- Chapitre 29 -

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Vendredi 02 octobre 2020, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.

Pour l’une des rares fois de sa vie, Jim estima que sa dernière heure de cours était passée affreusement vite. Il avait été incapable de suivre le discours du professeur – un militaire dont la carrière avait été abrégée par une blessure sérieuse au dos – et avait passé la moitié du temps à regarder par la fenêtre, l’autre moitié à tripoter tout ce qui lui passait entre les doigts.

À la fin de l’heure, Ryusuke fila vers le professeur pour éclaircir un point qu’il n’avait pas bien compris et Jeremy le remercia silencieusement. Il grapillait quelques précieuses minutes.

— Hey !

L’exclamation accompagnée d’une tape dans son dos le fit sursauter. Alors qu’un frisson incontrôlable et désagréable remontait son flanc gauche – là où il avait été sévèrement brûlé – il se retourna. Sourire rayonnant aux lèvres, Valentina était calée contre une table avec nonchalance. Mia rangeait ses affaires derrière elle.

— Ça vous dirait une soirée chips et sodas devant un film ?

— On regarde quoi ? intervint Mia sans même attendre la réponse de Jim.

— Un film d’action ? Y’en a plein sur Netflix et comme l’École nous offre l’abonnement…

Guère convaincue, Mia fit la moue en haussant les épaules.

— Des navets, ces films. Mais y’a l’adaptation d’un roman classique que j’ai pas encore vue.

— Je peux pas venir, déclara soudainement Jeremy d’une voix blanche.

Étonnées, ses deux amies le dévisagèrent puis échangèrent un regard dubitatif.

— Ça fait plusieurs fois que tu refuses des trucs qu’on propose, rebondit Tina en se redressant, sourcils froncés. Écoute, Jeremy, je sais que Ryu a dit que t’étais pas hyper sociable, mais… j’ai l’impression que tu nous évites. Tu nous aimes pas ?

— Pourquoi je vous aimerais pas ? marmonna Jim en se rembrunissant.

— T’as pas l’air d’aimer grand-monde, répliqua Valentina avec un petit rire étranglé. Je voudrais juste être sûre, histoire que je tente pas des trucs pour rien.

— Des trucs ?

— Laisse tomber, soupira la jeune fille en ramassant son sac-à-dos. Ryu !

Celui-ci avait terminé avec le professeur et revenait vers le petit groupe. Tina lui répéta la proposition qu’elle avait soumise à Jim et Ryusuke accepta sans attendre. Comme tout le monde sortait de la salle, Jeremy dut les suivre, les semelles lourdes. Est-ce que Valentina s’imaginait vraiment qu’il ne les appréciait pas ?

Le ciel était en partie couvert lorsqu’ils franchirent les portes du bâtiment pour rejoindre le Centre. La cour était agitée, ici occupée par des grands en plein match de basket, là par des plus jeunes qui discutaient autour des tables de pique-nique.

Le groupe de quatre rejoignit leur internat en se disputant à propos du film qu’ils allaient regarder.

— Alors ? lança Valentina en s’arrêtant devant la chambre qu’elle partageait avec Mia. Tu viens, Jim ?

— Je t’ai dit que je pouvais pas, maugréa-t-il. Je… je dois faire un truc.

Perplexe, Valentina échangea un regard avec Ryu, qui esquissa un sourire crispé en retour.

— OK, lâcha platement Tina sans masquer sa déception et sa frustration. À plus.

Tout aussi déçu que ses amis de ne pouvoir participer à la soirée, Jeremy tourna aussitôt les talons pour se rendre vers sa chambre. Bon sang, qu’il aurait préféré passer un bon moment avec ses amis plutôt que de faire face à son père.


Jeremy avait tout juste eu le temps de se débarbouiller à la salle de bains – se pinçant les joues au passage pour redonner quelques couleurs à son visage livide – lorsqu’on toqua à la porte. Il se tendit brusquement et expulsa une goulée d’air pleine d’appréhension.

Je suis pas prêt, songea-t-il avec consternation en faisant quelques pas vers l’entrée. La pièce lui paraissait soudain minuscule. Il avait chaud et transpirait, mais toute sa poitrine était glacée. Ses poumons comprimés semblaient laisser plus de place à son cœur pour battre comme un effréné. La main moite, il abaissa doucement la poignée et leva les yeux.

