- Chapitre 24 -

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Lundi 14 septembre 2020, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.

M. Cross amena la 3ème A sur le terrain d’athlétisme qui bordait l’École pour leur première heure d’EPSA de la semaine. Il avait remarqué sans mal les tensions plus palpables que jamais au sein de la classe. Réguliers et Boursiers évitaient généralement de se mélanger, calquant bêtement leur comportement sur ceux de leurs aînés et des générations qui les avaient précédés. Mais, ce matin, la séparation était nette, brûlante : deux groupes qui avançaient séparément, se jetant des coups d’œil méfiants et marmonnant à voix basse à l’encontre de l’autre. M. Cross savait pertinemment ce qui avait jeté de l’huile sur le feu : l’absence d’Emily Hobs, déléguée pour les Réguliers et meneuse reconnue de leur classe. Comme l’information avait été relayée par les haut-parleurs le jour de son agression, tous savaient qui était responsable de la convalescence de la jeune fille. Il se baladait en retrait du groupe des Boursiers, les mains dans les poches de sa veste.

Amusé, M. Cross sourit pour lui-même puis siffla lorsque tout le monde eut rejoint les pistes de course. Machinalement, les élèves se tournèrent vers lui en attente des consignes.

— On va faire des exercices en binôme pour vous réchauffer et vous réveiller du week-end. (Tandis que les adolescents se dirigeaient instinctivement vers leur partenaire, M. Cross claqua bruyamment sa langue.) Tut-tut, c’est moi qui fais les groupes.

— Pourquoi ? râla l’un des Boursiers en lui jetant un regard perplexe. C’est pas pour rien qu’on s’inscrit en binôme pour les cours.

— Je sais bien, marmonna le professeur en posant les mains sur ses hanches. Mais votre classe est en pleine crise et je tiens à reformer plus ou moins les liens. Sans compter que, dans votre carrière pro, vous serez amenés à travailler avec des gens que vous ne connaissez pas bien. Voire que vous n’appréciez pas. (Avant que quiconque puisse rouspéter, il pointa du doigt une Boursière puis la Régulière qui se tenait près d’elle.) Toutes les deux, ensemble.

Les deux adolescentes se jaugèrent du regard, mais ne tardèrent pas à s’éloigner pour commencer les exercices d’échauffement. M. Cross constitua rapidement les binômes, avant de marquer une pause devant les cinq élèves qui lui restaient. Hugo Cowell, le partenaire d’Emily, n’avait cessé de jeter des regards meurtriers à Jeremy, qui l’ignorait ouvertement.

— Cowell, tu vas t’échauffer avec moi, comme tu es seul.

— Vous voulez pas me mettre avec le sauvage ? grinça en retour l’adolescent d’une voix suintante de haine non dissimulée. Histoire que je lui règle son compte.

— Touche un seul de ses cheveux et c’est moi qui m’occupe de toi, répliqua le professeur d’un ton égal avant de jeter un coup d’œil à Jeremy, qui le toisait avec raideur. Il en va de même pour toi, Wayne. D’ailleurs, tu files avec Empkin, tiens. Moore, avec Hitori.

Comme le professeur les appelait toujours par leurs noms de famille, ni Ryu ni son ami ne surent immédiatement avec qui ils étaient. Finalement, les deux Réguliers qui restaient en plus de Hugo se séparèrent pour venir vers eux. Jeremy déglutit péniblement en constatant que c’était le garçon blond qui s’approchait d’un pas confiant.

— Salut, souffla Jason d’une voix neutre en l’observant de biais.

— Salut, répondit Jim en s’efforçant d’afficher un air pas trop mécontent.

Jason ne lui avait encore rien fait, après tout. Sans compter que c’était le seul Régulier – avec la fille qui s’était approchée de Ryu – à ne pas le fusiller du regard à la moindre occasion ou à l’insulter tout bas à son passage.

— Allez, on se bouge ! s’exclama finalement M. Cross en donnant un coup strident dans son sifflet. Bon échauffement, mes colombes.


Ryusuke devait accélérer le pas pour suivre la cadence de la fille devant lui. Ses cheveux châtain foncé étaient tirés en arrière à l’aide d’un serre-tête au ras du crâne et sa silhouette svelte avait quelque chose de nerveux.

— Tu t’appelles comment ? lança finalement Ryu alors qu’ils traversaient le stade en silence pour trouver une zone non-occupée.

— Kaya, répondit-elle d’une voix neutre. Toi, c’est Ryusuke ? Japonais ?

