- Chapitre 58 -

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Jeudi 26 août 2021, Down-Town, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.

Mike observait son ami d’un air songeur, les bras croisés sur la poitrine. Ethan était en train de vider l’un des casiers surchargé de leur bureau commun au siège de S.U.I. Les dossiers soulevaient des volutes de poussière en glissant dans les boîtes d’archivage.

— T’es sûr de toi ?

— J’en ai besoin, Mike.

Celui-ci haussa les épaules avec une moue circonspecte. L’annonce que lui avait fait son ami quelques heures plus tôt lui trottait encore en tête. Il fallait dire que la décision d’Ethan allait modifier leur quotidien à tous les deux.

— Mme Allan et David ont dit quoi ?

— Qu’ils m’encourageaient dans mon projet. David a ajouté qu’il me verrait très bien dans ce nouveau poste. Mme Allan a précisé qu’ils regretteraient mon départ si je choisis de le faire à temps plein.

Avec un soupir, Michael récupéra une barre de céréales dont il déchira distraitement l’emballage. Même s’il ne comptait pas vider complètement son côté, le bureau allait être bien plus vide et ennuyant sans son partenaire pour l’occuper.

— Tu vas faire du cinquante-cinquante, c’est bien ça ?

— Oui, l’après-midi, je serai ici. (Remarquant l’air tristounet de son ami, Ethan lui adressa un sourire.) Pour nos missions communes.

— Arf, je sais que je suis injuste, soupira Mike en croquant soudainement dans sa barre. Je sais que t’as besoin de changer d’air, de voir autre chose.

Tout en glissant des dossiers vieux de plusieurs années dans l’une des boîtes de rangement – qui iraient directement aux archives – Ethan secoua la tête.

— Mike, je comprends parfaitement que ça te chamboule. Vieux… t’as le droit de m’en vouloir. (Comme le visage de son ami se plissait, Ethan ajouta :) On bosse ensemble depuis tellement d’années… Je suis désolé d’avoir à modifier notre fonctionnement.

— Te tracasse pas pour ça, Eth’.

La culpabilité d’Ethan ne faiblit pas malgré la douceur et l’affection qui enveloppaient de la voix suave de son partenaire. Même s’il avait l’impression de trahir Michael, l’opportunité qu’il avait saisie était trop importante pour qu’il passe à côté. Il en avait besoin pour remonter la pente de l’année qui s’était écoulée.

— Tu te tues pour ce boulot depuis trop longtemps, ajouta Mike avec un rictus. T’y as jamais pris le même goût que moi. J’ai toujours eu l’impression que le fantôme de ta mère te retenait ici.

Avec un sourire mutin, Mike fit un geste de la main vers la porte.

— Ethan, t’as donné assez de ta vie, de ton énergie, pour ce job. On a pas à rougir de notre parcours. Surtout toi. Pour prouver que tout t’arrivait pas mâché dans la gueule, t’as trimé deux fois plus que les autres.

Comme il ne pouvait pas réfuter ces propos, Ethan se contenta de plisser les lèvres en observant Michael. Il aurait aimé avoir sa force tranquille, sa capacité à encaisser le changement. Même s’il affichait un air serein, le cœur d’Ethan cavalait dans sa poitrine. Son projet était un risque et la perspective d’échouer lui nouait la gorge.

— Puis, tu t’en vas pas si loin, reprit Mike en jetant dans sa bouche les restes de sa barre. L’École, c’est qu’à vingt minutes en voiture.

Ethan retrouva quelque peu le sourire. Il n’avait jamais eu l’intention d’arrêter brutalement ses missions au sein du département de lutte contre le crime organisé. L’offre qu’il avait vue passer pour l’École stipulant qu’un mi-temps suffisait, il n’avait pas tardé à envoyer sa candidature.

Après un entretien avec Ryan Scott, le directeur, et une partie de l’équipe éducative, le résultat était tombé : Ethan était recruté comme professeur-adjoint en EPSA pendant un an.


Mike et son ami patientaient dans l’ascenseur, des boîtes de rangement à la main. Direction les archives, pour se débarrasser de la paperasse administrative qui les encombrait depuis des années. À l’étage de la cafétaria, deux autres agents les rejoignirent.

— Alexou, lança Michael en gratifiant son cadet d’un sourire immense.

La lèvre supérieure d’Alexander tressaillit, signe manifeste de son exaspération, mais il se retint de la moindre remarque. L’air amusé, Dimitri lui jeta un regard en coin. Malgré les étonnants événements qui avaient rapproché les quatre hommes, leurs dynamiques étaient restées les mêmes. Et, dans le chaos de leurs vies respectives, c’était une constante agréable.

