- Chapitre 5 -

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Lundi 7 septembre 2020, Seludage, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.

Alex garda son arme de service – un Glock 23 – enfoncée dans le dos de l’adolescent quelques secondes de plus pour s’assurer que le message était clair. Il n’était pas surpris de faire face à la témérité et à l’arrogance des jeunes de Seludage. Néanmoins, il voulait être certain de garder une position de force vis-à-vis de l’adolescent et d’avoir sa collaboration.

— Tu t’imagines peut-être que je ferais pas usage de mon arme en public, susurra Alex en enfonçant un peu plus le canon dans le dos de l’adolescent. Et… c’est vrai, je ne voudrais pas attirer l’attention des badauds sur nous.

Il retira son pistolet et le rangea tranquillement dans le holster caché sous sa veste de costume. Alors que Jim se tournait vers lui, aussi livide que le mur contre lequel il était plaqué, Alexander remonta son bras vers sa nuque, lui arrachant un glapissement de douleur.

— Mais t’imagines pas pour autant que je vais te laisser partir.

Le corps raidi de peur, Jeremy hocha brièvement la tête, la langue lourde comme du bois. L’agent s’était montré plutôt conciliant depuis qu’il l’avait surpris dans l’appartement de Ryu. Face à l’air provocateur de Jim, il était redevenu le froid calculateur qui avait interrogé un mineur en le menottant à un lit.

— Reprenons, souffla Alex en lâchant le poignet de l’adolescent. Alors, ce hangar, tu peux m’y emmener ?

Tout en massant son bras endolori, Jim grimaça puis hocha de nouveau le menton. L’idée de s‘opposer à l’homme s’était complètement envolée. Ne restait plus que la perspective de se faire déboîter l’épaule – ou pire. Malgré tout, Jim déglutit péniblement avant de demander à voix basse :

— Et pour mon ami ?

L’agent lui jeta un regard sévère avant de faire claquer sa langue d’agacement.

— Ton ami attendra qu’on ait trouvé le hangar.

Une expression revêche plissa les traits du garçon, arrachant un sourire en coin à l’homme.

— Te mets pas en colère, gamin. C’est juste qu’un meurtrier me semble plus important qu’un pauvre garçon que je ne connais même pas.

— Vous faites vraiment que ce que vous voulez. On peut bien crever, vous vous en foutez, rétorqua Jeremy d’une voix venimeuse.

Alexander soupira en agitant la main avec indifférence.

— Non, je fais mon boulot. Et ne pas te laisser crever en fait partie. Bon, tu m’emmènes à ce fameux hangar ?

Irrité, Jim pinça les lèvres en toisant l’homme d’un air renfrogné.

— Et votre partenaire ?

— Dimitri me rejoindra en temps et en heure.

Comprenant qu’il ne pourrait pas plus retarder le départ, Jim finit par se mettre en marche, les mains dans les poches et les épaules basses. Les pas et la respiration de l’agent derrière lui étaient un rappel constant de ce qu’il risquait de subir si jamais il tentait de s’enfuir ou de résister. Son bras gauche lui faisait encore mal et un froid désagréable avait envahi son dos, là où Alexander avait appuyé le canon de son pistolet.

Il ne leur fallut qu’une quinzaine de minutes à pieds pour rejoindre le hangar. La porte était encore grande ouverte. Paralysé par l’idée de tomber sur le corps ensanglanté de la fillette, Jeremy se figea, le cœur cognant fort contre ses côtes.

— C’est ici ? s’enquit l’homme en avançant de quelques pas vers l’entrepôt abandonné. Chouette coin.

— Le… le corps est dedans.

Il avait parlé si bas qu’il crut que l’agent ne l’avait pas entendu. Pourtant, celui-ci hocha lentement la tête avant de récupérer son portable. L’attention focalisée sur le hangar silencieux, Jim remarqua tout juste qu’Alex conversait à quelques mètres de lui – sûrement son coéquipier.

— Je peux partir ? lança Jeremy d’un ton incertain une fois que l’appel fut terminé.

L’agent de la A.A le considéra en silence avant d’approcher d’une démarche souple. Il se planta devant lui, les mains dans les poches de son pantalon noir.

— Rien d’autre à me dire, gamin ? Pas de petits secrets ? Pas d’informations sur Kurt Dert que tu aurais oublié de mentionner ?

Une vague d’appréhension bloqua le souffle de l’adolescent. Était-il soupçonné d’une quelconque façon ? Pourtant, il l’avait bien vu se faire poursuivre par le tueur.

— Euh… commença Jim en bredouillant. Dans… dans le hangar, il y a notre cachette.

— Une cachette ? répéta Alexander en haussant un sourcil inquisiteur.

— Un coin à nous, précisa Jeremy en se tordant les mains. On se retrouve là, avec Ryu, pour… passer le temps. On a à manger et des jeux.

L’homme lâcha un discret soupir avant de se tourner vers l’entrepôt, l’air pensif.

— On enlèvera vos affaires de la scène de crime. Il y a quelque chose que tu aimerais récupérer avant que ce soit saisi ?

