26 - Capernaum

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 Son étreinte est presque trop douce pour être réelle. Je sens la chaleur de son corps sur ma bouche, l'émotion qui l'envahit, qui m'envahit. Qui sans que je m'en rende compte, me plonge dans un état second. Après trois second pendant lesquelles j'arrête littéralement de vivre, il rouvre les yeux. Nos regards se croisent. Mon cœur défaille, mes doigts se crispent sur le tabouret.

 Il se relève d'un coup alors que je le repousse violemment, soudain pris de colère.

 - Mais qu'est-ce qui te prend !

 - Je... Ce n'était pas vraiment prévu au programme, rétorque-t-il, décontenancé.

 Je m'essuie la bouche d'un geste rageur et le fusille du regard.

 - Sors de chez moi ! crié-je. Maintenant.

 Il ne prend même pas la peine de remettre son violon dans le boitier et quitte l'appartement, se retournant une dernière fois avant de franchir la porte, son instrument encore en main. Je le vois à son regard : il ne comprend pas plus ce qui s'est passé que je ne le comprends moi-même. Ni ce qu'il a fait, ni comment nous en sommes arrivés là.

 La porte claque, mon ventre me tiraille. Qu'est-ce que j'ai fait ? Qu'est-ce que nous avons fait ? Complètement paniqué, je m'affale sur le clavier, la tête entre les mains. J'en veux brusquement à la terre entière. A commencer par Stein, sans qui tout ça ne serait jamais arrivé. Mais aussi à William et sa foutue soirée. A Laura, de m'avoir abandonné ! A tous ces foutus gens qui n'en ont rien à cirer des autres. Qu'est-ce qui m'arrive, putain ?

 Je me sens complètement vide. Une partie de moi s'est évaporée lorsqu'il a refermé la porte. L'autre ne cesse de penser à lui. A cette détermination dans son regard avant que ses lèvres n'effleurent les miennes. A cette douceur. A son souffle sur ma joue.

 A son contact.

 Tous les muscles de mon corps se crispent. Non, je ne veux pas de ça !

 Je ferme les yeux et me frotte le front. Mais qu'ai-je fait ? Pourquoi a-t-il fallu qu'il joue du violon ?

 William passe la tête par la porte de la chambre. Avec toute cette histoire, je ne l'ai pas entendu frapper.

 - Ça va ? demande-t-il.

 - Génial, je vais très bien ! rétorqué-je en me redressant sur le lit.

 - Ah, au fait, j'ai croisé Corentin avec Elena en rentrant. Tu savais qu'ils étaient ensemble ?

 Corentin ? Avec Elena ?

 Je laisse échapper un rire nerveux.

 - Tu es sûr que ça va ? Parce que tu as l'air livide. On peut parler si tu veux...

Ah, parce que maintenant, parler de Louise... Enfin, Laura, est au programme ? ironisé-je en me levant brusquement.

 - Oui, vraiment. Mais merci, conclus-je en lui claquant la porte au nez.

 Corentin, avec Elena ? Je suis d'une humeur massacrante. Depuis une semaine, je ne parviens plus à aligner trois notes au piano. Je ne parviens plus à traverser le salon. Chaque moment, chaque instant, me ramène à lui.

Corentin...

 Il n'imagine pas combien je lui en veux. Combien je le déteste. Je le hais d'accaparer mon attention, de m'empêcher de vivre. De me prendre pour un idiot. Et je m'en veux plus encore de penser à lui, quand je sais qu'il n'a pas été sincère un seul instant.

Arrête, Maxime ! Tu ne le connais pas, oublie-le. Il n'est qu'un pianiste. Qu'un violoniste quelconque qui ne joue même plus ! Bon, d'accord, un très bon pianiste... et un excellent violoniste. Peut-être même meilleure que William. Enfin... franchement meilleur que William, et rien que pour ça, tu devrais lui en être reconnaissant. Mais...

Arrête ! Qu'il soit bon musicien ne l'excuse pas... et ça ne t'excuse pas non plus !

 Je ferme les yeux, la gorge serrée. Que disait Griffin déjà ? M'ouvrir aux autres ? Apprendre à vivre ? Est-ce que se faire embrasser par un mec suffit ? Ou plutôt, est-ce que se faire embrasser par un mec qui a déjà une meuf suffit ? Où est-ce qu'il faut encore que je pense à lui jusqu'à la fin de mes jours ? Et je suis censé réagir comment, déjà, la prochaine fois que je le croiserai ?

 Je crois que je préfère encore affronter Stein.

 Je me rends à mon cours franchement mal à l'aise. Griffin devine au premier coup d'œil l'état dans lequel je me trouve et ne fait aucun commentaire.

 - Bach ? demande-t-elle.

 - Non, Fauré. Et avant de commencer, je tiens à vous dire que j'ai trouvé un élève pour le duo avec violon, mais que j'ai décidé d'arrêter. Je ne suis pas fait pour ça.

 Sans attendre de réponse de sa part, j'attaque le morceau. Je joue plus rudement que je ne l'ai jamais fait. Mes mains sont lourdes. Marquées du tourment qui m'accapare depuis des jours. Marquées de l'ombre d'un Corentin trop présent. Je n'ai pas envie de penser à lui. Je veux jouer pour moi, n'être qu'égoïste. Rancunier. Le détester à souhait. Etre Maxime et non le souvenir de cet après-midi.

 Mes doigts consument la musique. J'ai le cœur en feu, la rage au ventre. Qu'il aille se faire foutre !

 Je finis par m'arrêter au bout de cinq minutes d'un jeu désastreux. D'un jeu qui ne ressemble en rien à tout ce que j'ai pu faire ces dernières années. La rancœur accumulée ne parvient pas à sortir.

 - Et je voulais vous dire : je ne comprends pas pourquoi Marc récupère le solo de Tchaikov quand on connait son niveau. On parle de Tchaikovsky ! Vous l'avez déjà entendu sur un programme russe ? Si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais au moins choisi quelqu'un d'autre pour me remplacer.

 - Si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais également choisi un autre élève, reconnait Griffin. Mais je ne suis pas son professeur et en l'occurrence, ce point a longuement été abordé avec le directeur, je n'ai pas mon mot à dire.

 - Dans ce cas, je veux au moins participer à un concours.

 Loin de la prendre au dépourvu, ma demande semble lui poser souci :

 - Il est un peu tôt pour ça, fait-elle remarquer.

 - J'en suis capable.

 - Je craignais le jour où vous formuleriez cette demande, mais je dois dire que je ne m'attendais pas à ce que ce soit si tôt.

 - Donc vous pensez que je n'ai pas le niveau...

 - Je pense que vous manquez de maturité sur certains aspects, et que vous lancer dans la préparation d'un concours alors que vous commencez tout juste à vous trouver ne serait pas vous rendre service. Vous participerez à des concours, Maxime, je n'émets pas le moindre doute à ce sujet. Mais je tiens à ce que le jour où vous le fassiez, vous soyez prêt. Pour l'heure, vous devrez vous armer de patience. Graham organise une masterclass pendant les vacances d'hiver...

 - C'est déjà prévu, réponds-je en faisant la mou.

 - Alors commencez par là et faites-moi confiance, me somme-t-elle d'un ton entendu. La patience n'a jamais été votre fort, mais vous verrez qu'à la côtoyer, on progresse parfois plus vite qu'en brûlant les étapes.

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