49 - Trill of jealousy

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 Corentin semble énervé lorsqu'il remonte. Nos regards se croisent furtivement, puis il repère William assis plus loin dans la rangée et soupire, agacé.

 – Ça... ça va ? demandé-je un peu surpris en me levant.

 Il a beau avoir joué avec une surprenante désinvolture, personne ne s'est laissé trompé. Il n'y avait rien de simple dans ce morceau. Rien qui ne s'improvise autant qu'il l'a fait sur scène. Cette oeuvre est le reflet de son talent, de ces génies qui semblent nés dans la musique et qui vivent grâce à elle. Rien que pour ça, je l'admire.

 Je le trouve beau. Particulièrement quand il semble éreinté, comme à l'instant. Son expression n'a plus rien d'angélique, je trouve que ça lui donne un charme supplémentaire. Son regard ne cherche pas à m'éviter. Même quand je le fixe un peu trop longtemps. Au contraire, il me transperce, semble me demander ce que je veux.

 – Heu... désolé, finis-je par lâcher en réalisant que je l'empêche de passer.

 Gêné, je me passe une main sur la nuque.

 – Désolé pour quoi ?

 – Je...

 Une timidité soudaine plane au dessus de ma tête. Mon estomac se tord. Ce n'est pourtant pas dans mes habitudes de réagir comme ça devant lui, mais à l'instant, son expression...

 – Hey les tourtereaux, vous ne voudriez pas aller ailleurs, vous gênez tout le monde, fait remarquer Will, sans gêne.

 Je sens la chaleur me monter aux joues. Plusieurs élèves se retournent en lançant des "chut". Si je pouvais, je zigouillerais le frérot sur le champ, au lieu de quoi je me contente de le fusiller du regard. Je me promets intérieurement d'appeler Claire le soir même.

 – C'est pas grave, fait remarquer Corentin en me tirant par le bras pour que je m'assois.

 – Bien sûr que si. Il le fait exprès.

 Je me mords les lèvres et fulmine. Il aurait voulu annoncer notre relation à la terre entière qu'il n'aurait pas mieux agis.

 – Ça te dérange tant que ça ?

 – Bien sûr que oui ! J'ai pas envie que...

 La main de Corentin se desserre légèrement autour de mon poignet. Une lueur furtive traverse son regard. C'est à peine perceptible, mais suffisamment pour réaliser que je viens de le blesser.

 – Ce... C'est pas ce que je veux dire, chuchoté-je.

 – Je sais...

Alors pourquoi tu fais cette tête-la ?

 – Après tout, je suppose que ce qu'il pense de nous compte plus que ce que je pense de toi ? ajoute-t-il, une pointe de déception dans la voix.

 Mon cerveau se met soudain en alerte. Il clignote rouge : "warning", "warning", "warning".

T'es sur un pente glissante, Max. Ferme ta gueule, ne rajoute pas un mot de plus !

 C'est la première fois que je vois Corentin exprimer ses émotions en public. D'habitude, il ne montre jamais rien ; il prend sur lui, enferme à double tour tout ce qui pourrait l'atteindre quelque part au fond de son coeur et se garde bien de le partager. Mais aujourd'hui, il semble particulièrement à fleur de peau.

C'est peut-être toi qui déteins sur lui ?

 Je chasse cette idée de ma tête :

 – J'aimerais éviter que la terre entière soit au courant pour nous...

 Une expression indescriptible traverse son visage. Je regrette aussitôt mes paroles. Non, ce n'est pas ce que je voulais dire. Enfin si, mais pas comme ça. Ses traits se durcissent alors, la désillusion se lit dans son regard. Il sait comme moi qu'on ne peut pas. Pour nos carrières, pour notre avenir. Pour son avenir. Tout ça, il le sait, ce n'est pas nouveau. Non, ce qui est nouveau c'est que j'ai l'impression que c'est moi qui le repousse alors que je suis aussi impuissant que lui face à la situation.

 Sa main lâche mon poignet. Sans un mot, il s'enfonce dans son fauteuil et fixe la scène, le regard vide, toute la fin de la séance.


***


 Corentin ne se présente pas à l'atelier d'écriture en début d'après-midi. Depuis le repas, il semble avoir disparu, prétextant un "j'ai besoin d'air" pour prendre le large. J'essaie de respecter son besoin d'intimité mais peine à me concentrer sur la portée. Au programme : harmonisation d'une ligne mélodique à la manière de Chopin. Après vingt bonnes minutes à plancher sur les dix premières mesures, je me décide pour une sixte napolitaine et choisis d'arpéger la main gauche. Graham m'observe par dessus l'épaule.

Concentre-toi, Max !

 C'est peine perdu, je n'arrête pas de penser à lui.

 Graham finit par annoncer la pause et je me rue sur mon portable. Pas de message. J'aurais dû m'en douter, ce n'est pas franchement dans ses habitudes...

 – Pas trop dur frérot ? intervient Will en me gratifiant d'une tape exagérée dans le dos.

 Je me retourne et le dévisage avec un regard assassin. Il sait que je déteste l'écriture. Il est venu par pur provocation.

 – Et toi ? Combien d'années depuis tes dernières compositions ?

 Mon ton n'a rien de courtois. Je lui en veux clairement pour sa réflexion dans l'auditorium, et il le sait.

 – T'as raison, t'as raison... Je pourrais m'améliorer. Corentin ne vient pas ?

 Si je pouvais l'exterminer d'un seul regard, il viendrait brusquement de disparaître de cette planète.

 – En quoi ça te regarde ?

 – En rien, c'est vrai... Je me disais juste que t'avais peut-être besoin de conseils. T'as pas été très sympa tout à l'heure, fait-il remarquer.

Alors il a écouté ?

 Je me remémore l'auditorium et William penché à l'oreille de Laura, en train de commenter les prestations à voix basse. J'aurais dû être plus méfiant.

 Agacé, ma voix prend des intonations glaçantes :

 – Des conseils ? De ta part ? Quand t'es même pas foutu de parler de Louise à Laura ?

 – La ferme !

 Sa main se plaque sur ma bouche tandis qu'affolé, il jette furtivement un œil à Laura qui discute avec Elena deux tables plus loin. Bien fait pour lui, il l'a cherché !

 – Crois-moi Max, tu ne sais pas de quoi tu parles. Et si j'étais toi, je ferais attention à ce que je dis.

 – Tu m'arraches les mots de la bouche. Moi, si j'étais toi, je bosserais mon violon plus sérieusement et je ne participerais pas à une masterclass dont, soit dit entre nous, tu n'as rien à carrer. T'as toujours été nul en écriture, c'est de famille. Retiens bien ça : tu n'es pas moi, tu ne l'as jamais été et tu ne le seras jamais, alors la ferme.

 Je me défais de son emprise avec violence, me lève de ma chaise et quitte la salle. Moi aussi j'ai besoin de prendre l'air.


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