- Chapitre 43 -

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Mercredi 28 octobre 2020, Down-Town, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.

Tout en grimpant les escaliers qui le menaient à son appartement du troisième étage, Ethan se demandait s’il arriverait à jeter un véritable sourire sur le visage de son fils. Ou même à lui tirer un frémissement des lèvres. Une étincelle dans les yeux. Quoi que ce soit d’autre que sa constante humeur morose. Depuis qu’ils s’étaient retrouvés, Ethan n’avait jamais vu autre chose qu’un rictus blessé ou un pli amer sur la bouche de Jim.

Avec un soupir discret, Ethan jeta un coup d’œil au paquet en papier kraft qu’il tenait sous le bras. Il était passé à la supérette du coin en rentrant du travail et en était ressorti avec le vague espoir de faire plaisir à son fils. Il ne lui avait pas acheté de bonbons – il en mangeait assez de son côté – mais de quoi préparer des spaghettis. Les siens ne seraient jamais aussi bons que ceux de Maria – le seul plat qu’elle parvenait à cuisiner correctement, d’ailleurs – mais Ethan espérait au moins raviver un éclat dans l’esprit éteint de l’adolescent. Il savait parfaitement que la seule chose qui ramènerait vraiment la gaieté et l’enthousiasme sur le visage de Jim serait le retour de sa famille. Mais en attendant…

Les lumières du salon étaient éteintes lorsqu’il poussa la porte d’entrée. Moyennement surpris – Jim passait le plus clair de son temps dans la chambre d’amis – Ethan actionna l’interrupteur à côté du porte-manteaux et se déchaussa. En déposant le sac de course sur la petite table de la cuisine, il remarqua le portable de son fils oublié dans un coin et fronça les sourcils.

— Jeremy ! lança-t-il d’une voix forte en espérant se faire entendre jusqu’au bout du couloir. Tu as oublié ton téléphone dans le salon.

L’adolescent ne répondit rien. Non seulement il s’enfermait souvent dans sa chambre, mais il avait aussi tendance à enfoncer des écouteurs dans ses oreilles en comptant sur le rock pour le couper du monde.

Une fois les courses rangées, Ethan récupéra le portable pour l’apporter directement à Jeremy. Un papier collé juste en dessous l’empêcha de faire un pas de plus. Songeur, il arracha le post-it et décrypta les quelques mots tordus de son fils :

« Le code c’est 0505, il y a un message dans mes notes pour toi »

0505, ça pouvait être tout et n’importe quoi. Mais, tandis qu’Ethan déverrouillait le téléphone, remarquant au passage les appels manqués d’Alexander, la date d’anniversaire de Thalia lui tournait en tête. Cinq mai, cinq mai, cinq mai.

Le fond d’écran mettait en avant Green Day en plein concert. Demi-sourire aux lèvres – il avait lui-même écouté ce groupe plus jeune – il ouvrit les notes et sélectionna la plus récente. Ethan cessa de sourire et anticipa la gravité des mots avant même d’en lire le contenu. La note commençait par « Pardon papa ».


Michael tournait en rond dans son salon lorsqu’on sonna à la porte. Maria lui jeta un coup d’œil par-dessus sa tasse de café refroidie, mais il secoua la tête. Mike n’avait rien de prévu en cette soirée. Agacé d’être dérangé alors que tout semblait s’écrouler autour de lui, il ne masqua pas son air désabusé en ouvrant.

— Mike, c’est urgent, Jeremy est parti, il a réussi à contacter Edward et à…

Ethan se tut en remarquant l’expression mortifiée de son ami. Ils se dévisagèrent un instant dans un silence seulement entrecoupé par le bruit de la circulation et de la rue. Puis Ethan sentit son abattement grossir comme une tumeur dans sa gorge.

— Tu es déjà au courant.

Michael ne chercha pas à nier. Le visage sombre, il tira son ami par le bras et referma derrière eux. En apercevant Ethan, Maria se redressa vivement et le toisa avec des yeux ronds.

— M-Maria, bredouilla-t-il en manquant lâcher le téléphone de Jim coincé entre ses doigts crispés d’angoisse.

Obnubilé par le visage plissé de Maria, il ne remarqua pas tout de suite la silhouette effacée de Thalia installée près de sa mère. La fillette observait l’homme sans savoir quoi penser. Elle avait le sentiment de l’avoir déjà rencontré, sans savoir où et pourquoi.

— Ethan.

