— C’est juste. Dans ce cas, pourquoi ne pas demander à… ta sœur ?

Il frappa dans ses mains. Deux zélatrices traînèrent une jeune fille sur l’estrade. Hormis les boucles qui cascadaient de son bonnet de lin, rien ne permettait de la distinguer de Palys. Les deux sœurs échangèrent un regard au travers duquel passèrent mille émotions muettes. La prisonnière hocha doucement la tête en signe d’assentiment. Arian comprit qu’un lien puissant les unissait.

— Bieeeeeen ! Si tu triomphes de la Chasse, reprit le Maître, tu ne pourras entrer seule dans le Cirque sacré. Tu devras y aller avec un homme : ton parrain. C’est lui qui délivrera la Vierge : ta sœur Ayrine. C’est un honneur rare que nous offrons à ta Maison, Palys. Sache t’en montrer digne.

— Arian sera mon parrain, lâcha la jeune fille en coulant un regard inquiet vers le jeune homme.

— Accordé. Ce sera à ton parrain d’exécuter la danse du Cornu, à ta place.

Tel était donc leur plan, songea Arian. Une idée de sa mère, certainement. Il s’était jeté dans la gueule du loup.

Avant la sortie de la salle, Tara l’attrapa par la ceinture et le tira en arrière.

— Tiens, mon bichon, fit-elle en lui remettant un feuillet froissé. Tu avais perdu ça. Ça nous a aidé à comprendre ce qui se tramait. Dis à ta pucelle de se méfier, le petit Baptix la tient pour responsable de la mort de son frère.

Arian secoua la tête incrédule.

— Quoi, elle ne t’a pas dit ? La vierge enlevée par Osvald… c’était elle !

Tara lui claqua une main sur le postérieur et s’éloigna.

— Excuse-moi, Arian, intervint Palys en baissant les yeux. Je ne voulais pas t’affliger avec cette histoire de capture. J’ai raconté tout ce que je savais de ce triste événement aux questeurs dépêchés à Valorne. Je n’ai pas vu la scène, ils m’avaient enfermée dans leur carriole bâchée. Je n’ai fait qu’entendre les hurlements…

Devant l’attroupement d’Héritiers qui les observait, Arian préféra quitter les lieux au plus vite. Toute cette cérémonie fleurait le piège à plein nez.

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