- Chapitre 2 -

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Lundi 7 septembre 2020, Seludage, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.

Jeremy s’attendait à hurler d’effroi face à la scène qui se déroulait sous ses yeux, mais il n’en fit rien. Pire, il resta aussi figé qu’une statue alors que la fillette tressaillait sous l’attaque de la lame. Un flot de bile se coinça contre sa glotte, elle-même comprimée par le souffle apeuré qu’il retenait. À côté de lui, Ryu étouffa un hoquet de terreur.

— Bouge pas ! gronda l’homme alors que la fillette se mettait à ramper, gémissant de douleur.

Il agrippa les cheveux châtains de la petite puis retira brutalement le couteau. Le sang, qui s’était contenté de fleurir en auréole dans le dos de la victime, se mit à couler. D’un mouvement sec, l’agresseur retourna la fillette et brandit de nouveau son arme.

Fais quelque chose, s’intima mentalement Jeremy, les dents si serrées qu’il en avait mal aux mâchoires. Fais quelque chose. Bordel. Bordel, bordel, bordel. Bouge. Bouge !

Mais la peur le clouait sur place. La peur de déranger l’agresseur. La peur de ne pas sauver la petite à temps. La peur de la voir mourir. La peur de se faire attraper. De se faire attaquer. De périr à son tour.

Ryusuke se laissa tomber sur le matelas lorsque le couteau trancha le t-shirt de la petite puis sa peau. La lame ripa contre les côtes avant de trouver la chair plus tendre de l’abdomen. La fillette poussa un hurlement étouffé avant de se taire, assommée de souffrance.

Jim ne put que regarder l’homme retirer sa lame, faisant jaillir un brusque filet de sang, puis l’essuyer sur le haut de la petite. Il se demanda par quel miracle il n’avait pas encore vomi son goûter sur le dos de l’homme. Comme subjugué, son regard ne quittait plus le flot vermeil qui glissait sur le t-shirt rose de la fillette et se répandait sur le sol.

Ryusuke, à deux doigts de s’évanouir à son tour, releva le nez au moment où l’homme s’agenouillait derrière la petite. Jeremy se tenait collé à la plateforme, inhabituellement pâle, mâchoires si crispées que des veines en saillaient à ses tempes. Ryu tendit la main pour lui toucher l’épaule, mais son ami plaqua les mains sur sa bouche, le visage décomposé. Horrifié avant même de baisser les yeux, Ryu jeta néanmoins un coup d’œil en contrebas.

L’homme avait remonté la jupe blanche de la fillette et baissé son pantalon. Les mouvements de balancier effaçaient les dernières traces de doute sur la nature de son acte. Cette fois, Ryu ne put se retenir : il poussa un bruit étranglé, mélange de dégoût et d’effroi, puis se redressa tant bien que mal. Quant à Jim, il se figea lorsque le tueur leva brusquement la tête vers eux pour les dévisager avec stupéfaction. Jeremy bondit à son tour et commença à dégringoler l’échelle, l’adrénaline lui faisant momentanément oublier que l’homme était plus grand, plus fort et qu’il était armé.

— Cours ! beugla Jeremy en sautant par-dessus des cartons pour se diriger vers la sortie.

L’agresseur se releva en tenant son pantalon, l’air hagard. Il fixa avec stupeur Ryu descendre à son tour avec des gestes saccadés puis s’élancer à la suite de son ami. Alors que Jim ouvrait la porte avec hâte, le tueur se décida à remonter sa braguette et à leur courir après.

Les deux adolescents se jetèrent dehors pour s’éloigner du hangar à grandes foulées. Ils comptaient sur leur connaissance du quartier et leur vitalité pour échapper à l’agresseur. Comme Ryusuke était un peu plus grand que Jim, ses longues jambes lui firent prendre de l’avance. Jeremy le suivit tant bien que mal dans le dédale de ruelles, de passages et d’avenues qu’emprunta Ryu dans sa fuite. Lorsqu’il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, il remarqua avec un coup au cœur que le tueur était toujours sur leur piste. Comment était-ce possible ? Il était bien plus endurant que prévu.

Une silhouette soudainement dressée sur son chemin obligea Jeremy à se déporter violemment sur la droite, manquant le faire trébucher. La mère accompagnée de deux enfants qu’il avait failli renverser lui jeta un regard assassin avant de claquer la langue avec agacement. Sans plus s’attarder, il se remit à courir tout en cherchant des yeux son ami. Il ne le trouva pas dans la dizaine de piétons qui occupaient la rue. Subitement angoissé, il ralentit légèrement le pas dans la crainte de ne pas le reconnaître puis se résolut à s’engager dans une ruelle adjacente. Lorsqu’il arriva au bout, à une intersection en T, il se permit un coup d’œil en arrière.

