37 - On The Road

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 Il est cinq heures passé de trois minutes quand Corentin nous rejoint en bas du bâtiment. Il a enfilé sa longue veste noire et une écharpe blanche qui lui donne un air élégant de prince d'hiver. Il traîne avec lui une petite valise bleu marine à roulette, probablement celle qu'il a l'habitude d'emmener avec lui lors de ses déplacements. William démarre le moteur tandis que je l'aide à mettre ses affaires dans le coffre, puis nous nous installons tous les deux à l'arrière en attendant de récupérer Laura. Je fais déjà la grimace à l'idée de cette proximité. Avec Will et Laura, je veux dire... J'aurais préféré me retrouver seul avec Corentin. D'ailleurs, il n'arrête pas de me regarder. Je fais mine de n'avoir rien vu et me tourne vers la fenêtre.

 - On a rien oublié ? demande Will qui semble s'être remis de ses émotions.

 - Ça dépend, t'as appelé Claire ? le questionné-je, cynique.

 Son expression dans le rétroviseur me laisse entendre qu'il a bien pensé à elle mais qu'il n'a pas envie d'évoquer le sujet. Je décide de laisser tomber et reporte mon attention sur la route.

 Cinq minutes plus tard, nous récupérons Laura au pied de son immeuble. Elle attend dans le froid et semble heureuse de nous voir arriver. Elle grimpe rapidement dans le véhicule et salut tout le monde chaleureusement.

 - Tu as pris ton violon ? demande-t-elle à William.

 Je glisse un œil à l'avant dans l'idée de capter sa réaction, mais il reste stoïque, allume la radio et se branche sur la chaîne classique histoire de combler le vide. Comme chaque fois qu'on se retrouve entre musiciens, les commentaires vont bon train, surtout quand passe une oeuvre aussi connue que le second concerto de Rachmaninoff.

 - Ils ont vraiment un son pourri, fait remarquer William. Je ne comprends pas qu'ils passent une telle merde à la radio.

 Laura semble approuver :

 - C'est de la faute du chef, il est parti deux fois trop vite.

 - C'est ce que le public attend : de la prouesse technique mes amis, de la prouesse technique !

 Laura pouffe.

 - Il aurait mieux fait de partir moins vite et de rentrer dans le son.

 - Ça c'est de la faute du pianiste, intervient Corentin. Vous avez déjà joué du Rachmaninoff ?

 - Ça ne m'attire pas plus que ça, soulève Laura. Je galère déjà avec mes petites mains. Quand je vois la gueule de la partition, je préfère encore laisser ça aux autres.

 - Ah oui, t'es comme ça ? la taquine William.

 - Et toi, tu as déjà joué du Rachmaninoff ? me demande-t-il soudain en se tournant vers moi ?

 La question me prend au dépourvu. Ou plutôt, le regard de Corentin planté dans le mien alors qu'il attend ma réponse. Déstabilisé, je ne prends pas la peine de réfléchir et me tourne vers la fenêtre avant de lui répondre :

 - Je... Je n'ai jamais vraiment essayé. Je veux dire... Bien sûr que j'en ai déchiffré comme tout le monde, mais...

 - Mais il ne s'y est jamais attelé sérieusement, pas vrai Max ? conclut Will à ma place. Pourtant, il serait bien le seul...

 William soupire sans finir sa phrase, préférant se reconcentrer sur la route tandis que la neige commence doucement à tomber sur le pare-brise.

 - Le seul à quoi ? je l'interroge en me détachant du paysage.

 Corentin me fixe dans la pénombre qui s'installe. Je devine ses yeux sur moi, son expression troublée, comme chaque fois qu'il devient un peu trop sérieux. Sa main glisse en hésitant vers la mienne et se referme sur mes doigts.

 - Le seul à parvenir à le jouer. Enfin... Le seul à parvenir à le jouer de manière convaincante, conclut-il avec une once de fébrilité dans la voix.

 Pourquoi est-ce que l'entendre me dire ça fait mal ? Ma poitrine se comprime, je me sens brusquement triste, préoccupé à l'idée qu'on me prête des capacités que je n'ai pas.

 - Je n'ai jamais accroché avec Rachmaninoff... me confié-je à mi-voix.

 - Moi non plus ! entonne Laura. Trop de notes, trop compliqué. Ça a toujours tendance à ressortir plat quand c'est moi qui le joue...

 - C'est parce que t'as le petit doigt trop petit, la charrie William.

 Laura rigole tandis que Corentin en profite pour jeter un coup d'œil à mes mains. Surpris, il relève les yeux sur moi :

 - Tu...

 Oui, je sais, elles sont petites ! Je me soustrais rapidement à son étreinte et me concentre sur les flocons qui tombent à travers la vitre. Corentin se penche vers moi mais je n'ai pas envie d'en parler, encore moins avec lui. Il ne comprendrait pas. Il n'y a qu'à voir combien les siennes sont grandes... Alors Rachmaninoff... c'est hors de question. Je déteste me ridiculiser.

 Mon portable vibre dans ma poche. Je le récupère en maugréant que ce serait bien qu'on me foute la paix, et constate que mon dernier sms n'a pas suffi à calmer le besoin de maman d'entrer en communication avec son fils prodige.

 - Claire...

 Je soupire, exaspéré, et décroche sans attendre.

 - Maxime, lâche-t-elle affolée, à peine le téléphone posé sur mon oreille. Je suis passée chez toi... Enfin, chez vous, je veux dire... William n'est pas là !

 - Bonjour maman... et Joyeux Noël !

 - Euh... oui, joyeux Noël mon chéri. Il est avec toi ?

 - Il conduit.

 - Oh, alors j'imagine que vous êtes vraiment en route pour la masterclass...

Ça valait bien la peine que je te réponde par message...

 - Il a pris son violon au moins ?

  Ça y est, je me retrouve de nouveau embarqué dans leurs histoires... Ils me fatiguent.

 - Maman...

 - D'accord, je n'insiste pas. J'ai rempli vos placards de graines de soja et j'ai déposé vos cadeaux près du sapin. J'étais surprise de voir que vous aviez pris la peine de décorer l'appartement, cette année. D'habitude vous ne vous en chargez jamais mais comme William est revenu...

 - Maman...

 - ... J'imagine que c'est lui qui a eu cette idée. J'en ai profité pour aérer car je ne sais pas ce que vous avez fait, mais il y avait une odeur épouvantable et... Ah ! Au fait ! j'ai cru apercevoir un nouveau robot, il est à vous ? Non parce que ça faisait déjà un moment que je me posais la question d'en acheter un mais...

 - Maman...

 - ... Tu pourrais demander à William où est-ce qu'il l'a acheté ? Parce que...

 - Allô ? Allô ? Je ne t'entends plus ! Il neige et je crois que ça va couper ! Allô ? Will te rappelle dès qu'on arrive !

 Je raccroche prestement sous le rire amusé de Corentin qui ne manque pas de faire une remarque sur mes talents d'acteur :

 - Tu sais que tu n'étais pas très crédible ?

 Je respire un instant et m'autorise un sourire dépité. Oui, les talents d'acteur n'ont jamais été mon fort...

 - Willou chéri adoré de maman, est-ce que tu pourrais prendre la peine de décrocher ton téléphone ce soir ? Comme ça on éviterait qu'elle m'appelle moi à chaque fois qu'elle veut te joindre toi. Prends-le comme une mission diplomatique et dis-toi qu'il est toujours utile d'entretenir de bonnes relations avec le cadet de service ! On ne sait jamais ce qu'elle pourrait apprendre par inadvertance...

 Corentin s'esclaffe et m'ébouriffe les cheveux.

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