— Hey, p’tit gars ! le salua gaiement Michael à peine la portée écartée. Ça va ?

Stupéfait, Jeremy le dévisagea bouche entrouverte. Son parrain était seul. D’un regard craintif, il fit le tour du couloir, sans y voir d’autre adulte que Michael. Face à ce comportement, Mike le rassura :

— Ton père n’est pas là. J’allais quand même pas pousser le bouchon à l’inviter dans ta chambre. J’ai réservé une petite salle pour qu’on discute au calme.

Comme Jim ne perdait toujours pas sa mine défaite, ses lèvres plissées de désarroi et ses yeux emplis de méfiance, Mike ajouta avec enthousiasme :

— J’ai apporté de quoi manger ! Des snacks, des gâteaux, des biscuits, des bonbons, du soda… Etha… ton père a même fait des pancakes. (Devant l’air glacialement indifférent de Jim, il précisa d’un ton assuré :) Ils sont délicieux, je te jure.

— J’ai pas faim, Mike, répondit Jeremy d’une voix atone. J’ai l’estomac… en vrac.

Jim se pencha en avant avec l’impression de tanguer. Il avait même légèrement la nausée.

— T’as pris un anxiolytique ?

— Pas encore, chuchota l’adolescent en baissant la tête. Je vais en prendre un.

Dos voûté, écrasé par la rencontre qui se profilait, Jim fouilla machinalement la petite poche de son sac et en sortit la boîte à moitié aplatie de ses anxiolytiques. Il propulsa une pilule dans sa main, la jeta dans sa bouche puis avala une gorgée d’eau avec la bouteille qui traînait sur le bureau.

— Tu te sens comment ?

Mike avait fait quelques pas dans la chambre. Son air guilleret envolé, son visage sérieux et concentré déstabilisa momentanément Jeremy, qui le dévisagea sans rien dire.

— Je sais que c’est dur, Jemmy, soupira Michael en posant une main sur son épaule. Mais, tu vas voir… ça va bien se passer.

— T’en sais rien, rétorqua sèchement l’adolescent en échappant à la poigne de l’homme. Je vais pas avoir l’air con face à un type qui se fiche de moi.

Avec un soupir, Michael le rejoignit dans le couloir, où Jim claqua la porte de sa chambre pour la verrouiller rageusement. L’adolescent prit soin de rester deux pas derrière son parrain tandis qu’ils descendaient les escaliers et s’enfonçaient dans les locaux administratifs. Il y avait quelques salles réservées aux étudiants : certaines restaient ouvertes la journée et rassemblaient des babyfoots, un billard, des distributeurs automatiques, des tables et chaises pour se détendre entre amis. D’autres, plus petites, étaient réservables pour une heure ou plus et étaient essentiellement dédiées au travail.

Jim avait l’impression de devenir plus lourd tandis qu’ils approchaient de la salle que son parrain avait choisie pour la rencontre. Il avait cinq ans la dernière fois qu’il avait vu son père. Huit ans de séparation pendant lesquels Jim s’était fait à son absence et avait fini par l’accepter. Huit ans, c’était une éternité pour un enfant. Huit ans, ce n’était pas rattrapable.

— Allez, courage, p’tit gars, souffla finalement Mike en lui ébouriffant les cheveux.

D’un pas volontaire, il entra dans la pièce dont la porte entrouverte laissait passer un rai de lumière dans l’obscurité du couloir. Jeremy aurait adoré rester dans l’ombre, caché, à l’abri. Mais il devait avancer, affronter la situation, faire face au passé.

Tapi tout près de la porte, ne sachant s’il allait vomir, fondre ou larmes ou se mettre à hurler, Jeremy écouta ce que son parrain lançait d’un ton taquin :

— Bon sang, Ethan, je te quitte cinq minutes et t’es déjà en train de tout manger.

— Tout manger ? Mais j’ai à peine attaqué ce biscuit.

Jeremy frémit. Son père avait une voix moins grave et suave que son parrain. Il y avait une drôle de lourdeur dans son intonation, une gravité presque froide. Si l’anxiolytique n’avait pas déjà commencé à agir, Jim aurait sûrement fait demi-tour sous le coup de la panique.

— J’veux rien savoir, marmonna Mike d’un ton râleur.