— O-Oui, acquiesça-t-il, perturbé par l’écart entre le ton froid de l’adolescente et les questions personnelles qu’elle lui posait. Je suis né au Japon, mais j’ai grandi à Modros. Et toi ?

Elle se tourna vers lui pour le dévisager de ses yeux noisette en amende. C’était moins flagrant que pour Ryu, mais elle avait aussi des traits asiatiques.

— Ma mère est d’origine Sud-Coréenne.

Ryu hocha la tête d’un air appréciateur, étrangement heureux de croiser une autre personne Asiatique. Après quelques mètres, Kaya s’arrêta vers la clôture qui délimitait le stade d’athlétisme.

— Ici, c’est bien. Comme tu es nouveau, tu dois pas connaître beaucoup d’exercices. Laisse-moi te montrer.

— OK, approuva l’adolescent, soulagé par la sollicitude de sa nouvelle partenaire.

Kaya le dévisagea un instant avant de souffler discrètement :

— C’est vraiment ton ami qui a agressé Emily ? Pourquoi il a fait ça ?

Refroidi par le changement de conversation, Ryusuke se raidit et patienta quelques secondes avant de daigner répondre du bout des lèvres :

— Oui, c’est lui, mais… apparemment, Hugo et Emily l’avaient insulté juste avant.

— C’étaient que des insultes. C’est rien face à de vrais coups. Il aurait vraiment pu la blesser.

— C’est quand même douloureux de se faire traiter d’animal, de minable, de sauvage, de demeuré… Tout ça parce qu’on vient d’un quartier difficile et… qu’on a des origines.

Silencieuse, songeuse, Kaya l’observa d’un visage neutre puis haussa les épaules.

— En vrai, j’étais pas là pour voir, donc je juge pas trop. Emily peut être vraiment conne, quand elle veut. Peut-être que se faire remettre à sa place la calmera.

Abasourdi par les propos de sa camarade, Ryu la dévisagea la bouche entrouverte.

— Je pensais que vous étiez tous amis, entre Réguliers.

— Tu es pas ami avec tous les Boursiers, nan ? Ben, c’est pareil pour nous. J’aime bien quelques personnes de la classe, mais il y a que Jason que j’apprécie vraiment.

— Jason… c’est le garçon qui est avec Jim ? Il a l’air sympa.

— Il l’est, acquiesça-t-elle avec son premier vrai sourire.


Jason jeta un coup d’œil curieux à sa partenaire, qui se trouvait à une cinquantaine de mètres, visiblement en pleine discussion avec Ryusuke. Il était soulagé que son amie s’implique avec son nouveau binôme, car ce n’était pas son genre de faire copain-copain avec le premier venu.

— Dis… souffla Jim dans son dos. T’as jamais mis les pieds à Sludge, par hasard ?

Désemparé par la question, Jason le dévisagea un instant avant de secouer la tête.

— Non, désolé. J’habite à Mona.

Il avait énoncé simplement le fait, sans y ajouter le moindre signe extérieur de fierté ou de supériorité, mais Jeremy ne put s’empêcher de grimacer. Lui venait du pire quartier… et Jason du plus beau.

— Pourquoi ?

— Euh… pour rien. J’avais juste l’impression de te connaître.

Jason cilla, cligna des paupières puis plissa le front. De ses yeux bleus azurins, il dévisagea son camarade puis avoua :

— Moi aussi.

Les deux adolescent se toisèrent sans savoir quoi dire, perturbés par leur cerveau confus qui leur soufflait une idée vraisemblablement saugrenue. Avant qu’ils aient pu reprendre la conversation, M. Cross se rua vers eux et siffla :

— Eh, les deux loques, on se bouge.

Ils obéirent sans rechigner, motivés par le regard hargneux que leur jetait le professeur.


La journée fila aussi rapidement que la pluie et le soleil alternèrent au fil des heures. Une averse s’était enfin calmée quand la sonnerie de dix-sept heures retentit dans les couloirs calmes de l’École. En moins de cinq minutes, les halls et les escaliers se retrouvèrent bondés d’élèves impatients de retrouver leur maison ou leur chambre.