Merde.

Le tueur était là, pantelant. Jim se jeta dans la rue de gauche, ignorant du mieux possible les muscles tétanisés de ses jambes, son cœur affolé et sa respiration saccadée. Ryu et lui avaient été témoins du meurtre – et du viol. La police de Seludage avait beau être complètement dépassée par le crime, si une enquête était ouverte pour l’assassinat de la petite, il y aurait un appel à témoins. Ryu et Jim auraient de quoi remplir les notes des policiers. Ils représentaient donc une menace pour le meurtrier.


— Reviens !

La voix grondante arracha une nouvelle sueur froide à Jeremy. Il était douloureusement conscient que seule la mort l’attendait s’il se laissait rattraper. Ses pieds martelaient le sol à lui en faire mal. Ses poumons le brûlaient et un point de côté prenait forme dans son flanc.

Avec un sursaut de soulagement, il reconnut un bout de quartier qu’il connaissait bien pour y avoir visité une confiserie à maintes reprises. Les rues y étaient alambiquées, tordues, incohérentes. Sans hésiter, Jim fonça droit vers l’avenue principale puis s’engouffra dans une ruelle. Puis il tourna à droite, à gauche, de nouveau à gauche et à droite. Et il continua ainsi de suite, jusqu’à perdre ses propres repères. La gorge en feu, la vision rendue floue par sa course intensive, il avança jusqu’à déboucher sur un petit square abandonné et entouré d’habitations. Les herbes montaient jusqu’à la taille et les jeux pour enfants étaient à deux doigts de s’effondrer.

Haletant, Jim inspecta les alentours à la recherche d’une cachette. Le chant des insectes était étouffé par le sang qui lui frappait les tempes. Avec prudence, il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Personne. Il émit un geignement de soulagement puis trottina jusqu’à une motte d’herbes sauvages. Peut-être qu’il avait distancé le tueur. Mais cela ne voulait pas dire qu’il l’avait perdu. Prudemment, Jeremy profita de sa cachette temporaire entre les plantes hautes pour dévisager les petites maisons mitoyennes une à une. Il finit par repérer une fenêtre brisée au rez-de-chaussée de l’une d’elles. Prenant soin de vérifier que le tueur n’était pas là, il fonça dans un sprint vers la maisonnette. Arrivé devant la fenêtre, Jim jura en constatant que du plastique avait été tendu en attendant de remplacer la vitre. Avec des mains tremblantes, il sortit son couteau-suisse de sa poche, troua la bâche puis glissa les doigts sous le montant pour le soulever au maximum. Il ne tarda pas plus longtemps pour se glisser à l’intérieur, priant silencieusement pour que les habitants soient momentanément absents. Ou enclins à l’accueillir le temps de fuir son meurtrier potentiel.

Le plus silencieusement possible, accroupi, Jim sortit de la cuisinette où il avait atterri pour se rendre dans le couloir. Un silence de mort régnait dans la maison. La poussière et les détritus au sol indiquaient que les occupants n’étaient pas passés depuis un moment. Jim remercia sa bonne étoile avant de se poster à l’angle de la cuisine, d’où il pouvait surveiller l’extérieur par la fenêtre cassée. Lorsque la silhouette du tueur apparut devant la maisonnette, son cœur bondit et le fit trébucher en arrière. Paniqué, il se redressa rapidement et jeta un coup d’œil par la cuisine. L’homme n’était plus là.

Le cœur au bord des lèvres, la paume si moite qu’il en avait du mal à se retenir au chambranle, Jeremy garda les yeux rivés vers la porte d’entrée, s’attendant à la voir s’ouvrir d’un instant à l’autre. Il n’y avait pas d’étage dans la maison, mais peut-être trouverait-il une cachette ailleurs. Les secondes s’écoulèrent dans un angoissant silence. Le tueur ne réapparaissait pas.

— Oh bordel, murmura-t-il pour lui-même en s’autorisant un soupir de soulagement.

Il se laissa aller sur les genoux, les mains à plat devant lui, inspirant le plus profondément possible pour calmer son cœur furieux. Ses oreilles sifflaient encore et sa vue n’était pas tout à fait claire. Son t-shirt collait à son dos humide de sueur.

Alors qu’il allait se relever, il entendit quelques pas derrière lui. Une main s’abattit sur son épaule et une voix masculine amusée s’exclama :

Syurpriz !

Ne pouvant s’empêcher de crier d’effroi, Jeremy se retourna vivement. Il n’eut le temps d’apercevoir qu’une masse de cheveux indisciplinés et une chemise blanche impeccable avant de recevoir un coup à la tempe.

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