Sans trop s’en rendre compte, Jim avait avancé de quelques demi-pas et il apercevait à présent une table et trois chaises. Il resta un instant éberlué devant le nombre de boîtes de gâteaux, de paquets de chips et autres cochonneries. Michael avait aussi apporté des assiettes et verres en carton. On aurait presque dit un anniversaire. Mais il n’y avait pas de gâteaux, pas de bougies et, surtout, rien à fêter.

Le cœur battant en sourdine dans ses oreilles, Jim pencha légèrement la tête. Mike était encore debout, un paquet de bonbons calé contre la poitrine. Il affichait son habituel air mutin. Quand il remarqua que Jeremy se penchait dans la pièce sans entrer pour autant, il lui adressa un clin d’œil encourageant. Ethan fronça les sourcils en basculant les yeux vers l’entrée. Il remarqua sans mal les mèches ébouriffées de l’adolescent.

— Arrête de te cacher, lança Michael en se dirigeant vers l’adolescent. Ton père est déjà en train de dévorer mes délicieux gâteaux, il risque pas de te mordre.

Dès que son parrain l’empoigna doucement pour le tirer dans la pièce, Jim baissa les yeux. Mais il dut les relever lorsqu’il se retrouva face à la chaise en plastique. Il choisit un paquet de bonbons comme point de repère et n’en dévia pas en s’asseyant. En temps normal, il aurait salivé devant tant de friandises, mais sa bouche était aussi sèche et rocailleuse qu’un désert.

Ethan non plus de l’avait pas quitté des yeux. Mine grave, silencieux, mains posées sur la table devant lui, il préféra attendre que Jeremy lui accorde de lui-même son attention. Jim fit un mouvement en arrière quand Mike lui plaqua une assiette en carton sous le nez. Tout en sifflotant, ignorant délibérément la tension qui s’était installée, Michael fourra une poignée de bonbons dans l’assiette de son filleul. D’un pas décontracté, il fit le tour de la table et déposa le même nombre de friandises devant son ami.

— OK, les deux têtes de mules, déclara-t-il d’une voix narquoise en posant les mains sur le bord du plateau. Vous avez tous les deux sept bonbons devant vous.

Alors qu’Ethan ne pipait mot, médusé, Jim compta inconsciemment les friandises sous son nez pour vérifier que Mike avait raison. Il n’avait toujours pas levé les yeux vers son père, mais il sentait son regard appuyé sur lui comme une lumière distante qui l’aurait empêché de dormir.

— Ces sept bonbons, ça correspond à sept questions que vous avez le droit de vous poser, expliqua Michael en tirant une chaise pour s’asseoir en bout de table, séparant volontairement l’homme et l’adolescent qui se faisaient face dans un silence embarrassé.

— Sept questions ? répéta Ethan en détachant finalement son regard de Jim pour le poser sur son ami. C’est pas beaucoup…

— C’est déjà énorme pour une première rencontre, Eth’, rétorqua Mike avec un sourire en coin.

Jeremy avait les mains posée sur ses cuisses, la tête baissée et la gorge bien trop serrée pour parler. Pourquoi des bonbons ? Pourquoi sept ? Pourquoi ?

— C’est stupide, siffla-t-il d’un ton plaintif en serrant les poings.

Les deux adultes se tournèrent vers lui. Tandis qu’Ethan le dévisageait sans savoir quoi faire, Mike fronça les sourcils puis se pencha vers lui. À l’aide de deux doigts intransigeants, il lui fit remonter le menton. Jim dévia rapidement le regard sur son parrain, l’air revêche.

— C’est stupide, répéta Mike en prenant une intonation d’enfant. Bah oui, trop stupide. Des bonbons… je préfère les manger, moi ! Gneugneugneu.

Les pommettes de l’adolescent se teintèrent de rose face à l’air moqueur de l’homme. Pourquoi fallait-il que Mike le raille exactement à ce moment-là ? Jim s’apprêta l’envoyer paître, mais Ethan lâcha un petit rire. Apparemment satisfait, Mike lâcha son filleul, lui adressa une grimace immature, puis retourna à la contemplation de son assiette.

— Tu ressembles à ta mère, expliqua Ethan avec un sourire qui lui flottait encore sur les lèvres.