C’était plus une menace qu’un appel. Maria se leva, contourna la table et vint se planter devant l’homme qui avait autrefois partagé sa vie. La mâchoire contractée par la colère, elle leva la main et agrippa le col de sa chemise. Elle semblait sur le point de le gifler. Ethan avait l’impression d’en avoir besoin. Peut-être que ça lui remettrait les idées en place, que ça le sortirait de ce brouillard anxiogène dans lequel il était plongé depuis une demi-heure.

Maria se contenta de le fixer droit dans les yeux, le menton froncé par le sang-froid qu’elle s’efforçait de conserver. Ses doigts tremblaient sur le col d’Ethan, tout comme la main de l’homme se crispait autour du téléphone de Jeremy.

— Où est mon fils ? chuchota Maria d’un ton sec, glacé, percutant dans le silence de l’appartement.

— Tu sais où il est, si tu es là, répondit Ethan d’un air morose. Il a pris votre place.

Peut-être avait-il eu besoin de prononcer ces mots, car la réalité de la situation le frappa brusquement. Plus besoin de claque, il avait retrouvé la terre ferme. Et la souffrance avec.

Les deux adultes s’éloignèrent d’un pas, baissèrent les yeux, se turent. Leurs cœurs battaient de concert, de même que leur culpabilité.

Après quelques secondes, Maria s’arracha à sa douleur et retourna s’asseoir à table. Thalia faisait des aller-retour entre sa mère et Ethan, à présent consciente de l’identité de l’homme. Elle comprenait mieux son impression de familiarité : il apparaissait sur l’une des rares photos de famille exposée dans leur petite cuisine de Seludage.

Alors qu’elle observait de nouveau son père à la dérobée, curieuse, craintive, Ethan rencontra son regard. Il tressaillit et ouvrit la bouche de surprise. Intimidée, Thalia baissa la nez et se trouva une passion pour les miettes abandonnées sur la table.

— Ethan, tu veux boire quelque chose ?

La voix grave de Mike était comme un voile duveteux sur leurs cœurs meurtris. Sa présence imposante, une muraille de défense pour leurs esprits bousculés.

— Ça va, merci, répondit l’intéressé d’une voix tout juste audible.

La proposition de Michael était aussi une invitation à s’asseoir à table avec eux, mais il en était incapable. Comment aurait-il pu regarder Maria et leur fille dans les yeux ? Alors que Jim s’était joué de lui, avait échappé à sa surveillance ? Qu’il était à présent perdu aux mains d’un homme capable de tout ?

Comme Mike était occupé à se servir une nouvelle tasse de caféine à peine sucrée, Maria fit un geste vague de la main à l’adresse de son ex-compagnon.

— Assieds-toi.

Cette fois, Ethan parvint à faire quelques pas, mais rencontra un autre mur près de la table. Thalia l’observait de nouveau, comme subjuguée. Sa timidité s’était envolée, ne restait que sa curiosité d’enfant. Le souffle de son père se bloqua à la rencontre de ses prunelles vertes. Elle ressemblait tellement à Maria. Si peu à lui. C’était justice ; Jeremy tenait essentiellement de son père. Mais des inconnus associeraient difficilement Thalia et lui comme des membres d’une même famille, tandis que Maria et Jim avaient beaucoup d’airs communs.

Alors qu’Ethan perdait toute contenance face à la fillette de neuf ans, Thalia lui sourit. Ce n’était pas le rictus pincé de Jim, ni le sourire à fossettes de Maria. C’était son sourire à lui, réservé, tranquille, mais plein de sincérité. Elle en avait hérité.

— Thallie.

Le surnom de sa fille était plus un gargouillement qu’un mot. Son souffle se fit plus erratique, ses yeux plus humides, ses regrets plus acérés. Tremblant, il s’agenouilla devant la fillette et frôla des doigts son coude. Comment avait-elle pu grandir aussi vite ? Comment un bébé qu’il lovait contre sa poitrine avait-il pu devenir une petite fille en si peu de temps ?

— Thalia, chuchota-t-il d’une voix tout aussi ébahie, mais un peu plus affirmée.

