Chapitre 3

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Une gifle d’eau glaciale réveilla Kathy. Elle chercha à ouvrir la bouche pour prendre une grande inspiration et se rendit compte que ses lèvres étaient couvertes de ruban adhésif. Elle voulut bouger, en vain. Des liens de plastique l’enserraient, liant ses bras aux accoudoirs d’un siège, sa taille au dossier, ses cuisses à l’assise, ses jambes, aux pieds. Seule sa tête était libre de pivoter. L’agression lui revint en mémoire d’un coup. Une boule d’angoisse monta dans sa gorge, menaçant de l’étouffer. Elle battit frénétiquement des paupières pour chasser les dernières perles d’eau et accommoder sa vision.

Elle se trouvait au centre d’un espace bétonné. Des établis, des machines et des meubles métalliques l’entouraient. En face d’elle, un homme taillé comme un culturiste déposait un seau en plastique par terre. Entièrement vêtu de noir, il portait un t-shirt à manches longues et un pantalon cargo enfoncé dans des rangers. Ses muscles jouèrent sous le tissu quand il se redressa. Son visage carré n’exprimait rien. Il ne la regarda même pas alors qu’elle luttait contre ses liens. Elle bascula son poids en arrière sans effet. Le siège devait être vissé au sol. Un mouvement attira son attention. Elle tourna la tête pour voir arriver un second gorille une mallette à la main. Il la déposa sur une table, l’ouvrit. Le premier le rejoignit. Ils échangèrent quelques mots à voix basse, sans lui accorder la moindre attention, et cela intensifia sa peur. Que lui voulaient-ils ?

Elle tenta de crier, faisant passer le son par le nez. Un pauvre gémissement aigu s’éleva, sans causer davantage de réaction. Elle frissonna violemment. L’eau coulait le long de ses joues, dans son cou, entre ses seins en une caresse glaciale.

Le premier tira trois seringues de la mallette et les aligna avec soin sur la table. Les aiguilles acérées reflétaient la lumière. Le cœur de Kathy s’emballa. La terreur montait en elle. Leur économie de mouvements, leur précision, leur calme. Ils se comportaient en professionnels, pas comme les tueurs psychopathes des séries américaines. Elle tira encore contre les liens, s’agita en tous sens, avec pour seul résultat de se blesser. Le sang perla à ses poignets sans que le plastique se détende d’un millimètre.

Le second daigna lui accorder une miette d’attention :

— Pas la peine de t’impatienter. Je vais bientôt m’occuper de toi.

Il se saisit de la seringue la plus à gauche, s’approcha d’elle. Son collègue tira un téléphone portable de sa poche, pianota dessus, puis annonça :

— Liaison établie. Tu peux commencer.

— Attention, ça pique un peu, dit l’autre en plantant sans douceur l’aiguille dans le bras de Kathy.

Elle tressaillit. Quand il enfonça le piston, un liquide se répandit dans le muscle. La brûlure lui fit monter les larmes aux yeux. Elle battit des paupières, refusant de les laisser couler devant eux.

L’homme lui tapota la joue.

— C’est bien, économise ton souffle. Tu vas en avoir besoin.

La douleur s’estompa. Les membres de Kathy s’engourdirent légèrement, sa tête devint légère comme un ballon. Une partie d’elle se disait qu’au fond, ce n’était pas si grave d’être attachée ici, que tout irait bien. L’autre s’affolait en réalisant que ses pensées glissaient hors de portée, qu’elle devait lutter contre cette hébétude qui la gagnait. Sa tête bascula vers l’avant, soudain trop lourde.

L’homme lui souleva le menton, claqua des doigts devant ses yeux. Elle tenta de se focaliser sur lui, abandonna. Il la lâcha, prit la deuxième seringue, injecta le produit. Elle ne sentit d’abord rien, puis se rendit compte que son acuité intellectuelle lui revenait. Elle se sentait à nouveau « normale ». À quoi jouaient-ils ? Qu’y avait-il dans ces seringues ?

L’homme s’empara de la dernière. Malgré la peur, Kathy remarqua la différence de couleur du contenu. Le liquide bleuté lui évoquait la piscine. Elle cligna des paupières. Autre temps, autre lieu. Un lit d’hôpital. Une poche de perfusion au contenu couleur de ciel. La souffrance.

