Chapitre 2

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Gordon consulta une nouvelle fois sa montre. 20 h 30. Soit Kathy avait réussi à amadouer les surveillants pour s’octroyer quelques longueurs supplémentaires, ce qui était fort improbable vu la légendaire ponctualité suisse, soit elle s’était noyée. Idée qui lui plaisait bien, au fond. Plus de Kathy, plus de surveillance, plus de Genève. Sauf qu’aucune sirène ne hululait dans le lointain pour annoncer l’arrivée d’une ambulance roulant à tombeau ouvert. D’ailleurs, à bien y réfléchir, nul bruit ne filtrait de la zone située près de la sortie.

Foutredieu ! Il s’était fait avoir comme de la bleusaille.

À une vitesse inhumaine, il rejoignit le hall. Le rideau intérieur était déjà baissé. Entre les interstices, il devina les silhouettes des nettoyeurs qui s’activaient. L’âcre parfum de l’eau de Javel empuantissait l’atmosphère. Il écouta le silence, capta une infime vibration. Un générateur antibruit fonctionnait non loin. C’était pour cela qu’il n’avait rien perçu. Ces types étaient des pros. Inutile de perdre du temps à chercher l’appareil, trouver Kathy était sa priorité.

Il s’accroupit, scruta le sol. Des fragments de verre aussi fins que des aiguilles s’étaient glissés entre les dalles. Quelqu’un avait brisé les ampoules des lampadaires et balayé avec soin les éclats. Aucun humain, avec sa vision restreinte du spectre électromagnétique, ne les aurait remarqués. Gordon entrouvrit la bouche et huma l’air à la manière d’un fauve. Son organe de Jacobson surdéveloppé analysa les odeurs, se focalisant sur Kathy : son gel douche chimique, les notes épicées de son parfum, « Nutmeg and Ginger », le sel et le musc de sa peau, l’âcreté de sa peur. L’odeur des proies. Ses gencives le tiraillèrent en réponse. Il empêcha ses canines de se déployer. Patience. Il inspira une nouvelle fois. Deux signatures olfactives supplémentaires. Deux hommes s’étaient tenus à cet endroit. Le premier appréciait les plats aillés – Gordon plissa le nez. Le second était sans doute blessé : il sentait le menthol et le camphre typiques du Baume du Tigre.

Ils avaient dû emmener Kathy après l’avoir neutralisée. Suivant les effluves de Baume du Tigre, Gordon longea le bâtiment en direction du parking des employés, à l’arrière. Là, la trace odorante se modifia. Métal, caoutchouc, plastique, essence. Un véhicule assez neuf, roulant au sans-plomb, d’après son nez. Les ravisseurs et Kathy étaient montés à bord, puis partis. La traque se promettait complexe, et Gordon s’en réjouissait. En revanche, s’il échouait à retrouver sa cible – en vie de préférence –, il en entendrait parler pendant des siècles, au sens propre.

Il enregistra la combinaison d’odeurs qui lui paraissait la plus pertinente : essence, gel douche, camphre et ail. À vomir. Une fois qu’il l’eut parfaitement intégrée, il lâcha la bride à ses instincts de chasseur. Il se mit à marcher, puis à courir de plus en plus vite, tantôt sur le trottoir, tantôt sur la route, au risque de se faire percuter ou remarquer. La piste refroidissait. Il craignait de la perdre. Si cela arrivait, il essuierait railleries et quolibets jusqu’à la fin des temps.

Hors de question ! Gordon ralentit et observa les alentours. Sur la gauche, la route montait, longeant une colline couverte d’arbres. Si les kidnappeurs envisageaient de se débarrasser de leur proie, le Bois de la Bâtie serait un lieu idéal. Non, ce serait ridicule. Pas besoin de l’enlever pour la tuer. Ils la voulaient vivante. Alors où ? Les entrepôts, le long du fleuve. Isolés. Personne n’entendrait Kathy crier. Il obliqua vers la droite, en direction de la zone semi-industrielle.

Au milieu du carrefour, un crissement de freins suivi d’un coup de klaxon appuyé le fit bondir de l’autre côté de l’avenue, six bons mètres plus loin. Il atterrit en souplesse sur la barrière de sécurité et eut le temps d’apercevoir la face stupéfaite du conducteur avant de poursuive sa course. Le pauvre type appellerait sûrement un psy dès le lendemain. Gordon l’oublia aussi vite. L’inquiétude le gagnait : la trace se dissipait.

Il accéléra, retrouvant des sensations oubliées.

Les contours se brouillèrent, prirent une teinte rougeâtre ; le monde se résuma à ce qui se trouvait devant lui, comme au bout d’un tunnel. Kathy, ses ravisseurs. Il laissa ses canines se déployer, en éprouva la pointe aiguë du bout de la langue. Cela faisait si longtemps qu’il ne les avait pas employées à bon escient.

Il longea le fleuve bordé d’arbres, atteignit la zone des entrepôts. Une multitude d’odeurs chimiques agressa ses narines. Il avait perdu la trace olfactive de Kathy. Encore heureux que ses talents ne se résument pas à ceux d’un limier. Il reprit sa course, l’œil et l’oreille aux aguets, et retrouva la voiture, garée au bout d’une allée, à l’arrière d’un hangar. Gordon sourit ; ses lèvres se retroussèrent à la manière des babines d’un loup prêt à mordre.

La porte de derrière puait l’ail et camphre. Trouvé ! Il actionna la poignée. Verrouillée. Si ces types n’étaient pas des cervelles molles, il n’entrerait pas par là.

Il se coula contre la façade à la recherche d’un autre point d’accès. Le toit. Il y trouverait soit une porte de service, soit une verrière. À défaut d’escalier de secours, il entama l’escalade de la façade avec l’aisance d’une araignée.

Alors qu’il prenait pied sur le toit plat, un hurlement de souffrance déchira l’air.

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