La fillette lui rendit un regard tout aussi intrigué, presque intimidé. Elle savait qui était son père, mais ne s’était jamais réellement souciée de lui. Il ne faisait pas partie de leur vie ; Maria ne voulait pas dire quoi que ce soit à son sujet et Jeremy grimaçait lorsqu’ils l’évoquaient. À ses yeux, il était une vague figure du passé, plus redoutée que manquée. Sans compter qu’être sans père était commun pour les enfants de Sludge ; Thalia ne l’avait pas réellement vécu comme une anomalie. Pourtant, en observant cet homme agenouillé à côté d’elle, éberlué, étrangement inoffensif malgré sa taille, elle trouva perturbant que sa mère et son frère se crispent à sa mention. Puis elle prit conscience qu’il existait, qu’il était là sous son nez et non plus dans le cadre d’une photo, dans les murmures qu’échangeaient Maria et Jim. Il était tangible, près d’elle, et il avait une part de responsabilité dans son existence. Plus que tout, il semblait fasciné par sa présence.

Remarquant qu’il la mettait mal à l’aise, Ethan cessa de dévisager sa fille, se redressa sans un mot et se laissa brutalement choir sur la dernière chaise disponible. L’instant de magie était passé : Thalia était de nouveau une fillette et Ethan un père comme ils en existaient des milliers d’autres. Ils venaient de faire connaissance pour la deuxième fois. Et ils espéraient tous deux secrètement que cette fois soit la bonne.


Mercredi 28 octobre 2020, Nevada, États-Unis d’Amérique.


Jim somnolait quand la voiture s’arrêta. Les freins le tirèrent de son sommeil brumeux, lourd, puis le moteur coupé le plongea dans le silence. Clignant furieusement des yeux pour en chasser les bribes de Morphée, Jeremy observa l’habitacle autour de lui. Il perçut un chuchotis de voix, un claquement sourd puis des pas étouffés sur du gravier.

La porte s’ouvrit sur un air frais, sec, qui enveloppa l’adolescent de ses doigts aiguisés. La silhouette élancée de l’agent McRoy était éclairée par derrière par des appliques murales. Son sourire ressemblait à un aplats de gris et de noir dans la pénombre.

— Nous sommes arrivés, jeune homme.

Déjà ? Prudent, l’adolescent se décala lentement sur la banquette arrière, la gorge nouée. Son refus de boire l’eau mise à sa disposition ne l’aidait pas à retrouver sa salive. McRoy ne lui laissa pas le choix de rester dans la voiture quand il se pencha vers lui pour le saisir par le bras. Jeremy poussa une exclamation de surprise puis un grognement de douleur quand il tomba à genoux dans les graviers.

— Eh, l’abîme pas, gronda l’agent Colms en fusillant son partenaire du regard. M. Sybaris le veut sans une écorchure.

— Tout va bien, la rassura son collègue en relevant de force Jim pour épousseter son jeans déjà troué. Et puis, Colms, je ne me suis pas amusé à lui tirer dessus pour ma part.

Le visage impassible de la femme se froissa quelque peu.

— Je ne me serais pas risquée à le blesser, répliqua-t-elle d’une voix sèche. C’étaient des tirs de sommation.

Un rire moqueur frémit sur les lèvres de l’agent McRoy, qui se contenta de poser une main sur l’épaule de Jeremy. Ses yeux perçants semblaient noirs dans l’obscurité.

— Allez, mon grand, je voulais pas te brusquer, simplement te secouer un peu. Va falloir afficher autre chose qu’une tête d’éberlué devant ta famille.

Le surnom et son ton paternel arrachèrent à Jim une grimace de dégoût. Son père l’appelait aussi comme ça, mais il n’y avait jamais trace de jugement, de moquerie ou de leçon dans sa voix.

— On est où ? marmonna-t- en resserrant sa veste autour de lui – il faisait plus froid qu’à Modros.

Ils étaient entourés d’arbres et de buissons, visiblement au cœur d’une forêt. Pourtant, dans le train, ils se dirigeaient vers le Nevada. Perplexe, Jeremy bascula les yeux vers la bâtisse en bois de plain-pied devant laquelle la voiture était garée. Du Nevada, il ne connaissait que les fameux déserts et Las Vegas. Ils ne semblaient ni dans l’un, ni dans l’autre.

— Je ne peux pas te donner cette information, expliqua l’agent en le menant vers la porte en bois de l’unique bâtiment. M. Sybaris le fera peut-être, mais je ne peux pas parler en son nom.

Incapable de se détendre, Jeremy gardait la tête enfoncée dans les épaules et les articulations raides tandis qu’ils approchaient de la bâtisse en palissades. Il allait rencontrer son oncle, l’homme qui avait enlevé sa mère et sa sœur dans l’espoir de mettre la main sur lui.