Jim observait son ami tandis qu’ils descendaient les étages pour rejoindre la sortie du bâtiment. En pleine discussion avec Mia à propos du cours d’histoire qui avait eu lieu quelques heures plus tôt, il semblait oublier l’existence de Valentina et Jeremy qui suivaient placidement. Toujours songeur, ce dernier ne quittait plus des yeux la jeune Britannique à la chevelure rousse… Est-ce qu'elle ne rougissait pas excessivement quand elle adressait la parole à Ryu ? D’un autre côté, avec sa timidité presque maladive, elle s’empourprait pour un rien. Mais…

— Alors, tu nous as même pas dit comment tu t’en étais sorti par rapport à Emily ?

Valentina avait dû planter un coup de coude inoffensif dans les côtes de Jim pour le tirer de son observation. Avec une moue agacée, il resta silencieux quelques secondes avant de marmonner d’un air bougon :

— J’ai un rappel à l’ordre… et je dois effectuer une heure d’intendance au service de l’École chaque soir. Je me rends à l’administration, là, pour savoir ce qui m’attend.

Tina pouffa aussitôt, serra l’épaule de son camarade d’un air compatissant.

— Si t’as de la chance, tu aideras les secrétaires… Si non, tu vas récurer les chiottes, mon gars !

S’imaginant déjà Jim avec une brosse à toilettes et un bidon de produit entre les mains, l’adolescente éclata de rire et manqua l’expression atterrée qu’affichait Jeremy. Pourquoi ne s’était-il pas fait renvoyer, en fin de compte… ?

Aux portes du Centre, Jim fut interrompu net par une poigne sévère. Déséquilibré, il manqua de peu de déraper sur le sol encore humide. À la fois agacé et étonné, il balança un regard noir à la silhouette élancée qui le tenait par le bras.

— Abruti, salua-t-il son recruteur d’un ton exaspéré. J’ai failli me casser la gueule.

Alexander écarquilla les yeux comme s’il venait de se rappeler de quelque chose, lâcha précipitamment sa Recrue puis recula d’un pas. Il avait presque l’air confondu.

— Ouais, ouais, désolé. (Avant que Jim ait pu ouvrir la bouche, il ajouta vivement :) Faut que je te cause.

Sourcil haussé, Jeremy le dévisagea d’un air interdit. Alexander tripotait machinalement son briquet, allumant et éteignant sans cesse une petite flamme. Ses yeux noisette regardaient tout sauf son interlocuteur et ses jambes se pliaient légèrement alors qu’il faisait passer son poids d’un pied à l’autre. À vrai dire, c’était la première fois que Jim le voyait nerveux.

— À l’intérieur, déclara l’agent de la A.A en s’engouffrant dans le Centre sans vérifier que l’adolescent le suivait.

Perturbé, Jeremy mâchouilla sa lèvre inférieure. Quelle bête avait piqué son recruteur ? Alex grimpa jusqu’au deuxième étage, où Mia, Valentina et Ryusuke les attendaient.

— Jim ! s’exclama Ryu en s’approchant. J’ai eu peur, on t’a plus vu d’un coup. Oh… bonjour M. Maas.

— Alexander, marmonna celui-ci en se renfrognant. J’ai que vingt-cinq ans, j’ai pas envie qu’on me donne du « monsieur ».

Alors que Ryu acquiesçait en silence, il jeta un regard inquisiteur à son ami, qui secoua la tête en retour. Il n’était pas plus avancé sur les motivations de l’agent.

— Vous avez été acceptés, déclara ce dernier de but en blanc. Du côté de la A.A, je veux dire. C’est bon, on a eu les signatures.

Un masque de soulagement mêlé de joie sincère glissa sur les traits délicats de Ryu. Après une semaine d’attente, les résultats étaient là : il avait un avenir assuré à l’École de S.U.I. La nouvelle lui faisait battre le cœur contre les côtes et envoyait d’agréables vagues de chaleur dans son corps. Il pourrait rester auprès de Jim, il avait une chambre, Dimitri allait s’occuper de lui… Si son ami n’avait pas affiché un air aussi maussade, il lui aurait sauté au cou.

— Tu voulais juste me dire ça ? maugréa Jeremy qui restait de marbre face à la bonne nouvelle.

— Non… souffla son recruteur à demi-mot. Suis-moi, je préfère qu’on soit au calme.

Seuls, voulait-il dire réellement. De plus en plus perplexe, Jim l’accompagna pourtant le long du couloir jusqu’à la laverie automatique, où Alex jeta un coup d’œil en se penchant. Personne. Satisfait, l’agent alla s’échouer sur l’une des chaises en plastique et indiqua celle d’en face à sa Recrue. Pincé, les mains dans les poches, Jim s’approcha d’un pas lent puis s’assit avec raideur. Il était mal à l’aise face à la tension qui habitait le corps d’Alexander.