À nouveau, elle lutta pour se libérer. Il ne devait pas lui injecter ça.

Interdit. Dangereux.

Quand il se pencha, elle chercha à lui donner un coup de tête. Quand elle lui effleura la joue, il recula le temps de lui asséner une gifle magistrale. elle se mordit la langue en même temps que son crâne partait en arrière. La douleur explosa dans sa mâchoire, le sang coula dans sa gorge, tiède et salé. Elle secoua la tête pour retrouver ses esprits. Des mouches lumineuses voletaient devant ses yeux. À la peur se mêlait à présent la colère. Les coups l’avaient toujours mise en colère.

— Me fais pas bouger, grogna-t-il.

Il ficha la pointe dans son biceps, regarda son complice. Elle remarqua alors que celui-ci s’était décalé et braquait l’objectif de son téléphone portable sur elle.

— C’est bon.

Il la filmait ! L’autre enfonça lentement le piston. Cela commença par une vague de froid qui se répandit dans le bras de Kathy, remontant vers son épaule, son cœur, son cerveau.

Impossible, put-elle encore raisonner : il a piqué en intramusculaire.

Puis son esprit se vida de toute pensée cohérente et elle se mit à trembler de manière incontrôlable. D’un coup, la douleur la crucifia. Elle hurla contre son bâillon, bandant ses muscles pour arracher ses liens. Elle avait l’impression qu’on l’écorchait vive, qu’on répandait de l’acide dans ses muscles, qu’on poignardait ses entrailles. La sueur dégoulinait dans son dos, entre ses seins. Elle aurait dû s’évanouir à cette douleur insoutenable.

Ce fut sa dernière pensée consciente.

Le monde prit une teinte bleutée.

Se libérer. Proies. Devant. Mal. Tellement mal.

La proie la plus proche s’adressa à elle, prononçant son prénom d’une manière étrange :

— Kathry.

Un éclair de reconnaissance.

Couloir. Chambre. Mienne.

— Dans l’ombre et la souffrance, tu sers la nation humaine.

Servir nation. Obéir. Bien. Récompense.

— Kathry. Tu te souviens ?

Non. Oui. Proies. Se libérer. Dire oui.

Elle hocha la tête.

— Je vais t’enlever ton bâillon et tu vas confirmer.

Nouveau signe de tête.

Bientôt libre.

La proie arracha d’un coup sec le ruban adhésif de sa bouche.

Mal. Moins que piqûres.

Elle s’humecta les lèvres, étira sa mâchoire.

— Confirme, Kathry, exigea-t-il d’un ton impérieux.

Mots. Retrouver mots. Donner bonne réponse.

— La nation humaine est ma vie. Je la sers en mon âme et conscience.

— Que feras-tu aux exogènes ?

Exogènes. Amis. Famille. Moi.

— Ils sont…

Mentir. Utiliser phrases apprises.

— … un cancer à éliminer. La race humaine est souveraine. Je les détruirai.

Souvenirs. Meurtres. Obéissance. Sécurité.

Un éclair de reconnaissance, d’autres pensées.

Non, pas sécurité. Danger.

La proie qui la filmait s’adressa à son téléphone :

— Autorisation de la relâcher ?

Un grésillement. Une voix féminine à la diction soignée répondit :

— Avec toutes les précautions nécessaires.

L’esprit de Kathy s’éclaircit, s’aiguisa. L’adrénaline chantait dans ses veines. Sa proie déposa l’appareil sur la table, prit un pistolet, le pointa sur elle. L’autre sortit un poignard de combat d’un fourreau à sa cuisse, en glissa la lame entre sa peau et le plastique. Tira. Le lien céda. Maintenant !

À la vitesse d’un serpent qui se détendait, la main de Kathy fusa vers la gorge dénudée, s’y referma. Avec une force surhumaine, elle attira l’homme contre elle pour se protéger de celui qui la tenait en joue. Retrouvant ses instincts, elle appela à elle ce qui constituait l’essence même de sa proie. Il se mit à hurler.

Elle sourit.

Un bruit de métal arraché, des détonations.

L’enfer se déchaîna.

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