Stupéfait, Jeremy dut finalement regarder son père. Il se rendit compte avec une drôle de lourdeur au cœur qu’il n’avait pas autant changé qu’il l’avait prévu. L’adolescent se référait à la seule photo affichée dans la cuisine où son père apparaissait, en compagnie de sa mère et d’amis que le garçon ne connaissait pas. Il avait les mêmes cheveux d’un brun presque noir, plus courts sur la nuque et les tempes. Avec un froncement du nez, Jim constata que ses mèches étaient lisses et disciplinées, loin des épis sauvages qui lui poussaient sur le crâne.

Et il avait la peau halée. D’une teinte un peu plus sombre que celle de Jim et bien loin de l’épiderme pâle qu’affichaient Maria et sa fille. Troublé, Jim le dévisagea encore quelques secondes. Il avait un visage bien moins expressif que le reste de la famille, avec ses lèvres qui avaient déjà recouvré leur sérieux, prenant un pli étrangement maussade. Sa mâchoire volontaire se crispait parfois, creusant ses tempes et faisant ressortir ses pommettes hautes. Derrière une rangée de cils sombres, deux iris d’une étonnante couleur ambrée lui renvoyaient un regard concentré et curieux à la fois.

Après son observation, l’adolescent baissa de nouveau les yeux. Lui qui s’était toujours senti en marge de sa mère et de sa sœur sur le plan physique, il comprenait à présent de quel côté il avait majoritairement hérité.


— Bon appétit, lâcha Mike en fourrant la main dans un paquet de biscuits.

Ethan cligna des yeux en se concentrant sur autre chose que le visage atterré de son fils. Il faisait moins que son âge, avec ses traits défaits, son air désemparé et sa pâleur. L’expression de l’adolescent s’était tour à tour crispée, détendue, fermée et ragaillardie pendant les quelques secondes où il l’avait toisé. Ethan ne savait pas quoi en penser, mais, au moins, Jim ne lui avait pas craché dessus, ne l’avait pas insulté ou n’était pas reparti en courant. C’était un premier pas.

— Bon appétit, souffla-t-il à son tour en tendant les doigts vers les pancakes qu’il avait cuisinés dans l’après-midi et recouverts d’un film plastique.

— Ta main.

La voix de l’adolescent, plus audible et claire que les quelques mots qu’il avait marmonnés plus tôt, figea Ethan dans son mouvement. Il releva le nez vers son fils, qui avait blêmi un peu plus et gardait les yeux écarquillés. Puis il observa sa main en la tournant paume vers lui, se demandant s’il avait une quelconque substance sur les doigts qui ait pu dégoûter Jeremy.

— Ta main… répéta Jim d’un ton éberlué.

Ethan ne sut que répondre, plongé dans un brouillard de doutes et de gêne. Pourquoi Jeremy affichait-il un air aussi consterné, voire attristé ?

— Tu es brûlé.

Jim s’enfonça sur sa chaise, l’expression médusée, les yeux dans le vague. Inquiet à l’idée de l’avoir écœuré avec la partie de sa main droite couverte de brûlures cicatrisées jusqu’au poignet, Ethan retira les bras de la table, envahi de honte coupable.

— Pourquoi ? murmura Jim en rencontrant son regard avec hésitation.

— Pourquoi, chuchota Ethan en retour en fronçant les sourcils.

— Ta main…

— Bordel les gars ! intervint Mike en tapant du poing sur la table, arrachant un sursaut à ses deux interlocuteurs. Vous tournez tellement autour du pot, tous les deux, c’est infernal. Et, Jem, t’as un bonbon en moins.

Avec fermeté, Mike planta ses yeux gris dans ceux dorés de son ami et asséna :

— Et toi, tu l’aides pas, bon sang. Il t’a posé une question, Ethan.

— Mais… commença ce dernier avec incompréhension. Je…

Comme l’homme butait sur ses mots, Mike lâcha un soupir excédé puis se tourna vers son filleul. Jim avait enfin quitté des yeux la main de son père. Il avait remonté son bras, observé ses épaules droites malgré sa stature légèrement affaissée, puis s’était figé près du col de la chemise blanche d’Ethan. Là aussi, disparaissant sous le tissu du vêtement, la peau était plissée et brunie par des cicatrices.

— T’es pas le seul à avoir souffert de l’incendie, expliqua Michael d’un air las. Ta petite sœur a été miraculeusement sauve, mais tes parents et toi avez été touchés par les flammes. (Éberlué, Jim le regarda sans rien dire, clignant à peine des yeux.) C’est évidemment toi qui as le plus souffert, mais tu as bien dû voir les cicatrices de ta mère.