Mais la même question trottait toujours aigrement dans l’esprit de Jim : dans quel but ?


Une chaude lumière éclairait le hall d’entrée et le couloir qui s’avançait au-delà. À part le ronronnement du radiateur et les respirations des agents dans son dos, Jim ne percevait aucun bruit. Les battements anxieux de son cœur en étaient plus assourdissants que jamais.

— M. Sybaris va venir te chercher d’une minute à l’autre, l’informa l’agent Colms d’un ton neutre en daignant le regarder dans les yeux. McRoy et moi allons ressortir et verrouiller la porte. Nous te conseillons de ne pas faire de bêtise.

Vexé d’être traité comme un gamin de primaire, Jim se détourna en serrant les dents. Il se sentait beaucoup trop épuisé et patraque pour tenter la moindre fuite. Sans compter qu’il ne connaissait ni les lieux ni les mesures de sécurité. L’idée de se faire courser ou de déclencher une alarme lui arrachait des sueurs froides.

Sans un mot de plus, les deux Fantômes dirent demi-tour. Un nouvel éclat de peur vint se loger dans la poitrine du garçon au son du verrou dans son dos. Il était à présent seul dans le couloir lambrissé. Une longue minute s’écoula sans qu’il n’ose même faire un pas. Puis une deuxième tandis qu’il levait les yeux vers le tableau de liège fixé au mur sur sa droite. Des papiers froissés à l’encre effacée se superposaient les uns aux autres au fil des ans. Même s’il ne put lire un seul document en entier, il apprit qu’il se trouvait dans le parc national du Grand Bassin.

La porte dans le couloir s’ouvrit sans un bruit. Tout en fermant sur son portable le mail qu’il venait se consulter, Edward franchit le seuil d’un pas souple. Il ralentit en constatant la présence de son neveu à quelques mètres puis sourit avec lassitude. Il y avait du travail à faire : l’adolescent se ratatinait sur lui-même comme une souris sous le nez d’un chat, ses cheveux ébouriffés ajoutaient à la négligence générale qu’il dégageait et il n’avait pas l’air très alerte. Après tout, il ne remarqua Ed que lorsque celui-ci fut à trois mètres.

— Bonsoir, Jeremy.

L’intéressé sembla rapetisser un peu plus. Ed fit la moue, il faisait plus jeune que son âge. Sous ses vêtements amples, il devinait une certaine maigreur. Il faudrait lui faire prendre du poil de la bête. Et espérer qu’il grandisse un peu.

Quand ils se retrouvèrent face-à-face, Edward se permit un sourire satisfait. Il y avait des défauts à corriger, des choses à ajuster, mais la nature lui avait été favorable. Jeremy avait les traits de son père, certaines de ses mimiques et il aurait sûrement sa silhouette élancée en grandissant. Peut-être ferait-il teindre ses cheveux caramel pour les assombrir. Ses yeux vairons étaient aussi un signe assez distinctif ; des lentilles colorées pourraient régler le problème.

Des détails, se rassura Ed sans quitter son neveu du regard. Il me ressemble déjà beaucoup.

Jim aurait voulu s’interdire de trembler, de détourner les yeux, de penser à quel point Edward lui rappelait son père, mais il en était incapable. Après de longues secondes à se dévisager mutuellement, Jeremy baissa le nez en s’empourprant. Au-dessus de lui, son oncle lâcha ce qui devait être un petit rire.

— Lève le cou, mon garçon. Tu es un Sybaris, on ne ploie pas l’échine au moindre obstacle.

Le ton directif et étonnement suave de son oncle fit obéir Jeremy. Son cœur envoyait des vagues glacées et brûlantes jusque dans ses oreilles. Il devait être tout rouge, tremblotant, mais la silhouette autoritaire de son oncle l’empêchait de s’attarder sur ces pensées futiles.

— Je suis ravi de ta venue, reprit Edward une fois qu’il eut sa pleine attention. Et ravi que tu aies fait preuve de bon sens à la place d’Ethan. Mon frère… a bien des qualités, mais aussi des défauts navrants. Il se persuade parfois que les choses iront toujours dans son sens, qu’elles se dérouleront comme il l’espère. Quel naïf. (Un sourire torve plissa les lèvres de l’homme, dont les yeux ambrés luisaient de l’éclat distant des étoiles sous ses cils sombres.) Je pensais que me perdre lui inculquerait une bonne leçon. Que les idées qu’il se fait des autres et de leurs motivations ne correspondent pas à la réalité. J’imagine qu’il se croyait capable de sauver Maria et sa fille. De te sauver toi aussi.

