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« HAPPY NEW YEAR ! », beugla sur sa gauche une grosse blonde surexcitée, penchée au balcon d’un appartement bruyant du troisième étage, manifestement déjà complètement ivre.

Tu as deux heures d’avance, pétasse, pensa Charlie, l’humeur et le regard d’un noir profond. Il ponctua sa pensée par un coup de klaxon nerveux à destination de la file de véhicules devant lui, redonnant un coup de fouet à la jubilation de la blonde qui leva son verre en hurlant comme une louve.

C’est pas possible, putain, « Mais avancez, merde ! », hurla-t-il au monde entier. Il semblait bien que le monde entier s’était en effet donné rendez-vous sur la 34ème Ouest ce soir-là pour le réveillon. Le conducteur de la Tesla Qantum verte devant lui le gratifia d’un doigt d’honneur très solennel en le fixant dans le rétroviseur. Sur le pare-brise arrière, un sticker rond défraîchi osait encore un Make America Great Again. Il lui rendit son geste sans y penser.

« Eternity, quelle heure il est ?, demanda-t-il à personne.

- Il est vingt-deux... heures... et trente-quatre... minutes », lui répondit la voie suave et sereine de sa Ford Eternity grise anthracite, comme si le bouchon au milieu duquel ils étaient fourrés tous les deux ne lui tapait pas, à elle, sur le système. Électronique le système, mec, se glissa-t-il avec suffisance. Ouais, et c’est bien dommage, avec une voix comme ça, se répondit-il. Il tenta de se figurer la nana qui se planquait dans le câblage de sa caisse, et qui s’adressait toujours à lui comme si elle voulait le bouffer. Une rousse sûrement, avec un petit cul bien serré, une paire de seins bien fermes et une belle bouche à pipe. La base. Enfermée dans la caisse, donc pas chiante, et qui me laisserait ma liberté. Voilà. La nana rêvée. Tout le contraire de Selena. Cette évocation le ramena, comme s’il avait pris une gifle, sur la 34ème Ouest.

« Vingt-deux heures trente ? C’est pas vrai ! ». Cela faisait donc deux heures qu’il aurait dû être arrivé au Purple Turtle. Tout le monde devait l’attendre et Selena devait être encore en train de râler. Pourtant, la 39ème n’était qu’à cinq minutes de là, pas plus d’un demi-mile ; mais il n’abandonnerait pas la voiture au milieu de la rue. Il ne pouvait pas, pas avec ce qu’il transportait dans le coffre.

Un homme transi en gilet jaune remontait la file de voitures en soufflant dans ses mains par intermitence et donnait à qui le voulait ce que Charlie espéra être quelque explication.

« Eternity, descends la vitre avant gauche, ordonna-t-il.

- Je descends la vitre... avant... gauche. »

Merci, petit cul..., pensa-t-il en faisant un signe au gilet jaune.

« Qu’est-ce qui se passe, Bon Dieu ?

- Bonsoir Monsieur, lança le type en s’approchant, il y a une panne de signalisation sur Broadway, au niveau d’Union Square, ça bouche une bonne partie de Manhattan.

- Jusqu’ici ? Mais c’est à au moins trois blocs !

- Eh oui... Le truc c’est que tout New York est dans la rue, et avec Times Square qui est fermé à la circulation pour le réveillon, ça n’aide pas !

- Mais ça va se décoincer là ?

- Je ne sais pas trop, pas tout de suite en tout cas. Faut prendre son mal en patience et rester au chaud ! Allez, je vous laisse, Dieu vous garde !

- Ouais, c’est ça », maugréa Charlie.

Il laissa l’homme s’éloigner, la vitre ouverte, les yeux dans le vague. Il avait commencé à neiger un peu. Le froid piquant s’insinua dans l’habitacle, et avec lui quelques flocons égarés qui fondirent au premier contact. Le ronronnement de la ville lui parvenait, un peu différent ce soir, livrant principalement une symphonie éclatée de klaxons : ceux, assez rares, des premiers plans, étayaient les mélodies bien plus appuyées, voire hystériques, des blocs alentour. Ici régnait une nervosité presque résignée, déjà déprimée, là-bas la frénésie des soirs de victoire. Quelques fourgons de livraison, derniers résidus récalcitrants d’une civilisation accroc aux énergies fossiles, toussotaient çà et là en panaches épaissis par le gel, qui captaient la rhapsodie saccadée haute en couleurs – bleu, jaune, rouge, vert – des enseignes du front de rue. Sur les trottoirs, une clairsemée de passants pressés et bien mis s’égayait par bouquets à grands éclats, vers autant de destinations festives.

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