— O-Oui, balbutia l’adolescent en baissant le nez, gêné. Elle en a une sur la cuisse. Elle porte toujours un short de bain quand on va se baigner, à cause de ça.

— Eh bien, Ethan est loin d’avoir été épargné non plus, marmonna Mike en coulant un regard soucieux à son ami, dont le visage s’était fermé d’un air sombre. Explique, Eth’.

— C’est parce que je suis allé te chercher sous la charpente effondrée, poursuivit son père d’une voix assourdie par la douleur des souvenirs. L’incendie a été lancé en pleine nuit alors, le temps que les fumées nous réveillent, les flammes avaient déjà gagné le toit. La chambre de Thalia était à côté de la nôtre, on a pu la récupérer rapidement. Maria s’est brûlée en sortant de la maison avec Thallie. De mon côté, j’ai essayé d’atteindre ta chambre. C’est à ce moment-là que la charpente s’est affaissée sur toute une partie de la maison, dont ta chambre.

Ethan prit une pause, à présent aussi pâle que son fils. Il avait croisé ses mains ensemble pour les éviter de trembler. Jim faisait de même en agrippant nerveusement son jeans.

— J’ai dû soulever des poutres et écarter des meubles pour t’atteindre. C’est pour ça que je suis brûlé sur plusieurs parties du corps. J’ai aussi des brûlures dans le haut du dos et à l’arrière des jambes.

Abasourdi, Jeremy garda la bouche close et les paupières fermées quelques instants. Il s’était toujours considéré comme la victime malheureuse de l’incendie, dans la mesure où Thalia n’était pas blessée et ne se rappelait rien. Quant à sa mère… à part la brûlure à la cuisse, elle n’avait aucune trace physique. Il n’avait jamais su pour son père. L’impression de chuter, de dégringoler, de ne plus rien contrôler, lui poignardait le cœur plus qu’à l’accoutumée.

Jeremy se rappela alors une tournure de phrase qu’il l’avait frappé dans le discours de son père. Tout en s’agitant sur sa chaise, l’adolescent se racla la gorge pour attirer l’attention d’Ethan. Il se sentait encore hésitant face au regard appuyé et grave de son père.

— Tu as dit « l’incendie a été lancé »… pourquoi « lancé » ? On dirait que c’était volontaire, dit comme ça.

Les visages des deux hommes se défirent simultanément. Alors que Mike lui jetait un regard consterné, presque irrité, Ethan ouvrit grand les paupières. Il se pencha en avant pour souffler d’une voix où perçait une pointe de fureur au milieu de sa souffrance lancinante :

— Mais, Jem, l’incendie était volontaire. Quelqu’un l’a déclenché. (Comme l’expression de son fils virait à l’horreur, Ethan sentit son cœur déjà émietté se dissoudre entre ses côtes.) On a voulu nous tuer. L’incendie qui nous a séparés était criminel. Intentionnel. Préparé.

Il aurait pu ajouter une dizaine d’autres adjectifs pour décrire l’infâmie de l’acte. Toutefois, la mine pétrifiée de Jim l’en empêcha. Toujours penché vers lui, Ethan le dévisagea puis murmura d’un ton confus :

— Je pensais que tu étais au courant.

— Moi aussi, intervint Mike, les bras croisés sur la poitrine. Tu ne savais vraiment rien ?

Incapable d’ouvrir la bouche au risque de se mettre à bafouiller ou à crier, l’adolescent secoua la tête. Pourquoi sa mère ne lui avait-elle pas révélé ce détail crucial ? Il avait toujours cru à un accident domestique, un problème technique, un enchaînement de conséquences malheureuses… mais ça ?

On a voulu nous tuer.

Les mots de son père tournaient en rond dans son crâne, perforaient ses barrières, tambourinaient contre sa conscience meurtrie, ravivaient des souvenirs emplis de fumée et de souffrance.

La vision brouillée, l’adolescent se leva de sa chaise avec raideur, tourna les talons puis sortit précipitamment de la pièce. Il entendit vaguement son père l’appeler, Mike le dissuader d’y aller, puis ce fut le silence.

Mais tout en Jim hurlait.

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