Un air compatissant adoucit les traits d’Edward alors qu’il penchait la tête de côté.

— Qui aurait cru que ce serait le naïf et l’idéaliste de la famille ?

Jeremy était pétrifié, engourdi par les paroles douces-amères de son oncle, troublé par la sensation qu’il parlait de ses parents et de sa sœur comme si Jim ne faisait plus partie de leur noyau familial.

— Excuse-moi, je t’assomme d’histoires que tu ne comprends sûrement pas.

Jeremy n’y comprenait effectivement pas grand-chose, mais il saisissait aussi parfaitement qu’Edward ne lui avait encore rien dit de concret. Et que Jim avait été incapable d’articuler le moindre mot jusqu’ici. Ce qu’Ed ne tarda pas à relever :

— Tu as perdu ta langue ?

— N-Non, bégaya Jim en rougissant un peu plus de sa maladresse.

Les paupières d’Edward se plissèrent en même temps que son sourire songeur se crispa.

— Tu peux me dire où tu es né et quel âge tu as ?

Abasourdi, Jeremy jeta un regard désemparé à son oncle. Pourquoi lui demandait-il ces informations ? Elles ne devaient pas être compliquées à obtenir. Comme Edward appuyait ses prunelles dorées sur lui pour l’inciter à s’exécuter, Jim bredouilla :

— Je suis né à Modros le 3 mars 2007. J’ai treize ans.

Un soupir creusa la poitrine d’Edward. Il ferma brièvement les yeux puis les posa sur son neveu.

— Tu as un accent catastrophique.

Éberlué, Jim ne trouva rien à répondre. On lui avait déjà fait remarquer ses drôles intonations, mais de là à les décrire comme catastrophiques…

— J’imagine que c’est la faute de Maria, souffla Ed pour lui-même. Quelle mauvaise combinaison, l’accent californien avec de l’anglais britannique et de l’italien. M’enfin, on verra plus tard, ce n’est pas le plus urgent. (De nouveau sérieux, Edward perça l’adolescent du regard.) Non, j’ai mieux. On corrigera difficilement ton accent, autant faire avec. Oublie ce que tu viens de me dire : tu es né à Londres le… mmh, 1er mai. Voilà, c’est un bon début.

L’effroi rampait le long de la colonne de Jeremy. Des frissons envahissaient son flanc gauche, des appels à l’aide muets se répercutaient dans son crâne. Pourquoi devait-il oublier sa date d’anniversaire ? Pourquoi devait-il en prendre une autre ?

— Je trouverai un moyen d’expliquer ta venue aux États-Unis, marmonna Ed en observant un point vague vers le tableau en liège. Et dans quel contexte je me suis un jour retrouvé à Londres pour te concevoir.

Les craintes et l’incompréhension de Jim furent brusquement chassées.

— Hein ?

Un sourire narquois fleurit sur les lèvres de son oncle. Devant la mine effarée de son neveu, il se permit un rire qui ne détendit en rien son interlocuteur.

— Allons, je te construis une histoire, mon garçon, ne fais pas cette tête. Maria et Ethan sont tes parents biologiques, tu n’as pas à t’en faire. Tout ce que je te demande, c’est de l’oublier.

— L’oublier ?

— Oui. (Ed tendit la main pour frôler le front du garçon, qui recula instinctivement d’un pas.) Tu dois oublier qui tu étais. Pour prendre ta nouvelle identité.

— Une nouvelle identité, chuchota Jim d’une voix blanche.

Cette fois, la main d’Edward parvint à se poser sur sa tête. C’était sûrement dans une tentative de le rassurer, d’être affectueux, mais Jim eut l’impression que les doigts de son oncle lui perçaient le crâne. Il en était glacé jusqu’aux orteils.

— Tu n’es plus Jeremy Michael Wayne, expliqua Ed d’une voix calme, presque tendre. Tu n’es plus le frère de Thalia et le fils de mon frère et Maria.

Le serpent d’angoisse au fond de ses tripes, l’insecte de stupeur au creux de sa nuque s’agitèrent jusqu’à le rendre nauséeux. Jim aurait voulu fuir, se débarrasser de la main de son oncle, mais il était cloué sur place.

— À présent, tu es Elias Sybaris, mon fils anciennement perdu dans la nature. (Une moue satisfaite gagna les traits de l’homme.) Et, surtout, mon héritier.

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