— Vous partez en mission ? s’enquit Ethan d’un ton poli.

— Oui, à l’extérieur de la ville. On en a pour quelques jours.

— Oh, j’espère que tout se passera bien. Ryusuke va rester seul chez toi ?

Dimitri sourit en se tournant vers son aîné. Il oubliait parfois qu’Ethan était aussi lié à sa Recrue. C’était moins facile de s’en rappeler sans Jim pour créer les connexions entre eux tous.

— Une partie seulement. Une de ses amies, Valentina, lui a proposé de passer un jour ou deux chez elle.

— Bien entouré, le p’tit Ryu, acquiesça Mike d’un air satisfait. Tu lui as vraiment sauvé la mise, Dimi.

Celui-ci masqua sa gêne dans un marmonnement indistinct, le nez dans sa barbe sombre.

— Je me vois beaucoup en lui, expliqua-t-il après coup. Et puis la menace des services sociaux continuait de peser sur lui, même après son inscription à l’École. Il lui fallait une situation plus stable.

Alex pinça les lèvres en baissant les yeux. Les réussites de son partenaire vis-à-vis de sa Recrue faisaient sonner ses échecs encore plus cuisants. Non seulement il n’avait pas réussi à se rapprocher de Jeremy, mais il s’était en plus laissé berner. Une duperie qui avait conduit à la situation actuelle.

— Et toi, Alexou, ça va ?

La main puissante de Mike autour de son épaule le tira de ses pensées moroses. Il se dégagea tout en maugréant :

— Ça va.

Michael haussa les sourcils en échangeant un regard moqueur avec son partenaire. Ethan lui fit signe de laisser tomber, mais Michael insista :

— Tu as des soucis au boulot ? À la maison ? Ta fiancée… Lauren, c’est ça ? Tout se passe bien ?

— Ça n’a rien à voir avec ça, grommela Alexander en se renfrognant.

Mike marqua une pause. Son expression légère s’était envolée.

— Alex, si tu te sens mal par rapport à Jeremy, t’as pas à t’en fa…

— Pas à m’en faire ? le coupa sèchement l’agent en serrant les mâchoires. Il est parti par ma faute, bordel.

Une ombre couvrit le visage d’Ethan, accentua le creux de ses joues et la cavité de ses yeux.

— Alexander, tu n’as pas l’entière responsabilité de sa disparition.

— N’empêche que j’y ai joué un rôle. Et ça me rend dingue. J’ai laissé tomber ce gosse, merde. C’était mon job et…

De frustration, Alex enfouit les mains dans ses poches et grinça plus fort des dents. Sa poitrine le brûlait, ses poings le démangeaient. Le ton soulagé de Jim quand Alex lui avait confirmé sa venue à la gare hantait ses nuits. Qu’aurait-il dû faire ? Refuser ? Jeremy aurait sûrement fait appel à quelqu’un d’autre…

— Alex, ça remonte à des mois, tout ça, le gourmanda Dimitri en tendant le bras vers lui. Tu vas pas t’empoisonner l’esprit avec ça toute ta vie. Je croyais que Lauren t’avait fait passer le message.

— Ils ont raison, murmura Ethan d’une voix rauque.

— Raison ?

Alex se retourna vivement vers son aîné, une lueur furieuse dans ses iris noisette. Depuis sa discussion avec Lauren et grâce au temps, sa culpabilité s’était amoindrie. Mais, en présence de Mike ou Ethan, elle revenait à la charge en lui engourdissant la poitrine. Un goût de bile dans la bouche, il siffla :

— Vous avez perdu votre fils par ma faute.

— Ce n’était pas ta faute.

— Je l’ai pas traité correctement, insista Alexander en haussant la voix. Je me suis moqué de lui, je l’ai même frappé. Je l’ai jamais encouragé, au contraire. J’ai été détestable avec lui, j’ai participé à sa disparition et vous… vous avez pas envie de m’étriper ?

Un sourire sans joie tira les lèvres d’Ethan. Il y avait comme une colère glacée dans ses yeux ambrés. Une rage enfouie depuis tellement longtemps qu’elle avait fini par oublier sa chaleur.

— Alexander, si je devais étriper toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à faire souffrir ma famille… Je n’en verrais jamais la fin.

Dérouté, Alex ne trouva rien à répondre. Sa culpabilité aurait peut-être été plus facile à gérer si Ethan l’avait méprisé pour son manquement à Jim. Mais l’agent se retrouvait seul face à la brûlure lancinante dans sa poitrine.

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