— Tu m’as menti.

Les mots, accusateurs, se répercutèrent dans la petite pièce où ronronnaient deux tambours en mouvement et un sèche-linge. Décontenancé, Jeremy se redressa sur sa chaise en clignant des yeux. Mais Alex affichait un air mortellement sérieux. Voire blessé.

— Je comprends pas.

— Tu m’as menti ! répéta son recruteur avec plus de vergogne. Il y a des points essentiels de ta situation que tu as complètement passés sous silence.

— Comme ? répondit Jim d’un ton provocateur en écarquillant les yeux.

— Tes parents, bon sang ! Deux agents de S.U.I… tu t’es bien foutu de ma gueule, putain.

Le visage de Jim se ferma aussitôt, ses mâchoires se serrèrent et sa silhouette se voûta comme si les mots de son recruteur avaient été des coups. Face à l’expression meurtrie de l’adolescent, Alex plissa le nez en lâchant un rire amer.

— C’est moi qui devrais faire cette tête, Jeremy. Putain… et j’ai rien remarqué. Tu me fous les nerfs. Ça te coûtait quoi de tout me raconter ? Ta mère fleuriste ? Ton père qui vit pas avec vous ? T’en as encore beaucoup des bobards ?

La poitrine soulevée par une respiration hachée, furieuse, Jim se contenta de toiser son recruteur avec des yeux luisant de colère. Puis, d’un ton cassant, il lâcha simplement :

— Va te faire foutre.

D’un mouvement souple, il se redressa et sortit de la laverie. D’un bond, Alex le suivit et le rattrapa par le bras. Sa Recrue voulut se dégager, mais l’homme resserra sa prise à lui en faire mal.

— Jeremy, explique-moi bordel. Ce matin, Michael Lohan est venu me voir pour me dire que tu étais le gamin de son partenaire. Il m’a aussi dit que ta mère avait travaillé pour S.U.I. Je crois qui, moi ? Un merdeux mal élevé qui ment par omission ou mon aîné ?

Lèvres pincées par la rage sourde et étouffante qui enflait en lui, Jim gardait les yeux baissés sur le parquet. La honte, la colère, l’impuissance floutaient sa vision. Irrité par son mutisme, Alex tira sur le bras de Jim pour le forcer à le regarder.

— Mais parle, bon sang ! Dis-moi pourquoi tu m’as caché tout ça ? Les choses auraient pu aller beaucoup plus vite si t’avais tout avoué.

— Avoué quoi ? lâcha finalement Jeremy d’un air stupéfait. On m’a menti à moi aussi, Alex. Je savais pas que ma mère avait travaillé pour S.U.I. Je savais qu’elle avait un lien avec eux, mais ça fait huit ans qu’elle a changé de boulot. Tu te rappelles ce que faisaient tes parents quand t’avais cinq ans, toi ?

Incapable de répliquer, Alex secoua la tête puis insista :

— Et à propos de Michael ? Et ton père ? Bordel, quoi, t’es le gamin de l’agent Sybaris.

— Oublie ça, gronda l’adolescent en le fusillant du regard. Qu’est-ce que Mike t’a dit ?

— L’essentiel. Assez pour que je gaffe pas devant ton père. Pas assez pour que je comprenne le bourbier dans lequel je me suis fourré avec toi.

Soudainement furieux contre son parrain, Jim jura entre ses dents. Il lui avait pourtant promis… Si Mike se mettait lui aussi à lui mentir, Jeremy ne pouvait plus compter sur personne.

— Mon père sait rien, hein ?

— C’est justement pour lui cacher que c’est toi ma Recrue que Michael m’a expliqué la situation.

Soulagé, mais encore agacé par la tournure des choses, Jim jeta un regard venimeux à son recruteur en secouant son bras entravé.

— Lâche-moi.

Alexander s’exécuta à contrecœur. Lèvres plissées, il dévisagea l’adolescent avec agacement. Cette histoire de Recrue ne lui plaisait déjà guère à la base, alors maintenant…

— J’espère que t’as conscience qu’à cause de toi, je dois mentir à un supérieur.

— Eh, j’y suis pour rien, répliqua Jeremy en se hérissant. J’ai rien demandé à personne.

— Si, t’as contacté Michael ! Tu l’as impliqué dans cette histoire et il m’a impliqué à mon tour.

Un sourire acide étira les lèvres de Jim.