Jim réfléchit brièvement, se décidant que ses bonbons et crackers n’étaient pas la priorité. Idem pour les vieux jeux de cartes rabougries et les faux jetons de poker.

— Les livres ! réalisa-t-il de vive voix. Ryu a des mangas et des romans là-haut. Y’en a qui appartiennent à la bibliothèque, mais les autres sont à lui. Ça coûte cher, alors si vous pouvez éviter de les jeter…

— Très bien, c’est noté, marmonna Alex avant d’observer les environs d’un œil acéré.

Le hangar était cerclé d’un mur et de bâtiments en mauvais état. Les fenêtres étant toutes fermées, ça ne devait pas être des habitations. Tant mieux, cela faciliterait la tâche à l’équipe scientifique.

Comme l’adolescent, à côté de lui, se trémoussait en passant d’un pied à l’autre, Alex grogna.

— C’est bon, gamin, tu peux filer. Mais garde en tête que tu es un témoin, qu’on t’a repéré, mon collègue et moi, et qu’on ne risque pas de t’oublier de sitôt.

Bouche légèrement entrouverte, Jeremy toisa l’agent sans savoir quoi dire. Qu’est-ce que ces mots signifiaient ? Qu’ils pouvaient le recontacter si besoin ? Ou s’agissait-il d’une surveillance plus étroite ?

— Adieu, oui, finit par susurrer l’adolescent d’un ton grinçant.

Sourire pendu aux lèvres, Alex le regarda s’éloigner du coin de l’œil.


Jeremy avait les jambes en coton lorsqu’il grimpa les deux étages qui le séparaient de chez lui. Le meurtre, la fuite, l’interrogation, le certificat de décès, l’absence de Ryu, le hangar… Il n’avait plus qu’une envie : se blottir dans son lit, écouter sa mère chantonner en italien et regarder Thalia gribouiller sur son carnet secret. Il voulait déguster les spaghettis de Maria, entendre le rire enfantin de sa sœur, respirer l’odeur douce de son foyer.

Cette fameuse senteur imprégnait l’air lorsqu’il parvint enfin au palier du deuxième étage. Sourcils froncés, il en chercha l’origine, avant de se rendre compte que la porte d’entrée de son appartement était entrouverte. Étonné, il s’en approcha. Est-ce que sa mère était allée rendre visite aux voisins et avait laissé ouvert pendant quelques minutes ?

Il n’y avait qu’un seul voisin au même pallier. La porte était close et pas un éclat de voix ne filtrait – pourtant, l’isolation de l’immeuble n’était pas très efficace. Ceux du dessous ou du dessus ? Maria s’entendait bien avec une jeune maman qui habitait l’appartement du rez-de-chaussée.

— Thalia ? lança Jim en poussant la porte. Maman est chez la voisine ?

Il se figea sur le seuil de son appartement, anticipant que sa sœur ne lui répondrait pas. Le porte-manteau était tombé, étalant au sol les vestes de trois gabarits différents. Une chaise de la cuisine était aussi renversée, tout comme un tableau dans le couloir, une partie des ustensiles et quelques bibelots. Un goût de bile dans la bouche, Jim s’avança vers l’arrière de l’appartement, où il trouva les deux chambres grandes ouvertes. Si celle de sa mère semblait intacte, la pièce qu’il partageait avec sa sœur était sens dessus-dessous. Les lits étaient défaits, les jouets de Thalia éparpillés, leurs cartables vidés.

— Thallie ? souffla Jeremy en gémissant, sentant l’effroi agripper ses tripes dans une serre glacée. Thalia ? Thalia ! (Il bondit hors de sa chambre et se précipita dans celle d’en face.) Maman ? Maman ! Mamma !

L’emploi de l’italien n’y changea rien : il n’y avait personne dans l’appartement. Un mélange d’incompréhension et d’effroi enfla dans la poitrine de Jim, qui alla ouvrir les tiroirs de la commode de sa mère. Les bijoux et la réserve d’une centaine de dollars étaient là. D’ailleurs, les armoires n’étaient pas non plus ouvertes.

Je comprends pas.

Il se dirigea à pas rapides vers le salon. La télévision, le téléphone et sa console de jeux étaient indemnes.

Je comprends pas.

Il fouilla les manteaux tombés au sol, tirant d’un imperméable de Maria son portefeuille. Sa carte de crédit et les quelques billets y étaient toujours.

— Je comprends pas, geignit Jeremy en lâchant le porte-monnaie pour se presser les poings contre les yeux.

Ryusuke n’était finalement pas chez lui. Pire : sa mère et Thalia non plus. Plus étrange : elles s’étaient débattues – les meubles et bibelots renversés en attestaient. Pourtant, les objets de valeur n’avaient pas disparu.

Le souffle coupé par la panique, Jim observa son appartement d’un regard vidé. Que s’était-il passé ? Pourquoi les intrus n’avaient-ils pas pris l’argent ou l’électroménager facile à revendre ? Ce ne serait pas la première fois qu’un cambriolage aurait lieu dans l’immeuble.

Mais ce n’était pas un cambriolage. Sa mère et sa sœur avaient été enlevées.

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