— Tu sais pourquoi j’ai contacté mon parrain, Alex ?

L’intéressé haussa un sourcil étonné : son aîné ne lui avait pas précisé que ce lien l’unissait à l’adolescent. Même si, en fin de compte, ça n’avait rien de surprenant. Mâchoires crispées, Jim planta ses yeux dépareillés dans les siens.

— J’avais pas d’autres solutions. On m’a menacé de me foutre à la porte de l’École. Tout ça parce que j’ai recadré une connasse qui m’insultait et qui insultait Ryu. Oui, c’est pas bien, je sais. Mais putain y’avait personne pour prendre ma défense. Y’a personne pour moi depuis une semaine. (Galvanisé par ses émotions furibondes, Jim continua d’une voix tranchante :) Dimitri prend des nouvelles de Ryu presque tous les jours. Toi, tu m’as à peine adressé la parole en une semaine. Tu en as tellement rien à foutre de tout ça que tu l’affiches clairement. Alors viens pas me saouler avec tes morales à deux balles, OK ? Si t’avais assumé d’être mon recruteur, si t’avais cherché à me connaître, alors peut-être, je t’en aurais dit plus sur moi. Mais Alex… t’as même pas cherché à m’aider quand je t’ai demandé pour ma famille.

Jim secoua la tête d’un air dépité, dégoûté, résigné, en reculant d’un pas.

— Tu croyais vraiment que j’allais te parler de ma vie alors que tu as même pas levé le petit doigt pour moi ?

Aussi stupéfait qu’indigné de se faire recadrer par un gamin de treize ans, Alexander sentit les muscles de ses épaules se tendre et ses dents grincer entre elles. Mais pour qui se prenait-il…

— Tu crois que je me tourne les pouces depuis une semaine ? susurra-t-il en foudroyant l’adolescent d’un regard mauvais. Tu te prends peut-être pour le centre du monde, mais c’est pas le cas. Tout le bordel administratif pour te recruter, c’est moi qui m’en suis chargé. Et viens pas me suriner avec ta famille : je t’ai déjà dit que c’était pas dans mes cordes.

Écœuré par les propos de son recruteur, Jeremy détourna le visage pour ne plus à subir le courroux outragé de l’agent. Qu’est-ce qu’il s’imaginait ? Que c’était facile de débarquer dans un tout nouveau lieu avec ses propres règles, sans nouvelles de sa famille ?

— T’es qu’un connard, Alex, lâcha l’adolescent au bout de quelques secondes, soudain épuisé. Le plus simple, je crois, c’est qu’on arrête tout ici. Je suis plus ta Recrue, t’es plus mon recruteur.

Abasourdi, l’agent ne réagit pas tout de suite. Puis, une fois qu’il eut recollé sa mâchoire inférieure à la supérieure, un rire jaune s’échappa de sa gorge.

— C’est pas aussi simple, Jeremy. Tout se fait pas selon ton bon vouloir. J’ai des obligations envers toi et tu en as envers moi.

— Des obligations ? répéta Jim en s’arrêtant alors qu’il prenait la direction de sa chambre. C’est quoi, ces obligations ? J’ai l’impression que Dimitri et toi n’avez pas les mêmes.

— On doit s’assurer que votre scolarité…

— Oh, laisse tomber, le coupa Jeremy d’une voix suintante de lassitude.

Alex n’avait pas perçu son sarcasme blessé au moment de l’interrogation. Désemparé par le silence gelé de l’adolescent qui avançait à grands pas vers sa chambre, l’agent mit du temps avant de se lancer à sa poursuite. Bon sang, il ne comprenait rien aux gamins.

— Eh, Jeremy ! On a pas fini.

— Si, si, je t’assure.

Alexander avait à peine perçu la voix de sa Recrue tant il gardait les dents serrées. Ce n’est que lorsque Jim dut se retourner pour fermer la porte de sa chambre que l’homme remarqua ses yeux embués de larmes.

— Jeremy, je… bredouilla-t-il en sentant sa colère fondre comme neige au soleil.

Jim lui jeta un regard abattu entre ses cils humides. Il n’avait plus la force de s’opposer à l’agent. Alex grimaça, voulut bloquer la porte, mais l’adolescent la referma brutalement.

— Désolé, souffla Alexander d’un air mortifié en posant la main sur le battant. Désolé, Jeremy… J’aurais pas dû… Je sais pas m’y prendre… Vraiment, pardon…

Mais il n’y avait que le silence de l’autre côté de la porte.

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